9.27.2005

Benoît XVI et Hans Küng : retrouvailles après quarante ans de combat

LE MONDE | 27.09.05 | 13h06  •  Mis à jour le 27.09.05 | 17h42

Ils sont les adversaires les plus irréductibles de la théologie catholique des quarante dernières années. Joseph Ratzinger, figure emblématique du conservatisme doctrinal, devenu Benoît XVI, et Hans Küng, son principal contestataire, référence intellectuelle de l'Eglise progressiste, se sont rencontrés en secret, samedi 24 septembre à Castel Gandolfo. L'annonce n'en a été faite que lundi par le porte-parole du Vatican. L'entretien a duré deux heures et fut "fraternel". Mais personne ne se risque à parler de réconciliation, encore moins de levée des sanctions contre Hans Küng.
Leur trajectoire a longtemps été la même. Ratzinger, le Bavarois, né en 1927, est d'un an l'aîné de Küng, le Suisse. Ils se rencontrent pour la première fois en 1957 et sont les deux étoiles de la théologie germanophone au concile Vatican II (1962-1965), chéris par Paul VI et l'aile progressiste de l'épiscopat allemand. Ils sont amis et enseignent tous les deux à l'université de Tübingen, avant de diverger sur l'interprétation de Mai 1968 et les"dérives" de l'Eglise post-conciliaire contre lesquelles le futur cardinal Ratzinger ne cessera plus de s'élever.
Après Mai 1968, Küng brille auprès des étudiants de Tübingen ; Ratzinger se morfond face à des amphis vides et va chercher fortune ailleurs, à l'université de Ratisbonne. Dès lors, leurs voies se séparent. Ratzinger est happé par la voie hiérarchique : archevêque de Munich et cardinal en 1977, préfet de la doctrine à Rome en 1981, premier théologien de Jean Paul II, avant d'être élu pape.
Hans Küng s'enferme dans un rôle d'opposant de "Sa Sainteté". Il conteste l'infaillibilité du pape (ce qui lui vaudra son exclusion), puis la centralisation romaine, la place insuffisante des femmes dans l'Eglise, les reculs du dialogue œcuménique, l'éthique sexuelle et la mariolâtrie du pape polonais. Il multiplie les livres, les cours, les conférences, les pamphlets contre l'Eglise de Jean Paul II et du cardinal Ratzinger qui, selon lui, a trahi les espérances réformatrices de Vatican II. Dans une brochure intitulée Le Cardinal Ratzinger, le pape Wojtyla et la peur de la liberté, il s'en prend à la conception d'un pape "demi-Dieu" et qualifie Jean Paul II de "dictateur spirituel".
Déjà sous surveillance sous Paul VI, Hans Küng est le premier théologien sanctionné en 1979 par Jean Paul II. Il est relevé de sa fonction d'enseignement pour s'être "écarté de la vérité de la foi catholique". Une sanction que le cardinal Ratzinger, devenu préfet de l'ex-Saint-Office, refusera toujours de lever.
"Je suis à tout moment prêt à une collaboration si elle est loyale", avait déclaré son meilleur ennemi après l'élection de Benoît XVI. Un mois après la rencontre avec Mgr Fellay, le chef de file des traditionalistes, l'audience accordée par le nouveau pape au chef de file des contestataires manifeste de sa part une volonté de rallier les extrêmes et de refaire l'unité dans son Eglise.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 28.09.05

9.26.2005

Les voix du conclave enfin pénétrables au Vatican

Un cardinal anonyme publie son récit de l'élection de Benoît XVI.

