Benoît XVI à la jeunesse : "C'est de Dieu que vient la révolution"
LE MONDE | 22.08.05 | 13h31 • Mis à jour le 22.08.05 | 13h31
COLOGNE de notre envoyé spécial
n pape est né, mais une époque des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) a pris fin, samedi 20 et dimanche 21 août, à Marienfeld, près de Cologne. Transis, épuisés par les nuits sans sommeil et une intendance défaillante, 700 000 jeunes catholiques de 193 pays ont participé, samedi, à la veillée de prières autour de Benoît XVI. Le lendemain, pour la messe de clôture, l'affluence aurait atteint, selon les organisateurs, 1,1 million de fidèles. Si le gigantisme des chiffres et la ferveur restent intacts, les JMJ de Cologne ont marqué une profonde rupture par rapport aux éditions précédentes sous Jean Paul II.
On savait que Benoît XVI ne chercherait pas à copier son prédécesseur, mais la surprise fut grande de le voir se dégager si promptement de son ombre tutélaire. La veillée, samedi, n'avait rien de commun avec les "one-man-show" reprochés à l'ancien pape polonais. Le pape allemand ne cherche pas à séduire la foule par des astuces de mise en scène et une gestuelle que son prédécesseur, ancien homme de théâtre, pouvait se permettre. Jusqu'à la caricature, à Cologne, il est resté lui-même, professeur timide et intimidant, délivrant des enseignements longs, arides, sans recherche de la formule qui rallie les applaudissements.
De bout en bout, pendant les quatre jours de sa visite en Allemagne, on l'a vu peu à l'aise dans les bains de foule. Benoît XVI ne se met pas en scène, n'évoque jamais son passé alors même qu'il est dans son pays natal. Les caméras le filment rarement en gros plans. Les cérémonies de samedi et dimanche semblaient avoir été conçues pour privilégier la liturgie sur l'émotionnel. Le fossé qui séparait le podium - d'un goût douteux (une soucoupe volante !) - des longues rangées de jeunes était symbolique de cette volonté de distance et de cette rupture de style.
Les JMJ selon Jean Paul II n'ont jamais été cette "kermesse de la foi" décrite pas certains, mais, dans des stades chauffés à blanc, chacune de ses interventions faisait surgir la flamme, l'enthousiasme, la liesse. Le nouveau pape s'efface derrière le message. Il ne cherche pas à magnétiser, à domestiquer son public. Il est là pour faire ce qu'il sait faire : enseigner, sans aucune boursouflure. Et ce parti pris d'humilité, de modestie a, semble-t-il, fonctionné. Les jeunes ont trouvé ce pape "pacifiant" . Benoît XVI n'est pas un pape ennuyeux, mais, disent-ils, intérieur et spirituel. Certains retournaient même la formule, dont on abusait sous Jean Paul II, selon laquelle les jeunes préféraient le chanteur à la... chanson. A Cologne, les jeunes ont fait bon accueil à l'un et l'autre.
NON AUX RELIGIOSITÉS PARALLÈLES
Et la "chanson" de Benoît XVI ne fut pas non plus celle d'un Jean Paul II insistant (au moins jusqu'aux JMJ de Paris en 1997) sur les interdits sexuels de l'Eglise. A Cologne, le pape Ratzinger n'a pas parlé de drogue ou de préservatif, de pilule ou de pornographie. Il a fait passer la spiritualité avant la morale. Il a traité des questions existentielles des jeunes : leur place dans une société indifférente à Dieu ; leurs inquiétudes devant un monde traversé par le fanatisme religieux ; le bon usage de la liberté ; la tentation de se tourner vers des formes de religiosité parallèles et moins exigeantes que la foi chrétienne. Sur tous ces thèmes aussi, Benoît XVI a fait entendre sa différence.
Lors de la veillée de samedi, il s'est adressé à une génération qui, selon lui, a perdu ses illusions dans les révolutions d'hier : "Au cours du siècle qui vient de s'écouler, a t-il dit, nous avons vécu les révolutions dont le programme commun était de ne plus rien attendre de Dieu, mais de prendre totalement dans ses mains la cause du monde." Le pape propose une autre voie : "Ce ne sont pas les idéologies qui sauvent le monde. C'est le fait de se tourner vers le Dieu vivant, garant de notre liberté, de ce qui est bon et vrai (...). C'est seulement de Dieu que vient la véritable révolution, le changement décisif du monde."
