3.30.2005

Mgr Romero, la béatification attendue

La Croix

Vingt-cinq ans après son assassinat, la béatification de l'archevêque de San Salvador, longtemps freinée, ne semble plus rencontrer d'obstacles
Des yeux pensifs derrière des verres épais, la calotte d’évêque surmontant un visage grave… Le portrait de Mgr Oscar Arnulfo Romero, assassiné, voici vingt-cinq ans, le 24 mars 1980, alors qu’il célébrait la messe dans son diocèse de San Salvador, figure aujourd’hui dans de nombreuses maisons, chapelles, échoppes du Salvador, et, plus largement, de l’Amérique latine. Ici, on le retrouve sur une fresque pour dénoncer le système de santé, là, l’icône décore un coin de ruelle.
Au Salvador, «l’ancien archevêque est déjà béatifié par la “vox populi”», constate ainsi Mgr Bellino Ghirard, évêque de Rodez, président du Comité épiscopal France-Amérique latine (Cefal). Et, samedi 2 avril, la foule devrait être nombreuse à San Salvador (en raison de la Semaine sainte, les commémorations ont été décalées d’une semaine) pour assister à la messe célébrée par le cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga, archevêque de Tegucigalpa (Honduras), suivie d’une marche aux flambeaux et d’une veillée populaire.
En assassinant froidement l’évêque de San Salvador, il y a vingt-cinq ans, les tueurs, proches de l’extrême droite du pays, avaient voulu détruire un symbole politique. Mgr Romero était devenu depuis plusieurs années le défenseur infatigable des droits de l’homme, dans un pays secoué par les violences des «escadrons de la mort».

En 1979, Jean-Paul II lui recommande plus de prudence

«Lors des prédications du dimanche, il n’hésitait pas à dénoncer ceux qu’il estimait en partie responsables, à savoir les États-Unis. La veille de sa mort, il avait demandé aux soldats de laisser leurs fusils», raconte Bertrand Jègouzo, secrétaire administratif du Cefal. Des dénonciations qui gênent. En mai 1979, Jean-Paul II recommande la prudence à l’archevêque de San Salvador en visite à Rome : «Il vaut mieux s’en tenir aux principes plutôt que de mettre en cause des hommes ou des institutions», lui aurait-il dit.
Mgr Romero continue cependant. Il sera assassiné un an après. Et lors de son enterrement, cérémonie très tendue, l’armée finit par tirer sur la foule, ajoutant plusieurs dizaines de victimes à un tableau déjà particulièrement sombre…
Pour l’archevêque de San Salvador, la dimension politique de la foi s’inscrivait directement dans l’option pour les pauvres. Dans une intervention qu’il fit à l’Université catholique de Louvain, en février 1980, quelques mois avant sa mort, il s’en expliquait précisément : «La foi chrétienne ne nous sépare pas du monde, mais elle nous y plonge tout entiers ; l’Église n’est pas un ghetto séparé de la société, mais elle suit Jésus qui a vécu, travaillé, lutté, et qui est mort au cœur de la société, de la “polis”.»
Il s’agit là d’une évolution spirituelle. Car, lorsqu’il fut nommé le 8 février 1977 archevêque de San Salvador, Mgr Romero n’était pas un «révolutionnaire». Il s’était même opposé à la «ligne de Medellin» (réunion qui, en 1968, marque l’avènement de la «théologie de la libération»). C’est comme pasteur, témoin des exactions de l’armée sur ceux qu’il appelle «ses enfants», que naît sa révolte. L’assassinat en 1977 de son ami, le jésuite Rutilio Grande, sera déterminant, et l’histoire de Mgr Romero devient alors celle d’une nouvelle expérience de Dieu, qu’il ne pouvait plus séparer de la réalité des pauvres.
La cause de béatification de Mgr Romero a été ouverte, peu de temps après sa mort. Sa phase diocésaine est achevée en février 1996, lors du second voyage de Jean-Paul II au Salvador. Mais la cause est longtemps restée au point mort. Certains évêques du Salvador, et plus largement de l’Amérique latine, craignent de voir ainsi légitimer la très controversée «théologie de la libération».

Aujourd'hui, même les évêques les plus hostiles se sont ralliés

À Rome aussi, on se méfie des répercussions politiques : «La Congrégation pour la doctrine de la foi s’y est longtemps opposée», reconnaît le postulateur de la cause, Mgr Vincenzo Paglia, évêque de Terni (Italie), accompagnateur de la communauté de Sant’Egidio. «Mais aujourd’hui, constate le P. Jean-Louis Genoux, prêtre fidei donum en Amérique latine, même les évêques les plus hostiles s’y sont ralliés, devant la ferveur populaire. Ils insistent sur la très grande piété de l’ancien archevêque.»
Même le point le plus litigieux, sa béatification au titre de «martyr», ce que demandaient les tenants de sa cause, ne semble plus faire obstacle. «C’est bien ainsi que nous examinons le dossier», confirme à Rome le P. Daniel Ols, dominicain travaillant à la Congrégation pour les causes des saints et rapporteur de la cause.
Pourtant, il semble difficile, d’un point de vue strictement canonique, de prouver qu’il est mort «à cause de la haine de la foi». Mais justement, plaide Mgr Ghirard, «le reconnaître comme martyr de la foi, c’est reconnaître qu’il mettait en pratique, par ses paroles et ses actes, l’Évangile de Matthieu 25. Dans le temps, il a bien vécu au jour le jour dans le témoignage de la foi. C’est cette expérience de foi que l’on a voulu détruire.»
Jean-Paul II, en rajoutant le nom de l’archevêque de San Salvador sur la liste des martyrs dont le nom fut cité lors de l’hommage jubilaire aux «témoins de la foi», le 7 mai 2000 au Colisée de Rome, a sans doute permis que le dossier reprenne son rythme.
Le postulateur déclarait la semaine dernière que la «position» devrait être bientôt présentée à la Congrégation pour les causes des saints. Là, cette cause de béatification prendra sa place dans la longue file d’attente actuelle. L’embouteillage est tel, que cela peut ensuite durer une dizaine d’années… sauf intervention directe du Pape, qui permettrait d’accélérer le processus.

Isabelle de GAULMYN
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