4.06.2005

Revenir à Vatican II

POINT DE VUE

par Hans Küng
LE MONDE | 06.04.05 | 14h24  •  Mis à jour le 06.04.05 | 15h15

Jean Paul II fut un pape aux multiples talents et qui prit beaucoup de mauvaises décisions.
Vers l'extérieur, il s'est engagé pour les droits de l'homme, mais à l'intérieur il les a refusés aux évêques, aux théologiens, et d'abord aux femmes. Tout à sa dévotion à Marie, il a prêché aux femmes de nobles idéaux, mais il leur a en même temps interdit la pilule et refusé l'ordination.
Il a prêché contre la pauvreté de masse et la misère dans le monde, mais, en même temps, avec ses conceptions en matière de contrôle des naissances et d'explosion démographique, il s'est rendu coresponsable de cette misère. Il a propagé une image traditionnelle du prêtre, masculine et célibataire, et porte ainsi sa part de responsabilité dans la pénurie catastrophique de prêtres, le recul dramatique des vocations dans de nombreux pays et les scandales de pédophilie dans le clergé, qu'il n'est plus possible de cacher. Il a procédé à des béatifications en quantité inflationniste, mais a parallèlement lancé une véritable inquisition contre les théologiens, les prêtres et les religieux indociles.
Il s'est présenté en chantre de l'oecuménisme, mais il a en même temps fortement hypothéqué les relations avec les Eglises orthodoxes comme les Eglises réformées, et a empêché la reconnaissance de leurs magistères et la communauté de célébration entre protestants et catholiques.
Certes, il avait pris part au concile Vatican II, mais il a bafoué la collégialité entre le pape et les évêques décidée à ce concile, et a célébré en toute occasion le triomphe de la papauté. Il a recherché le dialogue avec les grandes religions, mais, en présentant les religions autres que chrétiennes comme des formes déficitaires de la foi, il les a dès lors disqualifiées.
Il s'est présenté comme le bouillant avocat de la morale privée et publique, mais un rigorisme éloigné des réalités du monde lui a en même temps ôté toute crédibilité en tant qu'autorité morale.
Par ses contradictions, ce pape a profondément polarisé l'Eglise, en a détourné des quantités de gens, et l'a plongée, après le pic de crédibilité qu'elle avait connu à l'époque de Jean XXIII et du concile Vatican II, dans une crise profonde. La haute hiérarchie catholique et ses relais dans les médias en attribuent volontiers la responsabilité exclusive au monde séculier, au relâchement de la morale individuelle et à la perte des valeurs. L'explication est un peu facile : nombre de ces problèmes sont "faits maison", et la crise est d'abord de la responsabilité de cette hiérarchie.
Continuer la politique de ce pon-tificat signifierait ajouter encore à la masse de problèmes accumulés, et fermer toute issue à la crise de l'Eglise catholique. Le nouveau pape doit opter pour un changement de cap et insuffler à l'Eglise le courage de ruptures novatrices - dans l'esprit de Jean XXIII et dans la droite ligne des impulsions réformistes du concile Vatican II.

Hans Küng

Traduit de l'allemand par Patrick Démerin
------------------------------------------------------------------------
Hans Küng est ancien conseiller du concile Vatican II, professeur émérite de théologie oecuménique de l'université de Tübingen.


Article paru dans l'édition du 07.04.05
-->