A cette jeunesse qui s'interroge sur le sens de sa liberté, le pape a adressé, dans son homélie de dimanche, un autre message : "Liberté ne veut pas dire jouir de la vie, se croire absolument autonomes, mais s'orienter selon la mesure de la vérité et du bien." Et il a ajouté : "Il existe, dans de vastes parties du monde, un étrange oubli de Dieu. Mais, dans le même temps, il existe un sentiment de frustration, d'insatisfaction de tout et de tous. On ne peut alors que s'exclamer : il n'est pas possible que ce soit cela la vie !" Des paroles très applaudies.
Le pape s'en est pris alors à toutes les formes du boom religieux qui cohabite avec cet oubli de Dieu : "La religion devient un produit de consommation. On choisit ce qui plaît et certains savent en tirer un profit. Mais la religion recherchée comme une sorte de bricolage ne nous aide pas. Elle est commode, mais, dans les moments de crise, elle nous abandonne à nous-mêmes."
Les JMJ selon Jean Paul II avaient fait émerger une génération de croyants décomplexés, enthousiastes, actifs, préférant à une pratique régulière à l'église des temps forts de rassemblement, de liturgie et de pèlerinage. La "génération Jean Paul II" survivra sans doute à son fondateur, mais, sous Benoît XVI, elle s'exprimera autrement. Les prochaines JMJ devraient avoir lieu à Sydney, en 2008. Mais la personnalité du pape imposera sans doute d'autres types de rassemblements.
Henri Tincq
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Une organisation chaotique
De nombreux participants ont déploré l'organisation "catastrophique" des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de Cologne. Les déplacements des pèlerins entre des sites très éclatés ont été chaotiques pendant huit jours. A l'issue de la messe de clôture, dimanche à Marienfeld, à 27 km de Cologne, une pagaille généralisée s'est produite, en raison d'un défaut de navettes. Des dizaines de milliers de pèlerins ont été contraints de gagner à pied les villes de Harrem et Frechen, distantes de plusieurs kilomètres, pour rejoindre le réseau de train et de tramways de Cologne. Devant l'afflux des jeunes, les gares ont été vite saturées puis fermées et le trafic interrompu.
Pendant la semaine, de nombreux arrêts dans les transports publics ont aussi bloqué les participants, retardant de plusieurs heures le retour dans les lieux d'hébergement. Un grand nombre d'évêques et d'officiels n'ont pas été épargnés par les défaillances de l'organisation. Les participants se sont également plaints de l'approvisionnement en paniers repas, qui a connu d'importantes ruptures. - (Corresp.)
Article paru dans l'édition du 23.08.05
COLOGNE de notre envoyé spécial
n pape est né, mais une époque des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) a pris fin, samedi 20 et dimanche 21 août, à Marienfeld, près de Cologne. Transis, épuisés par les nuits sans sommeil et une intendance défaillante, 700 000 jeunes catholiques de 193 pays ont participé, samedi, à la veillée de prières autour de Benoît XVI. Le lendemain, pour la messe de clôture, l'affluence aurait atteint, selon les organisateurs, 1,1 million de fidèles. Si le gigantisme des chiffres et la ferveur restent intacts, les JMJ de Cologne ont marqué une profonde rupture par rapport aux éditions précédentes sous Jean Paul II.
On savait que Benoît XVI ne chercherait pas à copier son prédécesseur, mais la surprise fut grande de le voir se dégager si promptement de son ombre tutélaire. La veillée, samedi, n'avait rien de commun avec les "one-man-show" reprochés à l'ancien pape polonais. Le pape allemand ne cherche pas à séduire la foule par des astuces de mise en scène et une gestuelle que son prédécesseur, ancien homme de théâtre, pouvait se permettre. Jusqu'à la caricature, à Cologne, il est resté lui-même, professeur timide et intimidant, délivrant des enseignements longs, arides, sans recherche de la formule qui rallie les applaudissements.
De bout en bout, pendant les quatre jours de sa visite en Allemagne, on l'a vu peu à l'aise dans les bains de foule. Benoît XVI ne se met pas en scène, n'évoque jamais son passé alors même qu'il est dans son pays natal. Les caméras le filment rarement en gros plans. Les cérémonies de samedi et dimanche semblaient avoir été conçues pour privilégier la liturgie sur l'émotionnel. Le fossé qui séparait le podium - d'un goût douteux (une soucoupe volante !) - des longues rangées de jeunes était symbolique de cette volonté de distance et de cette rupture de style.
