4.16.2005

Le conclave s'ouvre, lundi 18 avril, dans un climat d'incertitude

LE MONDE | 16.04.05 | 13h14 • Mis à jour le 16.04.05 | 13h14
Rome de notre envoyé spécial

ls seront 115 à partir du lundi 18 avril, seuls face à leur conscience, face à Dieu, face au monde. Le neuvième conclave depuis un siècle s'ouvre à Rome, dans un climat de grande incertitude.
Un conclave sans grand favori, comme l'étaient Eugenio Pacelli, futur Pie XII, en mars 1939, et Giovanni-Battista Montini, futur Paul VI, en juin 1963. Sans personnalité au-dessus du lot, s'imposant à une assemblée de 115 cardinaux, dont 113 sont novices dans ce genre d'exercice. Un conclave plus fermé que jamais, tant la consigne de secret a été tenue d'une main de fer. Un conclave dont on ne connaît vraiment ni les lignes de clivage ni les préférences nationales. La seule probabilité est que le nouveau pape sera élu pour maintenir l'héritage de Jean Paul II et que le conclave se conclura vite, pour éviter le spectre de la division. Trois scénarios, au moins, sont possibles.
Premier scénario : une victoire éclair du cardinal Josef Ratzinger, 78 ans. Personne ne sait si le doyen du Sacré Collège est candidat, mais beaucoup le donnent déjà élu. Il partirait avec un capital d'une cinquantaine de voix, à la suite d'une campagne menée par les milieux les plus conservateurs de la Curie. La fidélité au pape disparu, sa capacité à diriger, sanctionner, recevoir des coups, la garantie d'une orthodoxie sans faille : autant d'atouts qui sont de nature à rassurer un collège électoral éclaté (55 pays), n'ignorant rien des risques qui pèsent sur une Eglise orpheline de Jean Paul II et menacée par la montée de la sécularisation (Europe), des sectes et courants évangéliques durs (Amérique du Nord et du Sud), de l'islam (Afrique, Asie).

L'âge et l'image détestable du cardinal Ratzinger dans les milieux progressistes ou oecuméniques ne changeront rien à l'affaire. Il est le candidat de la continuité et de la sécurité pour un collège électoral qui n'ignore pas le besoin de réformes, mais préfère les différer dans le temps. Aux risques de l'aventure, dans un contexte de vulnérabilité pour l'Eglise, les électeurs font le choix d'une papauté de transition et d'honnête gestion.
Deuxième scénario : la réaction de ceux qui ne se résignent pas à cette première option conservatrice. On en a senti les prémices lors des débats préparatoires. Autant qu'on puisse le savoir, les contre-feux ont été allumés par le cardinal Carlo-Maria Martini, homme libre et assez courageux pour poser publiquement les questions issues du débat critique interne à l'Eglise : une "collégialité" renouvelée pour rompre avec une Curie autoritaire et crispée ; une relance du dialogue avec les "frères" chrétiens séparés (protestants, anglicans, orthodoxes) ; un discours plus adapté sur le sexe, plus souple à l'égard des femmes, des communautés sans prêtres, des divorcés-remariés privés de sacrement, etc.

DÉPASSER LE CONFLIT

Trop malade, Carlo-Maria Martini, 78 ans (comme Ratzinger), ne pourra pas être élu. Il a longtemps représenté ­ sans être son adversaire ­ une ligne alternative à celle de Jean Paul II. Son camp, celui des réformateurs modérés, est très minoritaire dans le conclave. Mais la clé du scrutin sera dans la capacité d'un autre candidat, soutenu par lui, de faire le plein des voix réformatrices et d'attirer un nombre suffisant de voix traditionalistes du camp Ratzinger.
Le cardinal Dionigi Tettamanzi, 71 ans, archevêque de Milan, semble le mieux placé pour jouer cette carte. Il ne s'est guère dévoilé pendant le préconclave. Mais il fut l'un des plus fidèles relais de Jean Paul II dans l'Eglise italienne. Il a pris position sur des questions ­ bioéthique, sexualité, mondialisation, immigration ­ où se joue le rapport du catholicisme avec la modernité. Mais sa faible expérience internationale, sa méconnaissance des langues étrangères, la division du camp italien (où les cardinaux Ruini, Sodano, Ré attendent en embuscade) ne plaident pas en sa faveur.
Reste un troisième scénario, récurrent dans l'histoire des conclaves : si la situation est bloquée entre les deux "lignes" du cardinal Ratzinger (qui a des candidats de recours, comme Angelo Scola, 63 ans, de Venise, et Christoph Schönborn, 60 ans, de Vienne) et du cardinal Martini, le conclave se tournera vers une personnalité moins marquée, au profil spirituel accentué. C'est ce qu'on appelle à Rome la "lucianisation" du vote, en souvenir de l'élection, le 26 août 1978, d'Albino Luciani, patriarche de Venise, indépendant et sans ambition, élu pour sa capacité à dépasser le conflit entre conservateurs et réformateurs italiens qui allait éclater au conclave d'octobre et déboucher sur l'élection d'un pape... polonais.
Dans ce troisième scénario, des noms sont cités, comme Ennio Antonelli, 68 ans (Florence), ou José da Cruz Policarpo, 69 ans (Lisbonne), homme-pont avec l'Amérique latine. Ces trois scénarios semblent exclure des candidatures plus lointaines et aventureuses : celles de cardinaux latino-américains ­ Claudio Hummes (Sao Paulo), José-Maria Bergoglio (Buenos Aires), Oscar Andres Rodriguez Mardagiaga (Honduras) ­ si divisés entre eux que le pronostic ne penche pas en faveur d'un sous-continent qui représente pourtant près de la moitié des catholiques. Mais, comme d'autres, dans ce conclave indécis, ils auront le temps de méditer le vieil adage selon lequel qui entre pape au conclave en sort... cardinal.

Henri Tincq

"Je choisis pour Souverain Pontife..."

La Croix, 15-04-2005

Le conclave – la réunion des cardinaux chargés d'élire le nouveau pape – commencera au Vatican ce lundi 18 avril après-midi. Voici, comme si vous y étiez, le récit de cet événement aussi rare que mystérieux, tel qu'en a disposé Jean-Paul II
Réunis en conclave à partir de lundi 18 avril, les cardinaux seront coupés du monde jusqu'à la proclamation du nom du nouveau pape. A priori l'un d'entre eux (photo Dejong/AP).