Par Eric JOZSEF

lundi 26 septembre 2005 (Liberation - 06:00)

Rome de notre correspondant

Au risque d'être démasqué et excommunié, l'un des cardinaux électeurs a parlé. Cinq mois après l'accession de Joseph Ratzinger au trône de saint Pierre, l'un des princes de l'Eglise vient en effet de révéler, de manière anonyme et sans donner ses raisons, les dessous du conclave. Les batailles entre clans, les rapports de force et le déroulement des quatre tours de scrutin, tout y est. Jamais auparavant une «Gorge profonde» du Vatican n'avait confié, avec un tel luxe de détails, des extraits de son journal intime, décrivant minutieusement les journées qui ont abouti à la désignation de Benoît XVI, le 265e souverain pontife. Pour l'heure, le Vatican fait le dos rond. Dans l'entourage du pape, on préfère ne faire aucun commentaire.
«Panzerkardinal». On savait jusqu'à présent que Joseph Ratzinger avait été élu rapidement, le mardi 19 avril, dès le deuxième jour du conclave et à l'issue du quatrième tour de scrutin. Tout laissait donc penser que le préfet de la Congrégation de la doctrine de la foi, surnommé «le Panzerkardinal», n'avait pas eu de véritable adversaire capable de remettre en cause son élection. Les révélations anonymes du prélat dans la très sérieuse revue de géopolitique Limes indiquent au contraire que la bataille a été sérieuse dans l'enceinte de la chapelle Sixtine, avec un challenger surprise, le cardinal de Buenos Aires, Jorge Mario Bergoglio. «L'issue du conclave semble encore ouverte», note ainsi dans son journal le mystérieux cardinal, à quelques heures du quatrième et dernier scrutin.
La veille dans la soirée, lors du premier vote, Joseph Ratzinger est pourtant parti largement en tête. Il a obtenu 47 suffrages. Il en faut 77 (soit les deux tiers des 115 cardinaux électeurs) pour devenir pape. Considéré comme le candidat des progressistes, le jésuite, ancien archevêque de Milan, Carlo Maria Martini est, lui, largement distancé. Seules 9 voix se sont portées sur son nom. «L'écart est net», note «Gorge profonde», qui souligne : «Le cardinal Martini ne s'est jamais considéré comme un véritable "papable", et pas uniquement en raison de ses problèmes de santé.» Divisés, les autres Italiens (Camillo Ruini, Angelo Sodano, Dionigi Tettamanzi) sont aussi hors du coup.
Batailles sociales. L'homme sur lequel misent les opposants à Joseph Ratzinger est dès le premier scrutin le cardinal argentin. Jésuite comme Carlo Maria Martini, très engagé dans les batailles sociales et contre la pauvreté tout en s'étant opposé à la théologie de la libération, Jorge Mario Bergoglio, âgé de 69 ans, représente une alternative de poids.
«Pour ses vertus spirituelles, il jouit d'une estime transversale», souligne le cardinal dans son journal. Au cours des trois premiers scrutins, il monte en puissance, obtenant 10, puis 35 et 40 voix, c'est-à-dire la minorité de blocage. Carlo Maria Martini s'est rallié à lui. Le mardi 19 avril à l'heure du déjeuner, «aucune issue ne semble aller de soi», précise Gorge profonde, qui note une «grande préoccupation parmi les cardinaux souhaitant l'élection de Joseph Ratzinger» : «Les contacts s'intensifient, le cardinal (colombien) Lopez Trujillo est le plus actif.» Grand adversaire de la théologie de la libération, celui-ci cherche à convaincre les électeurs latino-américains de voter Ratzinger.
Sous les fresques du Jugement dernier de Michel-Ange, le quatrième scrutin s'ouvre, le 19 avril à 16 h 30. Quatorze électeurs de Bergoglio s'apprêtent à l'abandonner, ouvrant la porte à la désignation du prélat allemand. Ont-ils craint de provoquer une fracture profonde au sein de l'Eglise en prolongeant pendant plusieurs jours une situation d'impasse ? Dans la revue Limes, le mystérieux cardinal ne donne pas la réponse. Il s'attarde en revanche sur la personnalité de Jorge Mario Bergoglio, révélant que celui-ci aurait été effrayé à l'idée de succéder à Karol Wojtyla. «Je l'observe tandis qu'il dépose son bulletin dans l'urne, raconte-t-il, son visage est empreint de souffrance, comme s'il implorait : "Dieu, épargne-moi cela."»
Adage. Dans ces conditions, Dieu choisira finalement Joseph Ratzinger, élu avec 84 voix, lui permettant de faire mentir l'adage romain concernant les favoris au trône de saint Pierre, selon lequel «Qui entre pape au conclave en ressort cardinal.»
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