Les JMJ selon Jean Paul II n'ont jamais été cette "kermesse de la foi" décrite pas certains, mais, dans des stades chauffés à blanc, chacune de ses interventions faisait surgir la flamme, l'enthousiasme, la liesse. Le nouveau pape s'efface derrière le message. Il ne cherche pas à magnétiser, à domestiquer son public. Il est là pour faire ce qu'il sait faire : enseigner, sans aucune boursouflure. Et ce parti pris d'humilité, de modestie a, semble-t-il, fonctionné. Les jeunes ont trouvé ce pape "pacifiant" . Benoît XVI n'est pas un pape ennuyeux, mais, disent-ils, intérieur et spirituel. Certains retournaient même la formule, dont on abusait sous Jean Paul II, selon laquelle les jeunes préféraient le chanteur à la... chanson. A Cologne, les jeunes ont fait bon accueil à l'un et l'autre.
NON AUX RELIGIOSITÉS PARALLÈLES
Et la "chanson" de Benoît XVI ne fut pas non plus celle d'un Jean Paul II insistant (au moins jusqu'aux JMJ de Paris en 1997) sur les interdits sexuels de l'Eglise. A Cologne, le pape Ratzinger n'a pas parlé de drogue ou de préservatif, de pilule ou de pornographie. Il a fait passer la spiritualité avant la morale. Il a traité des questions existentielles des jeunes : leur place dans une société indifférente à Dieu ; leurs inquiétudes devant un monde traversé par le fanatisme religieux ; le bon usage de la liberté ; la tentation de se tourner vers des formes de religiosité parallèles et moins exigeantes que la foi chrétienne. Sur tous ces thèmes aussi, Benoît XVI a fait entendre sa différence.
Lors de la veillée de samedi, il s'est adressé à une génération qui, selon lui, a perdu ses illusions dans les révolutions d'hier : "Au cours du siècle qui vient de s'écouler, a t-il dit, nous avons vécu les révolutions dont le programme commun était de ne plus rien attendre de Dieu, mais de prendre totalement dans ses mains la cause du monde." Le pape propose une autre voie : "Ce ne sont pas les idéologies qui sauvent le monde. C'est le fait de se tourner vers le Dieu vivant, garant de notre liberté, de ce qui est bon et vrai (...). C'est seulement de Dieu que vient la véritable révolution, le changement décisif du monde."
A cette jeunesse qui s'interroge sur le sens de sa liberté, le pape a adressé, dans son homélie de dimanche, un autre message : "Liberté ne veut pas dire jouir de la vie, se croire absolument autonomes, mais s'orienter selon la mesure de la vérité et du bien." Et il a ajouté : "Il existe, dans de vastes parties du monde, un étrange oubli de Dieu. Mais, dans le même temps, il existe un sentiment de frustration, d'insatisfaction de tout et de tous. On ne peut alors que s'exclamer : il n'est pas possible que ce soit cela la vie !" Des paroles très applaudies.
Le pape s'en est pris alors à toutes les formes du boom religieux qui cohabite avec cet oubli de Dieu : "La religion devient un produit de consommation. On choisit ce qui plaît et certains savent en tirer un profit. Mais la religion recherchée comme une sorte de bricolage ne nous aide pas. Elle est commode, mais, dans les moments de crise, elle nous abandonne à nous-mêmes."
Les JMJ selon Jean Paul II avaient fait émerger une génération de croyants décomplexés, enthousiastes, actifs, préférant à une pratique régulière à l'église des temps forts de rassemblement, de liturgie et de pèlerinage. La "génération Jean Paul II" survivra sans doute à son fondateur, mais, sous Benoît XVI, elle s'exprimera autrement. Les prochaines JMJ devraient avoir lieu à Sydney, en 2008. Mais la personnalité du pape imposera sans doute d'autres types de rassemblements.
Henri Tincq
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Une organisation chaotique
De nombreux participants ont déploré l'organisation "catastrophique" des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de Cologne. Les déplacements des pèlerins entre des sites très éclatés ont été chaotiques pendant huit jours. A l'issue de la messe de clôture, dimanche à Marienfeld, à 27 km de Cologne, une pagaille généralisée s'est produite, en raison d'un défaut de navettes. Des dizaines de milliers de pèlerins ont été contraints de gagner à pied les villes de Harrem et Frechen, distantes de plusieurs kilomètres, pour rejoindre le réseau de train et de tramways de Cologne. Devant l'afflux des jeunes, les gares ont été vite saturées puis fermées et le trafic interrompu.
Pendant la semaine, de nombreux arrêts dans les transports publics ont aussi bloqué les participants, retardant de plusieurs heures le retour dans les lieux d'hébergement. Un grand nombre d'évêques et d'officiels n'ont pas été épargnés par les défaillances de l'organisation. Les participants se sont également plaints de l'approvisionnement en paniers repas, qui a connu d'importantes ruptures. - (Corresp.)
Article paru dans l'édition du 23.08.05
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