C’est le moment

«Veni, Creator Spiritus, mentes tuorum visita…», chante le cortège des prélats. Coiffés de la barrette, ayant revêtu le rochet et la mozette des grandes fêtes – surplis blanc et camail pourpre par-dessus la soutane, l’habit de chœur cardinalice –, ils ont célébré, ce lundi matin 18 avril en la basilique Saint-Pierre, la messe votive pro eligendo papa, «pour l’élection du pape». Nous sommes maintenant au milieu de l’après-midi. En procession derrière un porte-croix et une cohorte de choristes et de cérémoniaires, ils quittent la loggia des Bénédictions, juste au-dessus du narthex de la basilique Saint-Pierre, traversent la majestueuse Salle royale des grandes audiences diplomatiques, passent quelques marches. Leur doyen, Joseph Ratzinger, et le maître des célébrations liturgiques pontificales, l’infatigable et toujours placide archevêque italien Piero Marini, ferment la marche. Tous s’apprêtent à franchir le seuil d’un autre sanctuaire, à la taille beaucoup plus réduite, pour un enjeu infiniment plus important.
«Imple superna gratia, quae tu creasti pectora», poursuit leur invocation à l’Esprit, qui suit le chant des litanies. Ils sont près de 120 ainsi : pas loin, donc, de l’effectif maximum des cardinaux fixé par Paul VI, et confirmé par Jean-Paul II, pour avoir «le droit et le devoir d’élire le successeur de Pierre, chef visible de toute l’Église et serviteur des serviteurs de Dieu, lorsque le siège de Rome devient vacant» (constitution apostolique Universi dominici gregis, UDG). Ils étaient 117, en fait, ayant moins de 80 ans le 2 avril dernier, au jour où le pape est décédé, et donc qualifiés pour cette écrasante responsabilité. Mais l’un ou l’autre électeur ne sera pas au rendez-vous du conclave ce lundi, ainsi le cardinal Sin, retenu aux Philippines pour raisons de santé. L’exacte moitié des 232 cardinaux que le Pontife défunt aura créés, lors de neuf consistoires, en vingt-six ans de règne.
«Viens, Esprit Créateur, visite l’âme de tes fidèles. Emplis de la grâce d’En Haut les cœurs que tu as créés.» Sans doute leur regard est-il attiré vers «en haut» en pénétrant dans cette chapelle, dont la voûte de Michel-Ange figure précisément la Création, le doigt de Dieu vers le doigt d’Adam, dans la plus extrême tension. Et ils invoquent encore l’Esprit, «dextrae Dei tu digitus», «toi, le doigt de la droite de Dieu»… Mais déjà leur regard redescend, se porte en avant, découvre une scène que tous admirent déjà tout en la craignant : l’écrasante et superbe fresque du Jugement, ce Christ colossal qui décide du sort ultime des morts et des vivants. Et tous savent que c’est d’eux, à cet instant et en ce lieu, que parlait l’ultime poème de celui auquel ils vont donner un successeur : «Ici, ils se voient entre le Commencement et la Fin, entre le Jour de la Création et le Jour du Jugement… Il est clair que, durant le conclave, Michel-Ange rend les hommes conscients» (Triptyque romain). Ce même pape qui avait fixé que «l’élection continuera à se dérouler dans la chapelle Sixtine, où tout concourt à entretenir le sentiment de la présence de Dieu, devant qui chacun devra se présenter un jour pour être jugé» (UDG, introd.).

"Cum clave", fermé à clé

Pour l’instant, ils n’en sont qu’au commencement, à peine conscients de ce qui les attend. Ont-ils seulement, dans le tourment de leur mandat présent, entendu derrière eux le cadenas claquer ? C’est Mgr James Harvey, un Américain efficace et souriant de 55 ans, qui, en sa qualité de préfet de la Maison pontificale, a refermé sur le plus énigmatique des collèges les lourdes portes du secret . «Cum clave», fermé à clé. Le conclave peut commencer.
Il en va ainsi depuis près de mille ans. C’est en 1059 exactement que l’élection du pape a cessé d’être l’affaire du clergé et du peuple romains – en fait, les grandes familles se l’étaient accaparée – pour être, jusqu’à aujourd’hui encore (code de droit canonique c. 349), confiée aux cardinaux : «En eux, écrit Jean-Paul II, s’expriment, comme en une admirable synthèse, les deux aspects qui caractérisent la figure et la charge du Pontife romain : romain, parce que identifié à la personne de l’évêque de l’Église qui est à Rome […] ; Pontife de l’Église universelle, parce qu’il est appelé à prendre de manière visible la charge du Pasteur invisible qui guide le troupeau tout entier vers les pâturages de la vie éternelle. L’universalité de l’Église est du reste bien représentée dans la composition même du collège cardinalice, qui rassemble des cardinaux de tous les continents » (UDG, introd.).
C’est à un devoir sacré qu’ils vont se livrer, et c’est pourquoi il n’est pas question d’y déroger : «Tous les cardinaux électeurs, convoqués par le doyen, ou par un autre cardinal en son nom, pour l’élection du nouveau Pontife, sont obligés, en vertu de la sainte obéissance, d’obtempérer à la convocation et de se rendre au lieu désigné, à moins d’être retenus par la maladie ou par un autre empêchement grave qui devra toutefois être reconnu par le collège des cardinaux» (UDG 38). Si un électeur arrivait en retard pour l’ouverture mais avant que l’élection soit faite, il sera admis au processus de vote au point où il se trouve. De même, si un électeur doit sortir du Vatican pour cause de maladie ou autre motif grave reconnu comme tel, on votera sans lui, mais il sera réadmis «après sa guérison ou même avant» (UDG 40) dans l’enceinte du conclave. Aucune voix ne saurait être négligée : l’affaire est trop grave.

Ils prennent place tout autour de la chapelle

Ils prennent place tout autour de la chapelle, chacun derrière un petit pupitre, par préséance : selon l’ordre du collège auquel on appartient et l’ancienneté dans le cardinalat. Mgr Francesco Monterisi, secrétaire du Sacré Collège, est également à son poste. Le cardinal Eduardo Martinez Somalo, camerlingue, à peine remis des soucis de la mort et des obsèques de Jean-Paul II, a veillé à ce que, dans la chapelle et les locaux attenants, tout soit bien installé. L’archevêque argentin Leonardo Sandri, substitut de la Secrétairerie d’État, l’a aidé à faire en sorte que la régularité de l’élection et son caractère confidentiel soient assurés.

