5.28.2005

Benoît XVI se concentre sur l’Eglise

VATICAN A peine plus d’un mois après son élection, le 19 avril, le successeur de Jean-Paul II a déjà imprimé sa marque

Un mois après son élection, le 19 avril, Benoît XVI remplit la mission qui lui a été confiée par plus des deux tiers des cent quinze cardinaux électeurs : maintenir la foi en poursuivant l’oeuvre de Jean-Paul II. Quelques gestes symboliques comme le fait de renoncer à présider les cérémonies de béatification sont cependant la marque d’un pontificat plus centré sur la mission spécifique du pape et plus dépouillé. Jean-Paul II faisait passer un message au travers de son charisme, des images ou des gestes. Benoît XVI, lui, veut le transmettre par la force d’un discours clair et direct. Jeudi dans les rues de Rome, une grande procession était organisée pour la Fête-Dieu – célébrant le sacrement de l’Eucharistie – entre les basiliques Saint-Jean-de-Latran et Sainte-Marie-Majeure. Benoît XVI présidait cette célébration annuelle. Ses propos sur l’importance de l’Eucharistie et de l’annonce de l’Évangile étaient situés dans l’exacte veine de son prédécesseur.

Sophie de Ravinel et Hervé Yannou
[Le Figaro, 28 mai 2005]

Mais contrairement à Jean-Paul II, Benoît XVI n’a pas profité de cette occasion pour proposer un commentaire spirituel de l’actualité internationale. Non qu’il ne s’y intéresse pas. Ses efforts centrés sur l’établissement de relations diplomatiques avec des pays comme la Chine en témoignent (voir ci-dessous). Tout comme le fait qu’il maintienne le rythme de Jean-Paul II en recevant de nombreuses personnalités politiques. Mais il lui importe avant tout, et «parce que la situation l’impose» comme l’a affirmé récemment le cardinal vicaire de Rome Camillo Ruini, de concentrer son discours sur l’affermissement de la foi au sein du monde catholique. C’est ce qu’il fera dimanche à Bari, pour son premier déplacement comme pape en dehors de Rome.
S’il traite de l’actualité donc, comme dans la basilique Saint-Jean-de-Latran le 7 mai dernier, c’est pour rappeler la constance de la doctrine sur la question de la défense de la vie et de la famille. Un dossier qu’il sait brûlant, en particulier en Occident.
De la même manière, lundi dernier, dans un message adressé aux évêques espagnols, c’est sur le respect de «la liberté religieuse» qui ne doit pas être confinée à «un cadre privé» ainsi que sur «la liberté de conscience de chaque personne» qu’il a centré son intervention. Là encore, il lui semble urgent que l’Église catholique puisse faire entendre sa voix, alors que le gouvernement espagnol s’apprête à légaliser le mariage homosexuel.
Benoît XVI, qui partage exactement les mêmes idées que Jean-Paul II, ne dispose pas du même charisme pour les transmettre.
Comme l’affirme Bernard Lecomte, auteur de la biographie française de référence sur Jean-Paul II, «les premiers textes de Benoît XVI sont plus clairs que ceux de Jean-Paul II, et on sent la forte connivence qui a existé pendant plus de vingt ans entre les deux hommes». Mais il insiste aussi sur le fait que «l’univers du nouveau Pape est un univers d’écrits, de penseurs, de pères de l’Église. Au début de sa carrière Ratzinger était plongé dans un univers de bibliothèque ; Wojtyla dans un univers de jeunes. Cette diversité est essentielle, malgré la proximité intellectuelle. Elle fait la différence dans la manière d’assumer la mission pontificale».
En outre, certains, comme le journaliste Jean-Claude Petit dans son dernier livre (1) se demandent si Benoît XVI n’est pas, «non pas le porte-parole mais l’expression aujourd’hui majoritaire de «forces restauratrices»» dans l’Église.
Le Pape est conscient de ces points de vue qui circulent. Très vite, dès le lendemain de son élection, il a souhaité montrer qu’il n’allait en rien diminuer l’engagement oecuménique de Jean-Paul II.
Par ailleurs, la nomination de son successeur à la Congrégation pour la doctrine de la foi, l’archevêque américain de San Francisco, William Joseph Levada, manifeste davantage une certaine ouverture pragmatique que le moralisme doctrinal. Âge de 69 ans, le futur bras droit du Pape n’est pas considéré comme un conservateur de la ligne «dure» aux États-Unis, bien au contraire.
Enfin, dans sa décision de ne pas présider lui-même les cérémonies de béatification, mais d’en laisser le soin à des cardinaux, manifeste sa volonté de concentrer le ministère du Pape sur des missions précises, essentielles. En outre, c’est le pluriel qu’il avait choisi dans sa devise personnelle : «Collaborateurs de la vérité.»
Mais l’âge compte. A 78 ans, il sait qu’il n’aura pas le quart de siècle de Jean-Paul II pour guider l’Église et y imprimer sa marque. Le style aussi. Lors de sa première audience avec les journalistes, il a été courtois mais discret. L’ensemble a été expédié en vingt minutes, sans contacts personnels. Beaucoup y ont entendu le glas de la papauté surmédiatisée.
Son contact avec les laïcs aussi, est différent. En quelques semaines pourtant, cet intellectuel aux gestes mesurés a déjà détendu son style. Le sourire discret, les bras levés vers la foule pour la saluer deviennent familiers. On relève des pointes d’humour. Mais il improvise peu. Audience après audience, il craint de moins de moins de se faire happer les mains par les fidèles.
Cependant, la longue file des personnalités qui étaient autorisées à venir saluer Jean-Paul II à l’issue de l’audience du mercredi est de l’histoire ancienne. Désormais, seuls quelques rares privilégiés et surtout des religieux ont accès à lui. De même, le Pape ne reçoit plus de petits groupes de fidèles dans ses appartements et ils ne peuvent plus demander à participer à sa messe matinale dans sa chapelle privée. Benoît XVI a le souci de se préserver.
Pourtant, en un peu plus d’un mois de règne, il a su gagner la sympathie des Italiens. Ils sont 78 % à lui offrir une opinion favorable, selon un sondage publié par le quotidien La Repubblica.

(1)L’Église après Jean-PaulII. Les dossiers urgents du nouveau Pape, Jean-Claude Petit. Ed. Calmann-Lévy.
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