8.18.2005

Benoît XVI rend visite à une Eglise allemande fragile et contestataire

LE MONDE | 17.08.05 | 13h51 • Mis à jour le 17.08.05 | 20h38
COLOGNE de notre envoyé spécial

eux Mercedes flambant neuves sont exposées sur le parvis de la cathédrale de Cologne. On croit à une campagne publicitaire, mais c'est le gros lot d'une tombola organisée par le diocèse rhénan, pourtant le plus riche du pays, pour subvenir à ses besoins. L'Eglise catholique d'Allemagne ­ - que va visiter Benoît XVI du jeudi 18 au dimanche 21 août à l'occasion des JMJ - ­ essaie de joindre les deux bouts.
Le diocèse d'Essen doit vendre la moitié de ses églises et supprimer un millier d'emplois de laïcs. Celui d'Aix-la-Chapelle est au bord de la faillite. Tous les budgets sont révisés à la baisse. On vend des locaux paroissiaux, on licencie dans les Kindergarten (jardins d'enfants), on restructure le tissu des paroisses pour faire face au manque de prêtres et de finances. " Le poisson sent mauvais de la tête" , commente Daniel Deckers, journaliste à la Frankfurter Allgemeine.
A Bonn, l'église Saint-Jean-Baptiste, de style néogothique, ne fait le plein qu'à Pâques ou à Noël. Saint-Hilaire a été désaffectée et transformée en lieu d'exposition. Le réseau des facultés de théologie devient disproportionné. "Chaque évêque a voulu avoir sa faculté et a embauché trop de professeurs de théologie. Aujourd'hui, les théologiens sont trop soucieux de protéger leur emploi et ne prennent plus de risques" , explique le théologien Heinzgerd Brackmann, qui se souvient des fébriles années 1960 où les étudiants s'arrachaient les "polycopiés" du jeune professeur Ratzinger et de son confrère Hans Küng, l'ennemi numéro un du futur pape.
Hier citée en exemple pour sa prospérité, son audace théologique, ses mouvements, ses réseaux d'écoles et d'hôpitaux, ses associations humanitaires, ses rassemblements de masse (les Katholikentage ), l'Eglise catholique allemande donne de sérieux signes de faiblesse. Et, dans un pays où la collaboration oecuménique est ancienne, savoir que l'Eglise protestante (EKD) connaît une situation aussi grave, ne console personne.
Comment en est-on arrivé là ? Les responsables invoquent la baisse de la démographie, celle des emplois et des revenus, qui a pour conséquence un moindre rendement de l'impôt destiné à l'Eglise (Kirchensteuer ), ici, obligatoire. Ils mettent en cause, depuis la réunification, les vents de la sécularisation et de l'agnosticisme venus de l'ex-Allemagne de l'Est communiste. Dans les Länder de l'Est, les "sans-Eglise" et "sans-religion" sont très majoritaires. Seul un quart de la population de Berlin adhère à une Eglise. C'est pire en Saxe et en Thuringe. A l'Est, un jeune sur cent va à l'église le dimanche, contre 14 % chez les plus de 60 ans.

"ÉVAPORATION DE LA FOI"