Hantise du secret

Jean-Paul II a voulu le préserver encore davantage, du fait des nouvelles technologies. Les cardinaux, depuis le début de l’élection jusqu’à ce que son issue soit annoncée publiquement, devront s’abstenir de toute correspondance épistolaire, téléphonique ou par d’autres moyens de communication avec des personnes extérieures, sauf en raison d’une nécessité urgente et prouvée. Il leur est interdit aussi, pour toute la durée de l’élection, «de recevoir la presse quotidienne ou périodique, de quelque nature que ce soit, et d’écouter des émissions radiophoniques ou de regarder la télévision» (UDG 57), ainsi que «d’introduire, sous aucun prétexte, dans les lieux où se déroulent les actes de l’élection ou, s’ils s’y trouvent déjà, que soient utilisés tout genre d’appareils techniques qui servent à enregistrer, à reproduire ou à transmettre les voix, les images ou les écrits» (UDG 61). Et bien sûr – si l’on ose dire, tant les précédents conclaves firent ensuite l’objet de fuites –, ils ne sauraient révéler à quiconque des informations concernant directement ou indirectement les scrutins, de même que tout ce qui a été traité ou décidé au sujet de l’élection, aussi bien avant que pendant le temps de l’élection. Cela vaut aussi, d’ailleurs, pour les cardinaux non électeurs ayant participé aux congrégations générales qui ont eu lieu de la mort du pape jusqu’au conclave (UDG 59).
C’est à la congrégation particulière (un groupe de quatre cardinaux sous la responsabilité du camerlingue) de juger de tous ces cas, de même en ce qui concerne la nécessité et l’urgence, pour quelques cardinaux, de communiquer avec leurs services romains. Elle doit également recourir à «la compétence de deux techniciens de confiance» pour s’assurer «qu’aucun moyen d’enregistrement ou de transmission audiovisuelle ne soit introduit par quiconque dans aucun des locaux indiqués, particulièrement dans la chapelle Sixtine» (UDG 55). Et à toute personne qui, travaillant au Vatican, viendrait à rencontrer fortuitement un cardinal pendant l’élection, «il est absolument interdit d’entretenir une conversation, sous quelque forme que ce soit, avec quelque moyen que ce soit et pour quelque motif que ce soit» (UDG 45). Toute infraction à ces obligations de secret est passible d’une excommunication latae sententiae, immédiate (UDG 58).
Depuis des siècles ils campaient dans des boxes bricolés à la hâte
Cette augmentation de pression tient aussi à une nette amélioration des conditions pratiques du conclave. Pour la première fois, celui-ci se tiendra dans une vraie dignité de logement pour les cardinaux. Depuis des siècles, ils campaient dans des boxes, bricolés à la hâte dans les locaux du Palais apostolique jouxtant la Sixtine et attribués par tirage au sort, sans le moindre confort. Pour eux, Jean-Paul II a fait refaire la Maison Sainte-Marthe, dans l’enceinte du Vatican, de l’autre côté de la basilique Saint-Pierre par rapport à la Sixtine : ils y logeront, dans des chambres sans luxe mais réellement confortables, et y partageront une cuisine soignée. Détail appréciable : cette maison, qui accueille ordinairement des personnalités ou groupes venant travailler au Vatican, dispose de nombre de recoins et de parloirs pourvus en canapés ou fauteuils propices aux conciliabules les plus confidentiels…
Si des raisons de santé exigent qu’un cardinal ait près de lui un infirmier, celui-ci aura également un logement adapté. Sont aussi à disposition du conclave deux cérémoniaires et deux religieux chargés de la sacristie pontificale, un ecclésiastique assistant le doyen, quelques religieux de diverses langues pour les confessions, ainsi que deux médecins pour des urgences éventuelles – sans parler du personnel assurant les repas et le ménage : tous approuvés par le camerlingue, tous engagés au secret par serment ! Quant au trajet des cardinaux de leur logement (tout aussi fermé à tout étranger) à la chapelle du conclave, il se fera – sans que quiconque puisse les approcher – en minibus ou à pied.
Revenons donc à la Sixtine. Ils sont là, placés sous le regard du Père, face au geste du Fils, ayant invoqué l’Esprit. C’est le moment de prêter serment. Il revient au cardinal Ratzinger, doyen du Sacré Collège, de lire la formule à haute voix :
« Nous tous et chacun de nous, cardinaux électeurs présents à cette élection du Souverain Pontife, promettons, faisons le vœu et jurons d’observer fidèlement et scrupuleusement toutes les prescriptions contenues dans la constitution apostolique du Souverain Pontife Jean-Paul II, Universi dominici gregis, datée du 22 février 1996. De même, nous promettons, nous faisons le vœu et nous jurons que quiconque d’entre nous sera, par disposition divine, élu Pontife romain, s’engagera à exercer fidèlement le munus petrinum [NDLR : la charge de Pierre] de Pasteur de l’Église universelle et ne cessera d’affirmer et de défendre avec courage les droits spirituels et temporels, ainsi que la liberté du Saint-Siège. Nous promettons et nous jurons surtout de garder avec la plus grande fidélité et avec tous, clercs et laïcs, le secret sur tout ce qui concerne d’une manière quelconque l’élection du Pontife romain et sur ce qui se fait dans le lieu de l’élection et qui concerne directement ou indirectement les scrutins ; de ne violer en aucune façon ce secret aussi bien pendant qu’après l’élection du nouveau Pontife, à moins qu’une autorisation explicite en ait été accordée par le pape lui-même ; de n’aider ou de ne favoriser aucune ingérence, opposition ni aucune autre forme d’intervention par lesquelles des autorités séculières, de quelque ordre et de quelque degré que ce soit, ou n’importe quel groupe, ou des individus voudraient s’immiscer dans l’élection du Pontife romain. »
Puis, chacun des électeurs après lui, selon l’ordre de préséance fait sien le même engagement : « Et moi, N. Cardinal N., je le promets, j’en fais le vœu et je le jure. » Il ajoutera, en posant la main sur l’Évangile : « Que Dieu m’y aide, ainsi que ces saints Évangiles que je touche de ma main. »

"Extra omnes"

«Extra omnes !» L’ordre retentit, par la voix de Mgr Marini, quand Attilio Nicora, dernier électeur dans l’ordre des cardinaux-diacres, aura prononcé à sont tour le serment. Que sortent de ce lieu tous ceux qui n’ont pas qualité pour y faire ce qui doit désormais y être fait ! Toutes les personnes étrangères au conclave quittent la chapelle Sixtine. Seuls restent, pour un temps encore, Mgr Marini et le cardinal Tomas Spidlik : ce jésuite octogénaire, grand spécialiste de l’Orient chrétien, a été choisi par le Sacré Collège pour faire une méditation spirituelle à ses confrères électeurs « sur la tâche très lourde qui leur incombe et, donc, sur la nécessité d’agir avec une intention droite pour le bien de l’Église universelle, solum Deum præ oculis habentes » (UDG 52). N’avoir que Dieu devant les yeux…
La méditation achevée, le vieux cardinal tchèque et le maître des célébrations liturgiques quittent la Sixtine. Des gardes suisses sont postés à toutes ses issues, empêchant toute intrusion. C’est par le chant à la Vierge Sub tuum praesidium que les électeurs concluent les prières prévues par l’Ordo rituum conclavis, un impressionnant ouvrage de 340 pages, couleur vert olive , qui décrit par le menu tout le rituel propre au conclave, tel qu’il a été préparé par Mgr Marini et approuvé par Jean-Paul II en 1998 – en même temps que celui, couleur rouge sang, du rituel des obsèques pontificales qui a servi le 8 avril. Le doyen demande alors à l’ensemble du collège des cardinaux électeurs si l’on peut désormais procéder à l’élection, ou s’il faut éclaircir des doutes quant aux normes et modalités établies par Jean-Paul II. Si, selon la majorité des électeurs, rien ne s’y oppose et si le temps nécessaire reste disponible, on passe immédiatement au premier vote, qui sera le seul de ce premier jour de conclave.
Concernant la forme de l’élection, trois procédures étaient possibles avant la réforme de 1996, qui n’a conservé que la dernière. Jusque-là, il était possible pour le conclave de désigner le nouveau pape « par acclamation quasi ex inspiratione » : un procédé plus ou moins spontané, jugé « désormais inapte à interpréter l’avis d’un collège d’électeurs plus nombreux et si divers par les origines ». On pouvait aussi faire l’élection per compromissum, l’ensemble des électeurs s’en remettant, en cas de blocage, à la décision de quelques-uns d’entre eux : une possibilité écartée « non seulement parce qu’elle est difficile à réaliser […], mais aussi parce qu’elle est de nature à entraîner une certaine perte de responsabilité pour les électeurs » (UDG, introd.).

