2.08.2005

"La souffrance du Pape nous émeut"

article publié le 08-02-2005 sur le site www.la-croix.com

Les données sur l’état de santé réel de Jean-Paul II ne dépassent pas le cercle immédiat autour de lui. Entretien avec le cardinal Poupard, président du Conseil pontifical pour la culture
La Croix: Le Carême s’ouvre aujourd’hui, marqué par une forte inquiétude pour la santé du Pape. Quel est votre état d’esprit à cet égard ?

Cardinal Paul Poupard : Nous sommes aujourd’hui plus d’un milliard de catholiques (1,08) à entrer en Carême, cette période de quarante jours, quadragesimo, marquée par la préparation à la fête de Pâques. L’Église nous invite à en faire une retraite spirituelle, avec à la fois une prière plus fervente et un effort de mortification personnelle. Comme dans une famille dont le père est malade, nous prions pour le Saint-Père, et nous suivons avec affection l’évolution, et ces jours derniers avec joie l’amélioration de son état de santé, après les préoccupations de la semaine dernière.

Disposez-vous, comme cardinal et chef de dicastère romain, d’éléments particuliers d’information sur la santé de Jean-Paul II ?

Je n’ai, à cet égard, vous le savez bien, pas plus d’informations que vous et que mes confrères. Avec une vingtaine d’entre eux (1), nous venons d’avoir trois jours de réunion, la « plénière » annuelle de la Congrégation pour l’éducation catholique. Nous avons bien sûr tout spécialement prié pour le Saint-Père, et travaillé dans un climat de grande sérénité.

Comme homme de culture, quel sens voyez-vous à l’agitation médiatique de ces derniers jours ?

Elle témoigne à quel point nous vivons une réelle globalisation à l’échelle du monde entier, et aussi de la place prise par la culture médiatique depuis quatre décennies. C’est une mutation culturelle considérable. Je me souviens de la maladie de Jean XXIII, dont j’étais le jeune collaborateur en 1963, et de mon premier entretien à la télévision pour une émission alors célèbre : «Cinq colonnes à la une». Nous étions bien loin du tapage actuel et de la pression médiatique constante pour en savoir toujours plus… J’ajoute que Jean-Paul II, par sa présence médiatique exceptionnelle depuis un quart de siècle sur la scène mondiale, l’attentat dramatique dont il a été victime le 13 mai 1981, son action inlassable pour le dialogue et la paix, ainsi que par ses voyages, a suscité un intérêt croissant et une attention énorme pour sa personne.
Rien que l’an dernier, plus d’un million et demi de personnes sont entrées en contact avec lui à travers les audiences et les célébrations liturgiques. La dimension médiatique actuelle me réjouit donc par le rayonnement du Saint-Père dont elle témoigne. En même temps, elle me préoccupe quand elle risque de porter atteinte à la réserve respectueuse dont nous entourons naturellement un malade dans nos familles. Que peut-il rester, légitimement, de sa vie privée à une personne qui devient publique à ce point ?

Vit-on ce Carême au Vatican dans une ambiance particulière ?

Bien sûr. Nous ne vivons pas dans la stratosphère ! Ce Carême est nécessairement marqué, ici comme pour tous les catholiques, par la souffrance du Saint-Père qui nous émeut et que nous partageons, comme nous avons partagé avec le monde entier la catastrophe du Sud-est asiatique, dans la prière redoublée et la solidarité multipliée.

En France, le Carême est souvent appelé dans les médias « le Ramadan des chrétiens ». Que signifie pour vous une telle comparaison ?

