8.29.2005

Le pape Benoît XVI reçoit pour la première fois depuis le schisme le chef de file des traditionalistes

LE MONDE | 29.08.05 | 13h10 • Mis à jour le 29.08.05 | 13h10

Le pape Benoît XVI devait recevoir pour la première fois, lundi 29 août, à Castel Gandolfo, sa résidence d’été, Mgr Bernard Fellay, évêque excommunié, supérieur de la fraternité sacerdotale Saint-Pie X et chef de file des catholiques traditionalistes. Ceux-ci sont estimés à 200 000, dont la moitié en France.
Mgr Fellay, un Suisse de 48 ans, est le successeur de Mgr Marcel Lefebvre, évêque français dissident du concile Vatican II (1962-1965), excommunié en 1988, en même temps que les quatre évêques - dont Mgr Fellay - qu’il avait consacrés à Ecône (Suisse) malgré l’interdiction de Jean Paul II. Mgr Lefebvre est décédé en 1991.
Depuis longtemps, Mgr Fellay tentait de forcer la porte du pape. Il avait été brièvement reçu, sans protocole, par Jean Paul II, le 30 décembre 1999. En septembre 2000, il avait déclaré : "Si le pape m’appelle, j’y cours, par obéissance filiale envers le chef de l’Eglise." Le 19 avril 2005, les traditionalistes s’étaient bruyamment réjouis de l’élection du cardinal Ratzinger, considéré comme la personnalité du Vatican la plus proche d’eux.
A la tête de la congrégation pour la doctrine, le cardinal Ratzinger s’était interposé en vain pour éviter le schisme, en 1988. Depuis, il avait multiplié les contacts officieux. Chargée de négocier avec les traditionalistes, la commission Ecclesia Dei du Vatican s’était engagée dans une voie de compromis qui avait permis, en janvier 2002, le ralliement des traditionalistes brésiliens du diocèse de Campos.
Sur la lancée, le cardinal colombien Castrillon-Hoyos, président de cette commission, qui devait assister à l’entretien entre Benoît XVI et Mgr Fellay, avait choqué les catholiques progressistes en célébrant une messe selon le rite préconciliaire (en latin, selon le rite de saint Pie V) dans l’une des quatre basiliques majeures de Rome.
En recevant Mgr Fellay, Benoît XVI fait plus qu’un geste d’apaisement. Il engage un processus de réconciliation et de réintégration de la Fraternité Saint-Pie X — 440 prêtres et 6 séminaires dans 59 pays — dans le giron de l’Eglise. Mais sur quelle base ? Et à quel prix ? Mgr Fellay entend réclamer au pape la levée de l’excommunication des évêques lefebvristes et le droit pour les traditionalistes de célébrer, partout où ils le désirent, la messe selon l’ancien rite. Il ne semble plus exiger un statut d’exception au sein de l’Eglise, longtemps revendiqué.
Le résultat est loin d’être acquis, mais le pari que fait Benoît XVI est risqué. Le camp traditionaliste, divisé sur la question du rapprochement avec le Vatican et traversé par des haines fratricides, est au bord de l’explosion. En 2003, un "dur", l’abbé Philippe Laguérie, ancien curé de Saint-Nicolas du Chardonnet, fief intégriste de Paris, puis de Saint-Eloi, à Bordeaux, avait été exclu pour "mutinerie" pour avoir refusé sa mutation au Mexique. Aujourd’hui, c’est Mgr Richard Williamson, un Anglais — l’un des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre — qui s’oppose publiquement à l’initiative de son supérieur de se rendre chez Benoît XVI et s’expose à des sanctions identiques.
L’entretien entre le pape et le supérieur de la Fraternité Saint-Pie X risque surtout d’irriter la grande majorité des catholiques, dits "conciliaires", qui redoutent de nouvelles concessions à l’esprit et à la lettre du concile Vatican II. Car rien ne laisse présager un assouplissement des positions traditionalistes sur les contentieux qui avaient été à l’origine de la rébellion de Mgr Lefebvre : la réforme de la liturgie, qu’ils résument par l’abandon du latin et la "nouvelle messe" qu’ils exècrent ; la reconnaissance de la liberté de religion ; le dialogue avec les "hérétiques" protestants, les juifs ou les musulmans, selon cet "esprit d’Assise" qui était cher à Jean Paul II et qu’ils rejettent comme une manifestation de "syncrétisme" .
Toute leur littérature rapporte que les papes Jean XXIII, Paul VI, Jean Paul II, acteurs et héritiers du concile, ont "bradé" l’Eglise, taillé en pièces la "sainte doctrine " et préparé l’"apostasie".

Henri Tincq
Article paru dans l’édition du 30.08.05
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