Mais ces raisons ne suffisent pas. Il se produit ce que Klaus Nientiedt, journaliste du Herder Correspondenz , appelle une "évaporation de la foi" . Les Eglises gardent une belle surface sociale en Bavière, en Rhénanie, dans le Bade-Wurtemberg. Avec 500 000 salariés, des ONG comme la Caritas (catholique) ou la Diakonisches Werk (protestante) restent parmi les plus gros employeurs du pays. En faisant des salariés de quelque 3 000 "assistants de pastorale" laïcs, l'Eglise fait aussi bien des envieux, surtout en France. Les Katholikentage de 2004 à Ulm ont attiré 40 000 personnes et le Comité central des catholiques (ZDK) est un partenaire de discussion privilégié avec les partis, les élus et les évêques.
Mais les pratiques et les signes d'appartenance religieuse s'effritent. Dans un Land aussi catholique que la Bavière, on ne compte plus que six baptêmes pour dix naissances. Pour l'ensemble du pays, sur cent mariages entre conjoints catholiques, seuls quarante-six se passent à l'église. Le nombre des prêtres (moins de 14 000) est en chute libre. Les services des paroisses se regroupent et perdent leur vertu de proximité. La fréquentation de l'enseignement religieux recule.
La vente des églises elles-mêmes ne provoque pas de révolte. "On exige seulement qu'elles ne reviennent pas aux Turcs musulmans" , lance un paroissien de Cologne. "C'est la fin d'une époque, la fin d'une Eglise assise sur sa structure de paroisses , résume Hans Paulus, responsable de formation. Les normes n'existent plus et les jeunes vont chercher ailleurs des raisons de vivre. La foi est toujours là. C'est son expression qui a changé."
Le mouvement de "sorties d'Eglise" (qui s'exprime par le refus de payer l'impôt), amorcé avec la surcharge fiscale imposée par la réunification, s'est poursuivi dans les années 1990. L'Eglise catholique perd 100 000 fidèles chaque année, la protestante le double. Avant la réunification, neuf Allemands de l'Ouest sur dix se déclaraient membres d'une Eglise : 45 % de protestants, 45 % de catholiques. Aujourd'hui, la population se divise en un tiers de catholiques (26 millions), un tiers de protestants, un tiers d'agnostiques. " Dans les années 1960, la question posée à l'autre était : "Es-tu catholique ou protestant ?" M aintenant, c'est : "Es-tu encore membre d'une Eglise ?" ", s'inquiète Stefan Vesper, secrétaire général du Comité central des catholiques (ZDK). Candidat CDU à Bonn aux élections de septembre, il s'entend conseiller de ne pas faire trop état de son appartenance à l'Eglise.

DIVORCE AVEC LE VATICAN

Le deuil qui a suivi la mort de Jean Paul II, le 2 avril, l'élection surprise d'un cardinal allemand, la préparation des Journées mondiales de la jeunesse ont rempli les églises et mis un peu de baume au coeur des responsables. Mais le divorce entre les Allemands et le Vatican est toujours là : la soumission au diktat de Rome imposant aux catholiques le retrait des centres de consultation préavortement a été ressentie comme une "capitulation" . La discipline concernant les divorcés-remariés (interdits de sacrement) n'est plus comprise et est violée. La lenteur du rapprochement oecuménique, l'interdiction de l'"intercommunion" et des célébrations communes avec les protestants décourage les meilleures volontés des deux camps.
Face à la crise, les évêques ne cachent même plus leurs divisions. Dans la faction hyperconservatrice, le cardinal Joachim Meissner, archevêque de Cologne, est la figure de proue. Dans l'autre camp, plus ouvert aux débats de société, invités réguliers des plateaux de télévision, le cardinal Karl Lehmann, évêque de Mayence, et Mgr Franz Kamphaus, du Limbourg, ont l'estime des intellectuels. Les deux camps sont en désaccord sur la stratégie de sortie de crise.
" Moins d'argent, moins de prêtres, moins de croyants. Il faut faire avec les moins" , dit le cardinal Meissner, qui se replie sur le "petit troupeau" des pratiquants et des groupes conservateurs, avant d'imaginer une hypothétique reconquête. Il a fait scandale le 23 juin en déclarant à la Westdeutsche Zeitung que le parti CDU (chrétien-démocrate) devait renoncer à son étiquette chrétienne. Pour lui, la CDU d'Angela Merkel ­ qu'il n'épargne pas de ses critiques parce qu'elle est protestante et divorcée ­ n'est pas assez combative contre l'avortement ou les mouvements gays.
Il s'est élevé contre le dernier Katholikentag d'Ulm, qui avait invité des contestataires et des militants homosexuels. "Meissner est né en Silésie et était évêque de Berlin. Il ne connaît rien à la mentalité de l'Ouest , observe Klaus Nientiedt. Jean Paul II l'a nommé à Cologne en 1988 comme symbole de l'unité des deux Allemagnes. Mais, depuis, il n'a rien appris, ni compris ce qu'était une société pluraliste ." Le mandat de Mgr Lehmannn, président de la conférence des évêques depuis dix-huit ans, expire en septembre et sa réélection est loin d'être acquise.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 18.08.05
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