Parler de « Ramadan des chrétiens », comme le font certains médias, montre leur inculture, bien sûr, puisqu’ils prennent comme référence principale ce qui ne touche qu’une faible partie (quatre millions, sur 63 millions de Français) de la population. Mais cela montre aussi que l’abstinence rigoureuse de toute nourriture avant le coucher du soleil, pendant un mois pour les musulmans fidèles, retient forcément davantage l’attention que la pratique pénitentielle des chrétiens, de plus en plus allégée jusqu’à devenir comme insignifiante pour les médias : jeûne du mercredi des Cendres et du Vendredi saint (donc deux jours seulement), qui n’exclut ni une collation matinale ni une autre dans la soirée et abstinence de viande tous les vendredis de Carême. À cela s’ajoutent les mortifications et privations souvent conseillées (tabac, télévision…).
Il manque le témoignage collectif spectaculaire. D’ailleurs, pour les chrétiens, le sens premier du Carême est donné par la formule liturgique de l’imposition des cendres en ce mercredi : « Convertissez-vous et croyez en l’Évangile. » C’est là l’essentiel, décrit d’ailleurs par le code de droit canonique (c. 1249). Un renouveau se manifeste aujourd’hui : le mois dernier, à l’occasion d’une conférence à Boulogne-Billancourt, je prenais connaissance de l’initiative d’une paroisse qui propose aux familles des boîtes dans lesquelles elles trouvent des enveloppes avec des textes bibliques à méditer et un CD avec musique de Jean-Sébastien Bach, pour leur faciliter l’entrée en silence par la méditation. J’ai dit au curé que c’était génial !

Comment vit-on le Carême au Vatican ?

Nous le commençons tous les ans avec le Saint-Père (pas cette année, bien sûr) par une procession qui va, sur l’Aventin pour la cérémonie des cendres. Puis, nous avons à la chapelle Redemptoris Mater du Palais apostolique les exercices spirituels, du soir du premier dimanche de Carême au samedi suivant (cette année, du 13 au 19 février) avec la récitation commune des laudes, tierces et vêpres, et quatre méditations par jour, données cette année par l’évêque de Novara ; cette retraite comporte enfin, le soir, l’adoration du Saint-Sacrement et la bénédiction eucharistique. Le Jeudi saint, nous sommes invités à faire une offrande substantielle de partage à une intention particulière pour les œuvres de charité du Saint-Père : Terre sainte, Proche-Orient, catastrophe naturelle… Le Carême est ainsi vécu comme un temps de prière, de privation et de partage.

Propos recueillis par Yves PITETTE et Isabelle de GAULMYN, à Rome

(1) Les cardinaux Ratzinger, Macharski, Danneels, Martini, Wetter, Simonis, Law, Biffi, Tumi, Sterzinsky, Carles Gordo, Maida, Sandoval, Rouco Varela, Schönborn, Dias, Backis, Policarpo et Erdö.

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«Il veut accomplir sa charge jusqu’au bout»
Invité, hier, du journal de 13 heures sur France 2, le cardinal Jean-Marie Lustiger a assuré, sur la base d’un «déjeuner en tête à tête de plus d’une heure» avec le Pape il y a deux mois, qu’il lui a «posé toutes sortes de questions très précises, intelligentes, perspicaces». Se disant très touché par «sa présence», l’archevêque de Paris a affirmé que Jean-Paul II voulait «accomplir sa charge, jusqu’au bout». Il a insisté sur la discrétion du Pape : «Il ne parle pas de lui-même, il ne parle pas de sa souffrance, il n’a pas honte de son état physique dont il a une conscience aiguë ; c’était un sportif…»
Pour ce qui est du gouvernement de l’Église catholique, Jean-Paul II a, selon le cardinal Lustiger, «conscience que c’est dans cet état qu’il doit accomplir sa mission, car il participe à un rôle spirituel à l’égard des hommes qui, eux aussi, sont dans cet état. […] On a du mal à comprendre que le Pape participe à sa destinée de disciple du Christ et qu’il porte sa maladie comme une part à la vie du Christ. […] Le gouvernement ordinaire de l’Église en pâtit peut-être, mais cela marche quand même. On s’imagine toujours le rôle du Pape comme celui d’un manager, alors qu’il est un exemple et un signe. Suivre jusqu’au bout sa vie en lui donnant le sens maximum pour témoigner de Christ, c’est aussi formidable !»
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