2.09.2005

La succession du Pape agite le Saint-Siège

VATICAN La levée du tabou concernant le renoncement du Souverain Pontife a ouvert le champ aux manoeuvres au sein de la curie

Vatican : de notre envoyée spéciale Sophie de Ravinel
[09 février 2005]

Une nouvelle étape a été franchie au Vatican. L'«athlète de Dieu» devenu depuis bien longtemps le serviteur souffrant est désormais mis en croix. Certains affirment que Jean-Paul II, prisonnier de son corps brisé par la maladie, poursuit son enseignement sur le Mystère de l'Église irréductible aux données humaines, aux cris et au scandale. La curie romaine, qui oscille entre mysticisme et pragmatisme, se trouve désormais confrontée à une situation inédite qu'elle a bien du mal à gérer.
«Jean-Paul II a déjà sérieusement pensé à la renonciation. A l'occasion de ses 75 ans, mais aussi quelques années plus tard», affirmait hier, une voix autorisée du palais apostolique. Cette éventualité lui aurait été déconseillée par son entourage le plus proche. Mais, lundi soir, le cardinal Angelo Sodano n'aurait pas accepté d'évoquer cette possibilité si elle ne faisait pas à nouveau son chemin dans l'esprit, sinon du Pape, au moins des quelques cardinaux ou prélats qui tiennent les mains du gouvernement temporel de l'Église.
En réponse à cette ouverture, le célèbre éditorialiste catholique Vittorio Messori, s'est lancé hier, dans un long plaidoyer mystique hébergé par le quotidien italien Corriere della Sera. Sa conclusion était que jamais le Pape ne renoncera. Ses sources identifiables et polonaises lui ont rappelé que, dimanche lors de l'Angélus, le Pape avait clairement manifesté son intention de continuer à «servir» l'Église.
Chaque semaine jusqu'au début de ce mois, Jean-Paul II a conservé son habitude de recevoir ses plus proches collaborateurs, individuellement, pour un déjeuner de travail, auquel participe aussi son secrétaire personnel, Mgr Stanislaw Dziwisz. Les seuls concernés sont le cardinal Angelo Sodano, Mgr Leonardo Sandri, substitut de la secrétairerie d'État (chef de cabinet), Mgr Giovanni Lajolo, «ministre des Affaires étrangères» et le cardinal Giovanni Battista Re, préfet de la Congrégation pour les évêques. Une pratique qui a bien évidemment cessé depuis son hospitalisation, même si l'on a vu avant-hier soir le secrétaire d'État entrer à la polyclinique Gemelli pour y rendre compte des préparatifs liés à la visite de la secrétaire d'État américaine, Condoleezza Rice.
Cet équilibre précaire qui tient tant bien que mal depuis des années, pourra-t-il se poursuivre lorsque Jean-Paul II sera de retour au Vatican, en fin de semaine dans le meilleur des cas ? Le cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, a affirmé hier qu'il n'est pas nécessaire que le Pape «manage» l'Église, «comme un chef d'entreprise». Un cardinal affirme que Jean-Paul II, même s'il ne parle plus, «pourra toujours être en mesure de lire et de signer des documents». Pourtant, la nature à horreur du vide et les périodes d'affaiblissement du pouvoir du Souverain Pontife ont toujours été, dans l'histoire, propices aux tensions et aux luttes fratricides et donc, fortement préjudiciables à l'Église.
Dans les rues de Rome, hier, des enfants couraient sous le soleil, déguisés en princes, en diablotins ou en «supermen». Le carnaval battait son plein. Mais dans les couloirs silencieux des Congrégations et des Conseils l'équivalent des ministères au Vatican les soutanes ou les cols romains de rigueur poursuivaient leurs activités quotidiennes, tout juste informés par la presse de l'évolution de la santé du Pape. Il n'y a aucune communication interne au Vatican et les ministères sont totalement isolés les uns des autres. Le seul système qui fonctionne est celui des réseaux d'amitiés ou d'influences.
Un de ses réseaux s'active aujourd'hui pour qu'une nouvelle série de cardinaux soit créée par Jean-Paul II. L'idée circule, enfle, trouve ses adversaires et ses adeptes qui aimeraient que ce consistoire ait lieu dès le mois de juin prochain.
L'objectif est d'introduire de nouvelles têtes dans le collège des électeurs des élus potentiels, et donc de modifier l'actuel équilibre de la géographie politique. Parmi les candidats à la barrette pourpre, se trouve une figure spirituelle italienne de renom, Mgr Angelo Comastri. Ce dernier vient justement d'être nommé coadjuteur du cardinal Nicora, archiprêtre de la basilique Saint-Pierre et a donc quitté son diocèse de Lorette pour rejoindre les allées du Vatican. Le brouillard qui s'est abattu depuis mardi dernier sur la place Saint-Pierre permet aux acteurs de l'ombre d'évoluer en paix.
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