Scrutin secret

«Après mûre réflexion, concluait Jean-Paul II, j’ai donc décidé d’établir que l’unique forme par laquelle les électeurs peuvent exprimer leur vote pour l’élection du Pontife romain est celle du scrutin secret […]. Cette forme, en effet, donne la meilleure garantie de clarté, de rectitude, de simplicité, de transparence et, surtout, de participation effective et constructive de chacun des Pères cardinaux, appelés à constituer l’assemblée des électeurs du successeur de Pierre.»
Le moment est venu. Les cérémoniaires font le tour de la chapelle pour remettre à chaque électeur deux ou trois bulletins de vote, de forme rectangulaire et portant sur la moitié supérieure, imprimés si possible, ces mots : « Eligo in Summum Pontificem » (« Je choisis pour Souverain Pontife… »). La moitié inférieure comporte un espace libre pour y écrire le nom de l’élu ; le bulletin est prévu de sorte qu’il puisse être plié en deux. Pendant ce temps, le cardinal Nicora, que l’on sait homme de grandes prudence et sagesse, tire au sort publiquement, parmi tous les électeurs, trois scrutateurs, trois infirmarii pour recueillir les votes des malades, et trois réviseurs.
Durant les votes, les cardinaux seuls restent dans la Sixtine. Là est leur privilège, là aussi leur solitude devant Dieu et devant les hommes. « Extra omnes ! » Aussitôt après la distribution des bulletins et avant que les électeurs commencent à écrire, le secrétaire du Sacré Collège, Mgr Monterisi, le maître des célébrations liturgiques, Mgr Marini, et les cérémoniaires quittent la chapelle, et le cardinal Nicora ferme la porte. Il la rouvrira et la refermera chaque fois que nécessaire – par exemple si les infirmarii sortent et reviennent pour les votes de cardinaux malades.

D'une écriture non reconnaissable

Chaque électeur inscrit alors clairement, mais pas toujours sans tremblement, «d’une écriture autant que possible non reconnaissable» (UDG 65), le nom de celui qu’il élit : un homme auquel il songe depuis longtemps peut-être pour guider l’Église, ou bien une figure qu’il a vu émerger au fil des rencontres et des débats, depuis deux semaines de rencontres et de réflexions quotidiennes. Puis il se lève, selon l’ordre de préséance. Il tient son bulletin plié, levé de sorte qu’il puisse être vu de tous. Devant lui, l’autel de la chapelle. Sur cet autel – modeste au regard des immenses fresques, mais dont une tradition veut que seul le pape puisse y célébrer la messe –, est posé un grand calice faisant office d’urne, couvert d’une patène. L’un et l’autre viennent d’être réalisés pour la circonstance. Deux scrutateurs sont là pour veiller au bon déroulement des opérations.
Arrivé à l’autel, chaque cardinal prononce alors, à haute et intelligible voix, un nouveau serment : « Je prends à témoin le Christ Seigneur, qui me jugera, que je donne ma voix à celui que, selon Dieu, je juge devoir être élu. » Il dépose alors son bulletin sur la patène, puis, au moyen de celle-ci, la fait glisser dans le calice. Ayant ainsi rempli sa tâche, il s’incline vers l’autel et regagne sa place.
Peut-être un électeur, parmi ceux présents dans la chapelle, ne peut-il se rendre à l’autel à cause de sa santé ? Il prête alors serment de sa place, puis remet son bulletin plié au troisième scrutateur, qui le porte ostensiblement à l’autel, le dépose sur la patène et, de là, dans l’urne. Si des électeurs malades sont restés dans leurs chambres, les trois infirmarii se rendent auprès d’eux à la Maison Sainte-Marthe avec les bulletins vierges nécessaires et une boîte, munie d’une fente et fermée à clé par les scrutateurs après avoir fait constater par les autres électeurs qu’elle était vide ; si un malade ne peut pas écrire, un des infirmarii (ou un autre électeur désigné par le malade), après avoir prêté serment de garder le secret, fait le nécessaire à sa place ; de retour à la Sixtine, ces bulletins seront comptés et glissés à leur tour dans l’urne.
Avec près de 120 votants et un tel cérémonial, chaque tour de scrutin dure un bon moment. Du coup, nombre de cardinaux occupent le temps en priant le bréviaire ou en lisant : c’est ainsi qu’un archevêque de Cracovie s’était fait reprocher par un voisin de lire des revues de philosophie marxiste durant les votes. C’était en septembre 1978. «J’ai ma conscience pour moi», avait répondu sereinement le cardinal Wojtyla…

Dans la Sixtine, chacun suspend ses occupations

Ça y est. Tous les électeurs ont voté. Le premier scrutateur agite l’urne plusieurs fois, pour mélanger les bulletins. Aussitôt après, le dernier scrutateur en fait le compte, prenant ostensiblement, un à un, chaque bulletin dans le calice et le dépose dans un vase vide. Si le nombre des bulletins diffère de celui des électeurs, on les brûle tous et on effectue sur-le-champ un deuxième vote. Sinon, on procède au dépouillement.
Dans la Sixtine, alors, chacun suspend ses occupations, sinon son souffle. Les scrutateurs sont assis à une table devant l’autel. Le premier prend un bulletin, le déplie et regarde le nom de l’élu. Puis il le donne au deuxième scrutateur qui, lisant à son tour le nom inscrit, passe le bulletin au troisième : celui-là le lit à haute et intelligible voix, pour que tous les électeurs puissent noter le suffrage sur la feuille qu’on leur a remise à cet effet. Une fois le dépouillement achevé, les scrutateurs font la somme des voix obtenues par les divers noms et les notent sur une feuille séparée. Le dernier des scrutateurs, au fur et à mesure qu’il lit les bulletins, les perfore avec une aiguille munie d’un fil à l’endroit où se trouve le mot « Eligo », et enfile ainsi les bulletins. À la fin de la lecture des noms, les extrémités du fil sont nouées, et tous les bulletins ainsi réunis placés dans un vase ou sur le coin de la table.
Les jeux sont faits. Jean-Paul II, confirmant les règles en vigueur, a établi que, « pour la validité de l’élection du Pontife romain, sont requis les deux tiers des suffrages de la totalité des électeurs présents » (UDG 62). Si le nombre des votants n’est pas divisible par trois, un suffrage supplémentaire est requis. Les scrutateurs – et avec eux, on s’en doute, tous les présents – font le total des votes obtenus par chacun. La loi est d’une simplicité biblique : « Si personne n’a atteint les deux tiers des suffrages à ce scrutin, le pape n’a pas été élu ; au contraire, si quelqu’un a recueilli les deux tiers des voix, il y a élection canoniquement valide du Pontife romain » (UDG 70). Dans les deux cas, les réviseurs doivent contrôler les bulletins de vote, ainsi que les relevés des suffrages établis par les scrutateurs pour en vérifier l’exactitude.

