5.29.2006

En Pologne, Benoît XVI dénonce les "falsifications de l'histoire" du Christ

LE MONDE | 27.05.06 | 13h16 • Mis à jour le 27.05.06 | 13h16
CRACOVIE, CZESTOCHOWA (Pologne) ENVOYÉS SPÉCIAUX

Cracovie a fait au pape Benoît XVI, vendredi 26 mai en fin de journée, un accueil triomphal. Sa papamobile a traversé des rues bondées et pavoisées, recréant l'atmosphère qui entourait chacune des visites de Jean Paul II, l'enfant du pays. Avec la même ferveur, les mêmes chants : "Sto Lat (Qu'il vive cent ans)".
Accrochés en grappes sous le balcon de l'archevêché, rue des Franciscains - d'où Jean Paul II se lançait dans des tirades improvisées -, 3 000 jeunes ont réclamé l'apparition de "Benedetto" avec les mêmes cris que ceux adressés au pape polonais jusqu'à sa dernière visite d'août 2002 : "Viens à la fenêtre. Viens nous parler (...). Ne te laisse pas prier (...)."
La fenêtre - qui n'avait pas été ouverte depuis la mort de Jean Paul II le 2 avril 2005 - a laissé passer Benoît XVI, ému par cette popularité nouvelle. En polonais et en italien, il a adressé quelques mots de remerciement, évoqué la mémoire de son prédécesseur, qui "malgré la mort, est toujours avec nous", et appelé les jeunes à prier pour sa prochaine béatification. Une fois la fenêtre refermée, les cris ont repris : "Benedetto, Reste avec nous (...). On reviendra demain."
Cracovie a donc adopté le successeur de celui qu'elle continue de vénérer comme "son" pape. "Qui aurait pu croire qu'un Allemand serait ainsi accueilli dans une ville bombardée par les nazis et si cruellement occupée ?", constate un témoin âgé. Dans ce sud de la Pologne qui a façonné le destin de Karol Wojtyla, confronté à l'occupation nazie, puis au communisme, Benoît XVI est allé se recueillir, samedi 27 mai, à Wadowice, dans la maison natale de son prédécesseur, et dans les sanctuaires qu'il aimait, de Kalwaria et de Lagiewniki.

"J'AI DEUX PAPES"

Le nom de Czestochowa entretient aussi la légende du pape polonais. Benoît XVI s'y est rendu, vendredi, acclamé par 400 000 fidèles. Jean Paul II avait fait de ce sanctuaire national de la Vierge noire de Jasna Gora - celle qui aurait protégé la Pologne contre l'envahisseur suédois au XVIIe siècle - le symbole de la résistance spirituelle au communisme. Carolina arbore un tee-shirt jaune vif où on peut lire "JP2-B16". Un symbole : "J'ai deux papes", dit-elle en riant.
Nombre de représentants du syndicat Solidarnosc sont aussi dans la foule, venus de Gdansk, Opole, Poznan, Lodz, Lublin, etc. : "C'est à Czestochowa qu'est né Solidarnosc, rappelle l'un d'entre eux. Chaque année en septembre, de 1981 à 1989, des centaines de membres de Solidarnosc se réunissaient ici. Et c'est ici qu'en 1983, lors de sa seconde visite en Pologne, Jean Paul II a rencontré en secret des membres de Solidarnosc."
Depuis, la Pologne a bien changé. A Czestochowa, le pape a délivré un nouveau message contre les intégristes de Radio-Maryja, expliquant que "l'Evangile devait être porté dans les médias, mais avec maturité, sans infantilisme et sans agressivité".
Dans son homélie du matin, avant de quitter Varsovie sous des trombes d'eau, il s'était également lancé dans une fervente défense du message de l'Eglise contre le "relativisme ambiant", contre "les lectures subjectives et sélectives des Ecritures saintes", contre les "falsifications de l'histoire" du Christ. Certains y ont vu une attaque contre le film Da Vinci Code, pour lequel d'immenses panneaux publicitaires remplissent les rues de Varsovie et de Cracovie.
La visite au camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau, dimanche soir, devait être le point culminant de ce premier voyage de Benoît XVI en Pologne. On prêtait l'intention au pape de marcher seul, pour mieux se recueillir et prier.
L'entourage de Benoît XVI insistait ces derniers jours sur le caractère uniquement spirituel de cette démarche, estimant que le pape venait à Auschwitz moins comme Allemand que comme chef de tous les catholiques, désireux d'exprimer sa douleur au peuple juif en particulier.
Devant des journalistes, il a lui-même révélé le sens qu'il donnerait à cette visite : "Auschwitz a montré à quel point l'homme pouvait perdre toute dignité en piétinant les autres. D'un tel lieu, on attend que naissent un nouvel humanisme, une nouvelle vision de l'homme à l'image de Dieu pour que ne se répètent plus jamais de tels crimes."

Célia Chauffour et Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 28.05.06
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