La nomination d'un évêque à Shanghaï signe le dégel entre Rome et Pékin
LE MONDE | 30.06.05 | 13h32 • Mis à jour le 30.06.05 | 13h32
Les choses bougent entre la Chine et le Vatican, sur fond de démentis et de rodomontades. Un fait sans précédent s'est produit à la cathédrale Saint-Ignace de Shanghaï, mardi 28 juin, qui pourrait accréditer l'idée d'un changement d'attitude chinoise sur l'épineuse question des nominations d'évêques. Au cours de la cérémonie qui le consacrait comme évêque auxiliaire de Shanghaï, Mgr Joseph Xing Wenzhi, 42 ans, a révélé, devant 2 500 fidèles et des dignitaires du régime, que sa nomination avait été le fruit d'un accord entre le Vatican et les autorités de Pékin.
Cette information, aussitôt diffusée par l'agence Asianews, a été démentie, mercredi 29 juin, par un responsable du Bureau des affaires religieuses de Shanghaï. Démenti embarrassé: Mgr Xing aurait été choisi par l'Eglise catholique (officielle) de Shanghaï et sa nomination approuvée par un "collège des évêques de l'Eglise catholique chinoise" . Notion floue, suivie de cette mise au point : "Cela n'a rien à voir avec le Vatican."
Selon l'agence Eglises d'Asie à Paris, qui tient ses informations du diocèse de Shanghaï, le nouvel évêque a bien été élu, le 17 mai, par un collège de prêtres, de religieux et de laïcs. Mais il a aussi reçu l'assentiment de Rome. Et la présence à la cérémonie de représentants politiques du régime confirme que Pékin n'a pas émis d'objection à cette nomination. A Hongkong, Mgr Zen Ze-kiun, célèbre militant des droits de l'homme, a confirmé le fait : si des évêques "officiels" ont déjà pu être ordonnés, dans le passé, avec le consentement de Rome, c'est la première fois qu'un tel accord est rendu public.
L'enjeu dépasse le cas singulier de ce jeune évêque auxiliaire, Mgr Xing. Shanghaï est le plus grand centre catholique de Chine, avec un clergé nombreux (130 prêtres), un grand séminaire et un centre de dévotion mariale à Sheshan. Et c'est la seule ville où cohabitent, au su de tous, deux évêques très âgés et malades : Aloysius Jin Luxian, jésuite, évêque de l'Eglise "officielle" (depuis 1998), et Joseph Fan Zhongliang, évêque de l'Eglise "clandestine", le seul qui soit soutenu par Rome, très étroitement surveillé par la police.
VERS UNE RÉUNIFICATION
Ce qui se joue avec la nomination d'un jeune évêque auxiliaire à Shanghaï est bien la succession de ces deux hommes et la réunification des deux Eglises. C'est Mgr Jin Luxian, 89 ans, qui a lui-même vendu la mèche à Associated Press, le 23 juin. Il a affirmé que Mgr Joseph Xin était "un bon évêque qui prendra ma succession" et qu'un accord tacite était déjà intervenu entre Rome et Pékin, aux termes duquel Rome ne nommera pas de successeur à l'évêque "clandestin", Mgr Fan, atteint de la maladie d'Alzheimer. "Après sa mort, il n'y aura ainsi plus de division" , s'engage Mgr Jin Luxian. La réunification des catholiques de Chine - 5 millions dans l'Association des catholiques patriotiques (officielle) et de 5 à 10 millions de "clandestins" - est donc à l'ordre du jour. Son sort repose sur les épaules de ce nouvel évêque de Shanghaï, Mgr Joseph Xing, né en 1963 dans le diocèse de Zhoucun, entré au séminaire de Sheshan en 1983 et ordonné prêtre en 1990. En 2003-2004, il a séjourné à New York auprès de la société missionnaire des Maryknoll, où il passe pour "un homme de prière, à la foi profonde et au jugement sûr". Il a accompagné Mgr Jin Luxian dans plusieurs voyages en Australie, en Europe, à Hongkong et aux Philippines.
Le rétablissement des relations diplomatiques entre Pékin et le Vatican est une affaire autrement plus complexe. En avril, le gouvernement chinois avait salué l'élection de Benoît XVI, mais aussi rappelé qu'il mettait comme préalable à tout dialogue l'abandon par le Vatican de ses relations avec Taïwan. "Les difficultés ne sont pas insurmontables" , a pourtant affirmé Mgr Giovanni Lajolo, ministre des affaires étrangères du pape, le 17 juin, lors d'une visite à Singapour : "Comment ne pourrions-nous pas reconnaître un pays où vivent 1,3 milliard de personnes, avec sa tradition de culture et de pensée ?" Mais il a rappelé le préalable du Saint-Siège : la reconnaissance par Pékin de la liberté de religion. De nombreux prêtres et évêques clandestins se trouvent encore en prison. Le culte se déroule de manière clandestine dans des appartements ou des parkings.
Pour les observateurs, les déclarations de Mgr Lajolo, comme les signaux venus de Pékin, laissent penser que le contact a bien été rétabli, même si les questions de fond comme la liberté religieuse et la procédure de nomination des évêques n'ont pas encore reçu de réponse.
Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 01.07.05
Les choses bougent entre la Chine et le Vatican, sur fond de démentis et de rodomontades. Un fait sans précédent s'est produit à la cathédrale Saint-Ignace de Shanghaï, mardi 28 juin, qui pourrait accréditer l'idée d'un changement d'attitude chinoise sur l'épineuse question des nominations d'évêques. Au cours de la cérémonie qui le consacrait comme évêque auxiliaire de Shanghaï, Mgr Joseph Xing Wenzhi, 42 ans, a révélé, devant 2 500 fidèles et des dignitaires du régime, que sa nomination avait été le fruit d'un accord entre le Vatican et les autorités de Pékin.
Cette information, aussitôt diffusée par l'agence Asianews, a été démentie, mercredi 29 juin, par un responsable du Bureau des affaires religieuses de Shanghaï. Démenti embarrassé: Mgr Xing aurait été choisi par l'Eglise catholique (officielle) de Shanghaï et sa nomination approuvée par un "collège des évêques de l'Eglise catholique chinoise" . Notion floue, suivie de cette mise au point : "Cela n'a rien à voir avec le Vatican."
Selon l'agence Eglises d'Asie à Paris, qui tient ses informations du diocèse de Shanghaï, le nouvel évêque a bien été élu, le 17 mai, par un collège de prêtres, de religieux et de laïcs. Mais il a aussi reçu l'assentiment de Rome. Et la présence à la cérémonie de représentants politiques du régime confirme que Pékin n'a pas émis d'objection à cette nomination. A Hongkong, Mgr Zen Ze-kiun, célèbre militant des droits de l'homme, a confirmé le fait : si des évêques "officiels" ont déjà pu être ordonnés, dans le passé, avec le consentement de Rome, c'est la première fois qu'un tel accord est rendu public.
L'enjeu dépasse le cas singulier de ce jeune évêque auxiliaire, Mgr Xing. Shanghaï est le plus grand centre catholique de Chine, avec un clergé nombreux (130 prêtres), un grand séminaire et un centre de dévotion mariale à Sheshan. Et c'est la seule ville où cohabitent, au su de tous, deux évêques très âgés et malades : Aloysius Jin Luxian, jésuite, évêque de l'Eglise "officielle" (depuis 1998), et Joseph Fan Zhongliang, évêque de l'Eglise "clandestine", le seul qui soit soutenu par Rome, très étroitement surveillé par la police.
VERS UNE RÉUNIFICATION
Ce qui se joue avec la nomination d'un jeune évêque auxiliaire à Shanghaï est bien la succession de ces deux hommes et la réunification des deux Eglises. C'est Mgr Jin Luxian, 89 ans, qui a lui-même vendu la mèche à Associated Press, le 23 juin. Il a affirmé que Mgr Joseph Xin était "un bon évêque qui prendra ma succession" et qu'un accord tacite était déjà intervenu entre Rome et Pékin, aux termes duquel Rome ne nommera pas de successeur à l'évêque "clandestin", Mgr Fan, atteint de la maladie d'Alzheimer. "Après sa mort, il n'y aura ainsi plus de division" , s'engage Mgr Jin Luxian. La réunification des catholiques de Chine - 5 millions dans l'Association des catholiques patriotiques (officielle) et de 5 à 10 millions de "clandestins" - est donc à l'ordre du jour. Son sort repose sur les épaules de ce nouvel évêque de Shanghaï, Mgr Joseph Xing, né en 1963 dans le diocèse de Zhoucun, entré au séminaire de Sheshan en 1983 et ordonné prêtre en 1990. En 2003-2004, il a séjourné à New York auprès de la société missionnaire des Maryknoll, où il passe pour "un homme de prière, à la foi profonde et au jugement sûr". Il a accompagné Mgr Jin Luxian dans plusieurs voyages en Australie, en Europe, à Hongkong et aux Philippines.
Le rétablissement des relations diplomatiques entre Pékin et le Vatican est une affaire autrement plus complexe. En avril, le gouvernement chinois avait salué l'élection de Benoît XVI, mais aussi rappelé qu'il mettait comme préalable à tout dialogue l'abandon par le Vatican de ses relations avec Taïwan. "Les difficultés ne sont pas insurmontables" , a pourtant affirmé Mgr Giovanni Lajolo, ministre des affaires étrangères du pape, le 17 juin, lors d'une visite à Singapour : "Comment ne pourrions-nous pas reconnaître un pays où vivent 1,3 milliard de personnes, avec sa tradition de culture et de pensée ?" Mais il a rappelé le préalable du Saint-Siège : la reconnaissance par Pékin de la liberté de religion. De nombreux prêtres et évêques clandestins se trouvent encore en prison. Le culte se déroule de manière clandestine dans des appartements ou des parkings.
Pour les observateurs, les déclarations de Mgr Lajolo, comme les signaux venus de Pékin, laissent penser que le contact a bien été rétabli, même si les questions de fond comme la liberté religieuse et la procédure de nomination des évêques n'ont pas encore reçu de réponse.
Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 01.07.05
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