Fumée blanche dès que l'élection est acquise

Et la fameuse fumée ? Elle arrive, une fois cette vérification faite. Car, avant que les électeurs quittent la Sixtine, tous les bulletins de vote doivent être brûlés (de même que toutes les notes personnelles prises par les cardinaux concernant le résultat de chaque scrutin) par les scrutateurs, avec l’aide du secrétaire du Sacré Collège et des cérémoniaires, rappelés entre-temps à cet effet. D’où la présence, insolite en ce lieu, d’un vieux poêle installé depuis deux semaines au fond de la chapelle, contre le mur de gauche. Et l’utilisation d’artifices pour signifier au monde extérieur le résultat, selon le code bien connu : fumée noire (par adjonction de paille humide ou de fumigènes) pour un scrutin sans élection, fumée blanche (assurée par fumigène) dès que l’élection est acquise. Si toutefois on doit procéder immédiatement à un deuxième scrutin, les bulletins du premier sont brûlés seulement à la fin, en même temps que les suivants.
Car on peut voter souvent, durant un conclave ! Selon la constitution édictée par Jean-Paul II, « si l’élection n’a pas abouti au premier tour du scrutin, il devra y avoir deux votes, le matin et l’après-midi, en débutant toujours les opérations de vote à l’heure déjà fixée antérieurement dans les congrégations préparatoires ou durant la période de l’élection » (UDG 63). Cela fait quatre votes possibles par jour, deux le matin après la célébration de l’eucharistie et deux l’après-midi après les prières prévues par l’Ordo du conclave. Après un premier scrutin de demi-journée sans élection, les électeurs ne prêtent pas serment à nouveau, ni n’élisent de nouveaux scrutateurs, infirmarii et réviseurs.
Une majorité qualifiée des deux tiers n’est pas si aisée à obtenir, et il peut arriver que l’élection prenne plusieurs jours. Si, au bout de trois jours, les électeurs ont du mal à s’accorder sur la personne à élire, les scrutins sont suspendus (pendant un jour au maximum) : la prière, une libre discussion, mais aussi une brève exhortation spirituelle par le cardinal chilien Jorge Medina Estevez, premier dans l’ordre des diacres («protodiacre»). Si, après encore sept scrutins, l’élection n’est toujours pas intervenue, on fait une autre interruption du même type, l’exhortation étant confiée alors à l’Américain William Wakefield Baum, premier dans l’ordre des cardinaux-prêtres («protopresbytre»). Et si une troisième série de sept scrutins reste elle aussi sans résultat, on fait une nouvelle pause, on prie, on discute, et cette fois c’est le doyen en personne qui exhorte le collège dont il est le premier dans l’ordre dit «des évêques».

Majorité absolue des suffrages

Les efforts du cardinal Ratzinger resteraient-ils sans effet au bout de sept tours supplémentaires ? En ce cas, les cardinaux sont invités par le camerlingue à s’exprimer sur la manière de procéder, et l’on fera ce que la majorité aura décidé pour parvenir à une élection valide : soit à la majorité absolue des suffrages (et non plus des deux tiers), soit par un scrutin sur les deux seuls noms qui ont obtenu le plus grand nombre de voix au scrutin précédent, étant là aussi requise la seule majorité absolue. En ce cas, l’élection est mathématiquement assurée. Il ne restera plus au camerlingue qu’à rédiger un compte rendu, approuvé par ses trois cardinaux assistants, indiquant le résultat des votes intervenus au cours de chaque session. Ce document sera remis au nouveau pape puis conservé dans le dépôt d’archives approprié, dans une enveloppe scellée.
«Habemus papam», alors ? Pas encore ! L’élection ayant eu lieu dans les formes requises, le cardinal Nicora fait revenir dans la Sixtine Mgr Monterisi et Mgr Marini. C’est alors que le doyen, au nom de tout le collège des électeurs, interroge l’élu : « Acceptes-tu ton élection canonique comme Souverain Pontife ? »
Un refus de l’élu est possible. Mais il entendra sans doute les mots de Jean-Paul II qui lui-même, il y a plus de vingt-six ans, semble avoir eu un instant de recul en la même circonstance : «Je prie celui qui sera élu de ne pas se dérober à la charge à laquelle il est appelé, par crainte de son poids, mais de se soumettre humblement au dessein de la volonté divine. Car Dieu qui lui impose la charge le soutient par sa main, pour que l’élu ne soit pas incapable de la porter ; Dieu qui donne cette lourde charge est aussi celui qui l’aide à l’accomplir, et celui qui confère la dignité, donne la force, afin que l’élu ne succombe pas sous le poids de la mission» (UDG 86).
Aussitôt que le cardinal Ratzinger a reçu le consentement, il demande à l’élu : «De quel nom veux-tu être appelé ? – Je m’appellerai N…» Le maître des célébrations liturgiques, faisant fonction de notaire et ayant comme témoins deux cérémoniaires appelés à ce moment-là, rédige le procès-verbal de l’acceptation du nouveau Pontife et du nom qu’il a choisi – avec une totale liberté par rapport à ceux de ses prédécesseurs. Ayant accepté, l’élu devient immédiatement «évêque de l’Église de Rome, vrai pape et chef du collège épiscopal. Il acquiert de facto et il peut exercer le pouvoir plein et suprême sur l’Église universelle» (UDG 88).
Le droit canonique demande seulement qu'un candidat, pour être élu, soit prêtre
À condition qu’il soit déjà évêque ! Car point n’est besoin d’être cardinal, ni même d’avoir reçu l’ordre épiscopal, pour accéder à la charge pontificale. Le droit canonique demande seulement qu’un candidat, pour être élu, soit prêtre : s’il n’est pas évêque au moment du conclave, il est ordonné sur-le-champ par le doyen du Sacré Collège (canon 331). Encore faut-il qu’il parvienne jusqu’à la Sixtine ! C’est, si un tel cas doit se produire, la tâche du substitut de la secrétairerie d’État de faire en sorte que l’élu rejoigne Rome (s’il n’y est déjà) et le Palais apostolique, « en évitant absolument les médias, qui pourraient violer le secret du conclave », s’empresse de préciser l’Ordo ! On le comprend : imaginez que l’élu, arrivé face au Jugement dernier, se prenne à refuser…
Il a dit oui ! Alors la fumée blanche peut s’envoler du toit de la Sixtine avec les bulletins qui ont porté un nouveau successeur sur le siège de Pierre. Et, pour que nul n’en doute, on a décidé cette fois de confirmer à l’oreille ce que l’œil extérieur au conclave croit découvrir dans le ciel : les cloches de Saint-Pierre se mettent à sonner pour dire à Rome et au monde, urbi et orbi, qu’un nouveau pape leur est donné !
Mais nul, hors de l’enceinte du conclave, ne sait encore qui c’est. Car là-haut, dans une petite pièce de 9 m2 attenante à la chapelle, un homme pleure. L’usage veut qu’en cette « chambre des larmes » le nouveau pape puisse pendant un instant, accompagné seulement du camerlingue et du maître des célébrations liturgiques, laisser libre cours à son émotion, face à l’immensité de la mission qu’il vient – pur acte de foi – d’accepter.
Il ne pense pas à tout ce qui l’attend. Dans la Sixtine d’abord. Il y revient, revêtu de la soutane blanche qui l’identifie (trois modèles l’attendaient, en fonction de son gabarit). Sa calotte blanche lui a été remise par le secrétaire du Sacré Collège, à qui il a donné en retour sa calotte pourpre : selon l’usage, Mgr Monterisi devrait ainsi faire partie des premiers cardinaux que le nouveau pape créera. Sont arrivés désormais Mgr Leonardo Sandri, le substitut, et Mgr Giovanni Lajolo, secrétaire pour les relations du Saint-Siège avec les États, ainsi que Mgr Harvey, préfet de la Maison pontificale, et toute autre personne qui a à traiter avec le nouveau Pontife de questions à ce moment-là nécessaires.

