3.21.2005

L'Argentine tient tête au Saint-Siège

Le président Nestor Kirchner a retiré l'accrédition de l'évêque des armées après une polémique sur l'avortement

Lamia Oualalou
[LE FIGARO 21 mars 2005]

Après l'Espagne, engagée le mois dernier dans une vive polémique avec le Vatican à propos de l'usage du préservatif, c'est au tour de la très catholique Argentine de tenir tête au Saint-Siège. Le conflit couve depuis un peu plus d'un mois. Il fait suite aux déclarations du ministre de la santé Gines Gonzalez Garcia en faveur d'une dépénalisation de l'avortement, interdit en Argentine comme dans la majorité des pays d'Amérique latine.
Spécialiste reconnu de santé publique, Gines Gonzalez Garcia soulignait que près de 500 000 avortements clandestins avaient lieu chaque année, provoquant la mort de centaines de jeunes femmes, en particulier dans les milieux défavorisés. Ces propos avaient déclenché la colère de l'évêque des armées Antonio Baseotto, qui, en accord avec la position du Vatican, a estimé qu'un membre du gouvernement «ne pouvait faire l'apologie de l'avortement». Faisant référence à une phrase de l'Evangile, il a conclu que les personnes tenant de tels propos «méritaient qu'on leur attache une pierre autour du cou et qu'on les jette à la mer».
Difficile de trouver métaphore plus malheureuse dans une Argentine travaillée par le souvenir de la dernière dictature (1976-1983). La majorité des 30 000 personnes assassinées par la junte militaire a été jetée dans des sacs lestés de pierres au fond du Rio de la Plata. Que ces propos soient tenus par un évêque est plus douloureux encore : l'Eglise argentine, au contraire de son homologue chilienne qui avait constamment affronté Augusto Pinochet, a le plus souvent fermé les yeux sur les exactions de la dictature.
Le gouvernement du président Nestor Kirchner, formé de nombreux ex-«montoneros», un mouvement guérillero dont les rangs ont été décimés par la dictature, ne pouvait laisser passer un tel discours. Il y a quelques semaines, le chef de l'Etat a demandé au Vatican de rappeler cet évêque. Face au refus du Saint-Siège, Nestor Kirchner a retiré lui-même son accréditation à Antonio Baseotto vendredi dernier. Une bravade très mal prise à Rome où elle a été qualifiée par le porte-parole du Pape, Joaquin Navarro Valls, de «violation de la liberté religieuse». Tout le monde attend désormais de voir si l'aumônier des armées sera autorisé à célébrer l'office demain, dans le cadre de la semaine sainte.
Le bras de fer entre le Vatican et Buenos Aires repose, des deux côtés, sur des considérations de politique intérieure. Le Saint-Siège refuse de céder dans une Amérique latine devenue le premier continent catholique. Nestor Kirchner, qui s'est bâti une image de défenseur des victimes de la dictature, peut difficilement faire marche arrière. La polémique est d'autant plus paradoxale que le président argentin ne souhaite pas ouvrir de discussion sur la légalisation de l'avortement, à laquelle il est clairement opposé. Toutefois, pour son chef de cabinet Alberto Fernandez, la société argentine ne pourra pas longtemps faire l'économie d'un débat sur le sujet : «Cela me rappelle les discussions autour du divorce, quand plus de 3 millions de couples vivaient dans l'illégalité», leur mariage précédent n'ayant pas été légalement dissous.
Le décalage entre la loi et les moeurs est surtout flagrant à Buenos Aires et dans sa région. L'Argentine étant un pays fédéral, les différentes provinces – la capitale en constitue une à elle seule – disposent chacune d'une législation propre. En juillet 2003, Buenos Aires a ainsi célébré le premier mariage homosexuel de l'Amérique latine. Il y a dix jours, un juge de la ville de la Plata, à une soixantaine de kilomètres de la capitale, a été plus loin, en autorisant un homosexuel à bénéficier d'une pension de veuvage à la mort de son compagnon.
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