3.28.2005

Semaine sainte: le calvaire de Jean-Paul II

PÂQUES A Rome, les pèlerins avaient les larmes aux yeux lorsque le Saint-Père a fait son apparition à la fenêtre de ses appartements

Le Vatican: de notre envoyée spéciale, Sophie de Ravinel (avec Hervé Yannou)
[LE FIGARO 28 mars 2005]

«Jean-Paul II est plus que jamais proche de nous, il est avec nous de tout cœur!» Personne, hier, ne faisait vraiment attention à ces paroles prononcées par le cardinal secrétaire d'Etat, Angelo Sodano, à la fin de la cérémonie pascale. Les quelques dizaines de milliers de fidèles présents sur la place Saint-Pierre avaient les yeux, souvent remplis de larmes, rivés sur le Pape. Quelques instants auparavant, il avait fait son apparition à la fenêtre de ses appartements. On ne voit pas grand-chose depuis la place située en contrebas: un visage lointain, des gestes de la main, un secrétaire qui lui tend ou reprend les feuilles sur lesquelles sont inscrits son discours et la bénédiction. Rien de plus. Ils n'ont entendu que le silence de Jean-Paul II. Et son souffle épuisé.
Sur les écrans, son visage amaigri et grimaçant exprimait seulement la douleur et la volonté farouche de rester là, à communier avec la foule. D'un geste brusque, il a écarté un secrétaire qui semblait lui proposer de se retirer. Des quintes de toux le secouaient, sa tête ballottait alors que le vent s'était mis de la partie, battant la tapisserie pourpre frappée aux armes du Pape et accrochée à l'appui de sa fenêtre. Un ciel noir plombait l'atmosphère. Nul n'a entendu la bénédiction murmurée par le Pape dans son micro. Seul le mouvement de ses lèvres pouvait indiquer la volonté vaine de prononcer quelques mots. Cette scène dramatique aura duré près de quinze minutes d'une longueur infinie. Rien ne nous aura été épargné des souffrances traversées par le Souverain Pontife.
Le déroulement de la morne cérémonie n'a pas aidé les esprits à se réjouir de la résurrection du Christ qui était fêtée hier. Alors qu'à l'habitude une dizaine de cardinaux, au moins, participent aux cérémonies pontificales, le secrétaire d'Etat a célébré seul, entouré de deux confrères et d'un très petit nombre d'évêques. Le cardinal Ruini, vicaire de Rome, est arrivé au milieu de la célébration pour la communion. «De nombreux cardinaux ont été invités à présider, ailleurs dans Rome, des messes dites en ce jour de Pâques pour la santé du Pape», dit-on au Vatican en guise d'explication. Le cardinal Sodano n'a pas prononcé d'homélie, se contentant de lire le message Urbi et Orbi, sur la ville et sur le monde, habituellement dévolu au Pape. Ce message invoque le Christ afin qu'il enseigne aux hommes «des paroles et des gestes de paix pour la terre consacrée par (son) sang et baigné du sang de tant de victimes innocentes», en particulier dans «les pays du Moyen-Orient et de l'Afrique».
Ces derniers jours, seul parmi les cardinaux invités à remplacer le Pape durant les cérémonies de Pâques, Joseph Ratzinger a pris la liberté de s'exprimer personnellement. Tandis que les autres se sont contentés de paroles de réconforts, le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi s'est vigoureusement adressé aux fidèles et à la société en général, que ce soit au travers de ses méditations pour le chemin de croix ou de son homélie de la vigile pascale. Samedi soir, il a ainsi expliqué aux fidèles présents dans la basilique Saint-Pierre que «suivre le Christ signifie avoir de la compassion pour les souffrants, avoir un cœur pour les pauvres; cela signifie aussi avoir le courage de défendre la foi contre les idéologies». «Eveillons-nous de notre christianisme fatigué, privé d'élan», a-t-il conclu. Ce même cardinal allemand, doyen du sacré collège, avait été le premier à annoncer publiquement, lors de la deuxième hospitalisation de Jean-Paul II, que ce dernier s'était remis à parler.
Vendredi soir, interrogé par la télévision italienne, il a assuré que «le Pape agit avec une lucidité absolue», qu'il est capable de prendre «les décisions essentielles, un don de Dieu étant donné les souffrances corporelles auxquelles il est soumis».
Ces souffrances sont particulièrement ressenties par les compatriotes polonais du Pape. Hier, ils étaient très nombreux sur la place Saint-Pierre à lui lancer des messages d'encouragement. Parmi eux se trouvait le père Jarek, prêtre et journaliste. Les Polonais qu'il a rencontrés près de l'appartement pontifical ne lui semblent plus très optimistes, contrairement aux semaines précédentes. «De très petits groupes de Polonais continuent tout de même à rencontrer le Pape, croit-il savoir, et un ami très proche de Jean-Paul II, l'universitaire Tadeusz Styczen, a été invité (hier) dans l'appartement pontifical.»
Les observateurs en sont désormais réduits à l'attente éprouvante des informations en provenance du bureau de presse du Saint-Siège ou officie Joaquin Navarro-Valls. Mais il semblerait que lui-même ait quelques difficultés à en obtenir auprès du troisième étage du palais apostolique dirigé par Mgr Stanislaw Dziwisz. Dans cette atmosphère oppressante de fin de règne, les rumeurs quotidiennes alimentent la chronique vaticane. Lundi dernier, on donnait le Pape pour mort. Il était bien là hier, mais nul ne sait pour combien de temps encore.
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