Dehors le peuple attend

On rend grâce à Dieu, et le protodiacre proclame l’évangile de la confession de foi de Pierre, à qui le Christ répond en lui confiant les clés du Royaume des cieux (Mt 16, 13-19). Alors, dos à l’autel, portant désormais sur l’Église le regard même du Christ figuré derrière lui, il voit les cardinaux qui viennent de l’élire s’avancer pour lui rendre hommage et faire acte d’obéissance. Au terme, l’évêque élu de Rome entonne le Te Deum.
Dehors, le peuple attend. Fumée blanche et sonnerie des cloches se sont élevées depuis un bon moment déjà, et le temps de tout ce rituel de conclusion du conclave commence à lui peser. La foule est de plus en plus excitée de curiosité, certains se hasardent à parier sur l’identité du successeur de Jean-Paul II, voire sur le nom qu’il a choisi de porter…
C’est le moment. À la loggia des Bénédictions de la basilique, à l’endroit même d’où le conclave avait commencé son éprouvante marche, apparaît le cardinal Medina Estevez. C’est à lui, le premier des cardinaux-diacres, qu’il revient de lancer l’annonce au peuple en attente, dans la formule à la fois la plus rituelle et la plus absolument nouvelle :

« Annuntio vobis gaudium magnum !
Habemus papam :
Eminentissimum ac Reverendissimum Dominum,
Dominum N…,
Sanctae Romanae Ecclesiae cardinalem N…,
qui sibi nomen imposuit N… »

(« Je vous annonce une grande joie !
Nous avons un pape :
l’éminentissime et révérendissime Monseigneur,
Monseigneur… (prénom),
cardinal de la sainte Église Romaine (nom),
qui a choisi pour nom…)

C’est le moment, pour le cardinal chilien, de s’effacer. Derrière lui, précédé de la croix, apparaît le nouveau «serviteur des serviteurs de Dieu», selon le plus beau des nombreux titres de l’évêque de Rome. C’est l’heure, pour lui, de la première bénédiction urbi et orbi.

Michel KUBLER

***

REPERES
LES CLES DU CONCLAVE

À lire

Constitution apostolique Universi dominici gregis de Jean-Paul II « sur la vacance du siège apostolique et l’élection du Pontife romain », 22 février 1996 (texte intégral paru dans La Documentation catholique, n° 2134, du 17 mars 1996 (également disponible sur www.la-Croix.com et sur www.vatican.va).
Ordo rituum conclavis (Cité du Vatican, 2000).
Le Conclave. Les clés de l’élection du Pape, d’Alberto Melloni (Salvator, 245 p., 18 €).
Dictionnaire historique de la papauté, sous la direction de Philippe Levillain (Fayard 1994, 1 776 p.)
Triptyque romain, de Jean-Paul II (Cana/Cerf 2003, 52 p., 9 €).
Le Pape, de Paul Poupard (PUF, coll. « Que sais-je ? », n° 1878).

Les trois « ordres » du Sacré Collège

-Le mot « cardinal » vient du latin cardo (pivot). Il désignait à l’origine tous les clercs – prêtres et diacres – collaborateurs de l’évêque de Rome, et qui procédaient donc à son élection, selon une antique tradition. Aujourd’hui encore, pour marquer ce lien particulier avec l’évêque de Rome, les cardinaux sont officiellement titulaires soit d’une paroisse de Rome (on parle de cardinaux prêtres ), d’une diaconie (cardinaux diacres ) ou, pour les plus importants, de l’un des six diocèses de la banlieue de Rome, dits « suburbicaires » (on parle de cardinaux évêques, bien que les cardinaux soient en général tous évêques). C’est l’origine des trois « ordres » de cardinaux. Chaque membre du Sacré Collège figure dans l’un d’eux, dans l’ordre d’ancienneté de leur élévation à la pourpre.
-Le Sacré Collège est présidé par le doyen, élu par et parmi les six cardinaux évêques, avec la validation du pape : l’Allemand Joseph Ratzinger a succédé en décembre 2002 dans cette charge au Béninois Bernardin Gantin, qui passait alors les 80 ans. Les quatre autres cardinaux évêques actuels sont les Italiens Angelo Sodano (vice-doyen) et Giovanni Battista Re, le Français Roger Etchegaray et le Colombien Alfonso Lopez Trujillo.

4.15.2005

Forte hausse du cours de l'euro du Vatican

Fri April 15, 2005 8:53 AM CEST

CITE DU VATICAN (Reuters) - La série des huit pièces de monnaie du Vatican à l'effigie du pape Jean Paul II, allant d'un centime à deux euros, était déjà très prisée; elle se vend encore plus cher depuis la disparition du souverain pontife, le 2 avril.
La série complète coûte désormais 425 euros dans une boutique de numismates située à une centaine de mètres de la basilique Saint-Pierre, contre 390 euros en mars.
"Les prix montaient tout le temps en raison de la demande importante, et après la mort du pape, ils ont grimpé un peu plus", explique Roberta Vinciguerra, employée au magasin Numismatica Internazionale, tout près du Vatican.
Théoriquement, les huit pièces n'ont qu'une valeur totale de 3,88 euros, et le prix officiel de la série, lorsque le Vatican émet un million d'euros en pièces de monnaie chaque année, est de 12 euros pour un simplet "set", prix qui monte à 50 euros lorsqu'il inclut une médaille commémorative en argent.
Lorsqu'un pape meurt, une convention tripartite en vigueur entre l'Union européenne, l'Italie et le Saint-Siège permet au Vatican de marquer la période de vacance de la papauté en émettant des monnaies d'une valeur de 300.000 euros, sur lesquelles ne figure aucun nom de pape.
"Ce sont des collectionneurs qui achètent ce genre de séries, des gens réellement passionnés", explique Vinciguerra, pour qui les pièces coûtent trop cher pour la plupart des touristes.

