2.09.2005

La maladie de Jean Paul II fait craindre un risque de paralysie institutionnelle au Vatican

LE MONDE | 08.02.05 | 14h54

Qui commande ? Un pape aphasique peut-il gouverner ? Peut-il encore démissionner  ? Ces questions, autrefois taboues, font désormais débat à Rome.

Rome de notre envoyé spécial

L'hospitalisation de Jean Paul II se poursuivra au moins jusqu'au jeudi 10 février. Joaquin Navarro-Valls, son porte-parole, a déclaré à la presse, lundi, que "la santé du pape continue de s'améliorer ; il n'a plus de fièvre, s'alimente régulièrement, mais, par précaution, les médecins lui ont conseillé de rester encore quelques jours à l'hôpital". Le pape lui aurait dit qu'il se tient informé de l'évolution de sa maladie... grâce aux journaux !
Le cœur n'est pourtant pas à rire à la Curie, rattrapée par des questions maintes fois posées lors des précédentes hospitalisations de Jean Paul II, mais jamais élucidées. Qui commande si le pape est inapte à gouverner ? Quelle est la validité de ses actes s'il ne peut plus parler ? Peut-il encore démissionner, de plein gré ou forcé par son entourage ? Face à ces trois questions resurgit la crainte d'une sorte de paralysie institutionnelle. "Face à un nouveau schisme intégriste, le Vatican n'aurait presque plus de moyen de réagir", souligne un bon connaisseur de la Curie.
Toute la tradition, depuis le premier concile du Vatican (1870) - qui a instauré la "primauté" pontificale - est formelle. Le pape a un pouvoir suprême et exclusif. Toute décision en matière de discipline et de doctrine, toute nomination d'évêque est suspendue s'il est inapte à gouverner. Il peut déléguer, mais pour les seules matières ordinaires. Encore doit-il être capable de "communiquer" avec son entourage. Tout le monde a noté la phrase du cardinal Mario Pompedda, le juriste de la Curie, disant que rien ne s'oppose à ce que "le pape prenne, de son lit d'hôpital, des décisions par gestes ou par paroles". En omettant la fin : "s'il est capable d'entendre"...
En pratique, le pape peut compter sur trois cardinaux, hommes de confiance et d'expérience : l'Italien Angelo Sodano, 77 ans, secrétaire d'Etat ("premier ministre") depuis quinze ans ; l'Allemand Josef Ratzinger, 77 ans, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi depuis un quart de siècle ; l'Italien Giovanni-Baptista Ré, 71 ans, ancien substitut ("ministre de l'intérieur"), préfet de la Congrégation des évêques. Mais ces hommes n'ont pas de pouvoir propre. Ils n'ont de comptes à rendre qu'au pape et leur fonction cesse à la minute même de sa mort. Or, quand un cardinal américain de la Curie, Francis Stafford, dit à la presse que, si le pape était en incapacité de gouverner, il traiterait avec son secrétaire d'Etat, "c'est une bombe contre toute la tradition de l'Eglise de Vatican I et l'omnipotence du pape", commente un observateur.
Tous les regards convergent donc aujourd'hui sur ce petit nombre de cardinaux qui auraient, en cas d'incapacité, l'immense pouvoir d'"interpréter" les gestes et les paroles du pape, alors qu'ils n'ont pas de réelle légitimité. "Le conclave de 1978 a élu - Karol - Wojtyla, dit un officiel, mais pas le cardinal Sodano, pas Mgr Sandri - l'actuel substitut - ! Encore moins Stanislaw Dzsiwiszc - secrétaire particulier du pape -."

DÉCLARATIONS AMBIVALENTES

La nouveauté est que ces questions, hier taboues, sont aujourd'hui débattues à Rome. Y compris celles qui touchent aux risques d'aphasie de Jean Paul II, plus grands encore que lors du 25e anniversaire du pontificat, en octobre 2003, quand on s'interrogeait déjà sur la validité des actes sacramentels d'un pape incapable de parler. "- Karol - Wojtyla cède du terrain à la maladie, commente Orazio Petrosillo, dans Il Messaggero. Il en a été ainsi pour la faculté de marcher. Et c'est ce qui est en train de se produire pour l'articulation des mots." La réponse sur la validité divise les juristes. "Un muet ne peut célébrer la messe. Cela pose le problème de la renonciation", avait affirmé, en 2003, le cardinal argentin Jorge Mejia. Mario Pompedda avait répliqué qu'il n'était pas nécessaire, pour l'exercice de sa charge, que "le pape officie". La presse ressort aujourd'hui ces déclarations ambivalentes.
D'où la relance du débat sur la démission de Jean Paul II, de plein gré ou sollicitée par son entourage. On en connaît les termes. La "renonciation" est prévue dans l'article 332 du droit canon, mais le dernier cas de démission d'un pape, resté célèbre grâce à Dante, remonte à... Célestin V, en 1294 ! A maintes reprises, Karol Wojtyla a fait savoir qu'il irait jusqu'au terme de sa mission, démentant à nouveau, dimanche, le "parti de la démission", selon l'expression de la presse italienne en référence à des déclarations anciennes de cardinaux (Danneels, Rodriguez, Ratzinger, etc.) pour qui le pape serait homme à se retirer, s'il ne se sentait plus en état de diriger.
Pour la première fois, le numéro deux de la Curie, Angelo Sodano, s'est exprimé, lundi, sur ce sujet : "Laissons cela à la conscience du pape. Il sait ce qu'il doit faire", a-t-il déclaré. Ajoutant que "le pape peut s'exprimer sans parler" et qu'on peut "gouverner la vie de l'Eglise de différentes manières". Et le cardinal italien de rappeler que Pie IX est mort, en 1878, après trente-deux ans de pontificat, et Léon XIII à 92 ans, en 1903 ! "On a voulu imposer la notion d'un pape au-dessus de son Eglise, conclut l'écrivain Giancarlo Zizola, interrogé par Le Monde. Le voici plus solitaire que jamais, malade, le sachant, et incapable de la moindre initiative, dans une situation d'impasse institutionnelle."

Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 09.02.05
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