3.02.2005

Une Eglise devenue plus universelle

Par Alain BARLUET
[LE FIGARO 16 octobre 2003]


Sous le pontificat de Jean-Paul II, la « planète catholique » a changé. Evolution démographique, d’abord. Depuis 1978, le nombre de catholiques est passé de 757 millions à plus d’un milliard. Ce cap symbolique a été franchi avec le tournant du siècle : 1,045 milliard, indique l’Annuaire statistique de l’Eglise, dont la dernière édition parue, celle de 2002, porte sur les chiffres de l’an 2000.
Une précision s’impose concernant ces données qui reposent sur le nombre des baptisés, calculé sur la base des déclarations des diocèses à travers le monde. Des chiffres qui, compte tenu de la grande disparité des moyens statistiques d’un pays à l’autre, ne sauraient être qu’indicatifs. D’autant plus que le baptême ne traduit pas, à lui seul, l’entière réalité de la vie chrétienne.
Aujourd’hui, sur cent catholiques, cinquante vivent sur le continent américain, vingt-sept en Europe, douze en Afrique, dix en Asie et un en Océanie. Il y a vingt-cinq ans, trente-cinq étaient européens pour seulement huit asiatiques et sept africains. En un quart de siècle, les effectifs de l’Eglise catholique ont progressé de 38 %.
- Un basculement Nord-Sud. Le véritable bouleversement est d’ordre géographique. Comme le souligne Bernard Lecomte dans sa toute récente biographie du Pape, la grande majorité des catholiques (87 %) vit désormais dans la moitié australe du monde, alors qu’il y a à peine plus d’un siècle, ils étaient massivement installés dans l’hémisphère nord (1). Le glissement continental est spectaculaire.
C’est le cas pour le continent américain, où la baisse des effectifs au nord est compensée par le dynamisme de l’Amérique latine. L’Europe chute très sensiblement tandis que la progression de l’Afrique et de l’Asie apparaît impressionnante. Une nouvelle répartition qui préfigure le futur visage de l’Eglise : près d’un quart des séminaristes sont désormais asiatiques (pour 18 % en 1978) et plus de 18 % africains (9 % il y a 25 ans). L’Amérique latine constitue désormais le principal terrain d’enracinement du catholicisme dans le monde. Environ 90 % de la population y est chrétienne et 80 % catholique.
Berceau de la « théologie de la libération », cette région en proie à de forts déséquilibres sociaux est restée une sorte de « laboratoire doctrinal » pour l’Eglise. Celle-ci y est néanmoins confrontée à une offensive des puissantes Eglises pentecôtistes nord-américaines. L’Amérique du Nord regroupe 71 millions de catholiques (sur 250 millions d’habitants). Aux Etats-Unis, le catholicisme est devenu la première confession chrétienne grâce à l’immigration latino-américaine et vietnamienne qui est venue s’ajouter aux souches italienne et irlandaise. Face au morcellement des protestants (première confession chrétienne en Amérique du Nord), les catholiques bénéficient d’une relative unité.
L’Europe a subi de plein fouet les difficultés liées au vieillissement de sa population et à la sécularisation croissante. En vingt-cinq ans, le nombre de baptisés y est passé de 266 000 à 280 000, soit une progression en valeur absolue limitée à 5 %. Les vocations sont peu nombreuses.
En France, par exemple, les séminaristes étaient 1 161 en 1992 et seulement 927 en 2001. Sur cette même période, toujours en France, les ordinations de prêtres ont baissé (126 en 1992 ; 125 en 2001 avec un étiage à 96 en 1995). Un certain renouveau se traduit néanmoins par l’augmentation des baptêmes d’adultes (21 000 en 2000 dans les paroisses françaises contre seulement 14 000 en 1991).
L’Afrique a connu plus qu’un doublement de sa population catholique (+137 %). Une progression qui a surtout concerné le sud du continent, le nord demeurant majoritairement musulman. La République démocratique du Congo regroupe à elle seule 20 % des catholiques d’Afrique. Les candidats au sacerdoce ont presque quadruplé en 25 ans (passant de 6 000 à 20 000) et le nombre de prêtres a augmenté de 60 % (17 000 à 27 000). Cette Eglise en pleine expansion est devenue missionnaire sur son propre terrain : si un évêque sur cinq est un étranger (souvent européen), les Africains se sont largement substitués aux missionnaires étrangers d’antan.
L’Asie est une région où l’Eglise catholique demeure ultra-minoritaires. Certes, en un quart de siècle, le nombre de baptisés y a progressé de 70 %, les prêtres de 57 % et les séminaristes de 125 %. Mais sur ce continent en pleine expansion démographique et où les confessions non chrétiennes sont fortement enracinées, les catholiques constituent moins de 3 % de la population totale (2,5 % en 1978). Les Philippines, la Corée, le Vietnam, le sud de l’Inde apparaissent comme des « bastions » catholiques.
Plus que jamais, cette région si rétive à l’évangélisation demeure une terre de mission pour l’Eglise de demain.
L’Océanie regroupe moins de 1 % des catholiques. Les protestants sont majoritaires dans les îles du Pacifique et cette immense région faiblement peuplée connaît une prolifération de sectes issues notamment des courants fondamentalistes évangéliques américains.
- Moins de religieux, davantage de laïcs. Le pontificat de Jean-Paul II aura été placé sous le signe d’un engagement de plus en plus grand des laïcs. Le nombre de diacres permanent a explosé, passant de 5 562 en 1978 à 27 824 en 2000 (+400%). Une mue très significative pour l’Eglise, dans la mesure notamment où le phénomène concerne des régions touchées par la montée de l’indifférence religieuse. Les effectifs de diacres ont ainsi progressé de 677 % en Europe, où ils sont passés de 1 133 à 8 813.
Parallèlement, le nombre de religieux a fortement reculé ( 12 % depuis 1978) malgré une légère hausse globale des prêtres diocésains (+ 1,25 %). Ainsi, en Europe, les statistiques indiquent un recul de 16 % des prêtres (religieux et diocésains) et le continent américain, en vingt-cinq ans, n’a pas vu augmenter les ordinations. C’est en bonne partie désormais sur les épaules des laïcs que repose l’avenir de l’Eglise et la transmission de la foi.
- Une nouvelle carte de l’Eglise. Telles qu’elles apparaissent à travers les chiffres, les grandes tendances du catholicisme mondial montrent une Eglise plus « universelle », déployant largement ses bannières hors de ses zones d’implantation traditionnelles. Une nouvelle carte qui lui impose un nouveau défi : rester « une » tout en étant diverse. A l’avenir, ce nouvel équilibre pèsera aussi, inévitablement, sur son gouvernement. Au Sacré Collège, les Occidentaux (Europe et Amérique du Nord) représentent aujourd’hui 59 % des cardinaux électeurs (80 sur 135). Les Latino-Américains (24 cardinaux électeurs), les Africains (13) et les Asiatiques (13) constitueront néanmoins une puissante minorité au sein du futur conclave. Et aucune décision ne se fera sans elle.
(1) Jean-Paul II, Gallimard.
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