4.14.2005

Le Vatican après Jean-Paul II - Un nécessaire «droit d’inventaire»

Challenge, avril 2005 - N° 245 - Le Mot de la fin

L’idée - Jean-Paul II laisse un héritage politique et diplomatique considérable. A charge pour son successeur de distinguer dans ce legs ce qu’il faut développer et ce qu’il faut changer, notamment dans la mission sociale de l’Eglise et dans son fonctionnement monarchique.
L ’image d’une planète endeuillée, le rassemblement inédit de nombre de chefs d’Etat et de gouvernement autour du cercueil de Jean-Paul II – juste retour des choses pour un pape qui visita au long de son quart de siècle de pontificat plus d’une centaine de pays – ont remis l’accent sur le rôle historique et politique de la papauté. En même temps que sur les défis qui attendent le successeur de Jean-Paul II.
Plus que d’autres papes, Jean-Paul II restera d’abord dans l’histoire politique comme le plus cinglant démenti infligé à la doctrine de Staline. Le dictateur soviétique avait eu en effet ce mot célèbre : « Le pape, combien de divisions? » Eh bien, la réponse est venue, dans le soutien décisif apporté à la révolution polonaise par la seule parole d’un pape polonais, et au-delà par le soutien moral décisif apporté par ce dernier aux forces – dont Mikhaïl Gorbatchev lui-même – qui contribuèrent à la fin de la guerre froide. Le KGB ne s’y était pas trompé qui échoua de si peu dans sa tentative d’assassiner Jean-Paul II, via les services bulgares et Ali Agça.
Sur d’autres fronts de l’histoire en marche, Jean-Paul II s’est aussi placé au premier rang, imprimant à l’Eglise un mouvement qui n’est pas sans influence sur les opinions publiques. Au premier rang figure le combat pour les droits de l’homme. Tant décrié aujourd’hui dans certains cercles, celui-ci est, pour le pape, inséparable du refus vigoureux, opiniâtre, de la guerre (qu’elle soit du Golfe ou d’Irak). Autre to
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urnant majeur que celui du pacifisme. Mais la guerre, les guerres, comme celles aussi du Liban ou de Bosnie, étaient pour Jean-Paul II autant de signes avant-coureurs du suicide de la civilisation. Enfin la « repentance » de l’Eglise catholique vis-à-vis des juifs, la dénonciation des racines chrétiennes de l’antisémitisme, la reconnaissance de l’Etat d’Israël resteront un legs décisif au regard de l’histoire de l’Europe, qu’il faudra prendre garde de préserver.
Cet héritage foisonnant et puissant sur le plan de l’opinion et de l’action diplomatique devra donc d’abord faire l’objet d’un « droit d’inventaire » de la part de son successeur. La première bataille politique dans l’Eglise sera bien celle-là : distinguer ce qu’il faut faire fructifier de l’héritage de Jean-Paul II de ce qu’il faut changer, ou peut-être abandonner. Car autant le combat pour les droits de l’homme paraît devoir être, pour le Vatican, un solide et durable point d’ancrage, autant d’autres faits marquants du pontificat du défunt pape sont plus contestables, sont et seront critiqués.
Chez Jean-Paul II en effet prévalait la mission religieuse de l’Eglise sur sa mission sociale. Il a donc organisé ce que certains théologiens dénoncent comme une restauration conservatrice : il a, par exemple, condamné en Amérique latine la « théologie de la libération », persuadé qu’il avait affaire au « cheval de Troie » du marxisme, et peut-être facilité ainsi l’explosion des différentes formes d’évangélisme sur ce continent. Il a aussi prêché contre la pauvreté et la misère (quel pape ne le ferait pas?). Mais il a, par des prises de position en matière de contrôle des naissances, paru faire obstacle à ceux qui sur le terrain se battaient pour faire reculer l’une et l’autre.
Il a certainement été l’un des hommes les plus importants, un géant aux yeux de l’histoire de l a f in du xx e siècle marquée par la fin du communisme. Mais il n’a peut-être pas vu venir la nouvelle religion du début du xxi e siècle, la religion démocratique, face à laquelle il laisse une Eglise encore monarchique, et par là peut-être moins armée après lui pour continuer de peser sur le cours de l’histoire.


Jean-Marie Colombani

Une lutte d'influence se déroule dans les coulisses du Vatican

Conservateurs vs progressistes (14/04/2005)

ROME Cardinaux conservateurs contre progressistes: les premiers se rangent derrière Joseph Ratzinger, les seconds derrière Carlo Maria Martini, dessinant les contours de deux camps quatre jours avant le conclave du 18 avril. Les rumeurs attribuant d’ores et déjà 50 votes --il en faudra 77 pour être élu à la majorité des deux tiers des 115 électeurs-- au cardinal Ratzinger, un papabile pur produit de la Curie, ont provoqué une contre-offensive des cardinaux de terrain et même, selon le quotidien La Repubblica de mercredi, un veto des cardinaux américains et allemands.
«Huit cardinaux américains sur onze » et «cinq cardinaux allemands sur six » sont opposés à la candidature de Mgr Ratzinger «en raison d’un jugement négatif sur ses capacités de gestion », affirme le journal, sans citer ses sources. «Ratzinger n’a jamais aimé s’occuper d’organisation. La conclusion est qu’il lâcherait tout le pouvoir aux mains de la Curie. Et les cardinaux américains ne le veulent pas, et encore moins les allemands », poursuit le quotidien.
Les cardinaux allemands en outre «n’ont pas oublié l’opposition de Ratzinger au rôle des laïcs dans les communautés paroissiales sans prêtres ainsi que son refus répété de résoudre le problème des divorcés remariés qui ne peuvent avoir la communion », ajoute le journal. De fait, le cardinal Ratzinger, qui fêtera ses 78 ans samedi 16 avril, est le représentant des tenants de l’orthodoxie et du maintien du dogme, une catégorie dans laquelle le théologien du journal Il Messaggero, Orazio Petrosillo classe entre autres les cardinaux italiens Camillo Ruini et Angelo Scola que l’on dit proches des mouvements catholiques conservateurs que sont l’Opus Dei ou Communion et Libération.
Dans l’autre camp, ceux qui, comme la communauté Sant’Egidio, souhaitent une Eglise plus collégiale, faisant une plus large place aux évêques et plus ouverte sur le monde, se sont regroupés derrière l’ancien archevêque de Milan, Carlo Maria Martini.
Partisan d’un renouveau de l’Eglise, ce jésuite de 78 ans, grand érudit spécialiste de la Bible, était, il y a encore quelques années un des favoris parmi les papabili. A la «retraite » depuis trois ans, atteint d’une forme de la maladie de Parkinson, il demeure aujourd’hui un des Grands électeurs. Parmi les noms avancés par le clan des «progressistes », on cite notamment ceux de l’Italien Dionigi Tettamanzi, archevêque de Milan, de Godfried Danneels, primat de Belgique, ou de José da Cruz Policarpo, archevêque de Lisbonne.
Sous cette bannière, on retrouve un groupe de poids sensiblement équivalent au camp Ratzinger, estime jeudi le vaticaniste Luigi Accattoli, du quotidien Corriere della Sera. Lorsqu’ils entreront lundi prochain en conclave les deux camps pourraient se compter lors du premier vote avant de laisser la place à de «vrais candidats », poursuit le vaticaniste.
Ratzinger et Martini sont également représentatifs des deux facettes de Jean Paul II. D’un côté, un pape «fermé » sur les questions du mariage des prêtres et de sexualité par exemple, de l’autre, un pape «ouvert » tourné vers l’oecuménisme, le dialogue entre les religions et la paix.
En attendant le verdict des urnes qui pourra intervenir à tout moment à partir de lundi soir, la recherche d’un nom consensuel, ni ultraconservateur, ni trop progressiste, s’est poursuivie jeudi lors de la dixième congrégation générale.

Cet article provient du site http://www.dhnet.be

4.13.2005

CONDOLÉANCES DU CORPS DIPLOMATIQUE : DISCOURS DU CARD. JOSEPH RATZINGER

Atrium de la salle Paul VI

Excellences,

Mesdames et Messieurs les Chefs de Mission du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège,

Au nom du Collège des Cardinaux et en ma qualité de Doyen, je suis chargé de vous remercier vivement des condoléances que, par l’intermédiaire du Doyen du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, vous avez bien voulu nous adresser en ces jours de deuil pour l’Église qui, en la personne de Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, perd son pasteur bien-aimé. Je remercie le Professeur Giovanni Galassi qui, en votre nom à tous, a exprimé vos sentiments et a fait apparaître avec délicatesse quelques aspects de la mission de Sa Sainteté Jean-Paul II.
Jean-Paul II a guidé l’Église pendant plus de vingt-six ans, faisant percevoir qu’elle est, comme le rappelait le Concile Vatican II, à la fois «le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain» (Lumen gentium, n. 1); il l’a fait entrer dans l’espérance avec un élan renouvelé; il l’a introduite dans le troisième millénaire, invitant les chrétiens à porter le Christ au monde et appelant tous les hommes de bonne volonté à un sursaut de bonté, de paix, de solidarité et de partage. Il a ouvert le cœur des hommes, et en particulier le cœur des jeunes au message de la Bonne Nouvelle.
Nous en avons un signe en ces jours où de nombreuses personnes ont tenu à venir rendre un dernier hommage à Sa Sainteté Jean-Paul II. Ce Pape s’est engagé jusqu’à l’extrême de ses forces pour annoncer l’Évangile dans tous les continents, en particulier par ses très nombreux voyages, montrant le visage du Père riche en miséricorde, conduisant au Christ, le Rédempteur de l’homme, invitant tous les hommes à se laisser habiter par l’Esprit Saint.
À notre tristesse, s’ajoutent donc – et je pense interpréter aussi vos propres sentiments – une ardente action de grâce envers Dieu qui nous a donné un si grand pasteur et un profond merci au Pape Jean-Paul II pour son action et son enseignement.
Votre présence nombreuse ce matin est, pour nous tous, à la fois un grand réconfort et un témoignage de l’action internationale menée par notre bien-aimé Saint-Père Jean-Paul II. En effet, au cours de son pontificat, des relations diplomatiques ont été établies avec de nombreux pays, signe de l’attention des Nations à l’action du Pape et de l’Église dans le monde entier. Vous avez été les témoins privilégiés de cette action et du développement des relations diplomatiques qui, au cours du pontificat, ont plus que doublé. Combien de fois le Pape Jean-Paul II n’a-t-il pas exhorté les pays à trouver des solutions pacifiques et à poursuivre le dialogue ? Combien de fois n’a-t-il pas invité les Dirigeants des nations à une attention toujours plus concrète aux peuples dont ils ont la charge, notamment aux plus faibles, aux plus petits, aux plus pauvres ? Combien de fois n’a-t-il pas rappelé la grandeur de la vie humaine ?
Autant d’exhortations qui résonnent encore aujourd’hui pour nous comme un engagement en faveur de la personne humaine, de toute personne humaine. Autant d’exhortations qui sont pour nous tous un message et un appel: nous mettre toujours davantage au service de la paix et de la solidarité entre les personnes et entre les peuples, au service des hommes de tous les continents, pour que se lève une humanité réconciliée sur une terre où tous sont partenaires. C’est en particulier ce qu’il rappelait inlassablement aux Autorités civiles et aux membres du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège.
En vous redisant les remerciements du Collège des Cardinaux pour vos gestes de sympathie à l’occasion du deuil qui frappe l’Église, gestes qui sont pour nous et pour tous les fidèles catholiques d’un grand soutien, je vous assure de notre prière pour vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, ainsi que pour vos familles, pour vos collaborateurs et pour les peuples que vous représentez, vous demandant d’exprimer nos remerciements aux responsables de vos pays qui ont bien voulu s’associer au deuil de l’Église, par leurs messages et par leur présence lors des funérailles du Saint-Père.
À vous tous, je redis notre plus sincère gratitude.

CONDOLÉANCES DU CORPS DIPLOMATIQUE : DISCOURS DU PROF. GIOVANNI GALASSI

Atrium de la salle Paul VI

Éminences,

C’est avec profonde émotion que je vous présente les plus sincères condoléances du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège à l’occasion de la mort de Sa Sainteté Jean-Paul II, Pape extraordinaire qui a marqué l’histoire religieuse, morale et sociale de l’ensemble du monde.
La perte de ce grand Pape a profondément touché l’esprit et le cœur de tous les Ambassadeurs qui, durant son long pontificat, ont eu à représenter leur Pays auprès du Saint-Siège.
En effet, Jean-Paul II a été un constant point de référence pour l’humanité entière: à peine élu, il a invité tous les catholiques à ne pas avoir peur et à ouvrir leurs portes au Christ, avec une confiance filiale; dans le même temps, il a engagé un dialogue constructif et fécond avec les Églises sœurs, pour l’unité des chrétiens, et avec toutes les autres religions, et, à deux reprises, nous nous sommes tous retrouvés à Assise, pour prier.
Avec une grande honnêteté intellectuelle, il n’a pas hésité à parcourir à nouveau, de manière critique, le passé de l’Église, et, en même temps, il a élevé aux honneurs des autels d’innombrables martyrs de l’Église catholique.
Par son Magistère, il a profondément marqué l’histoire du dernier quart du vingtième siècle et du début du nouveau siècle: de manière forte, il s’est opposé aux idéologies athées et totalitaires, mais il a aussi rappelé plusieurs fois aux Pays les plus développés de ne pas choisir le consumérisme égoïste comme la religion de leur vie, soutenant avec une incroyable ardeur le caractère central de l’homme, sa dignité, son droit à pouvoir satisfaire ses besoins essentiels, dans une perspective de solidarité réciproque.
Jean-Paul II n’est s’est pas contenté d’exhortations à travers ses encycliques, ses lettres pastorales, ses homélies et ses autres documents pontificaux, mais il a voulu être personnellement aux côtés de chaque homme; c’est pourquoi il s’est fait pèlerin dans le monde, portant son enseignement dans les parties les plus éloignées de la terre, en tant que Pasteur qui aime tous les hommes, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Tout au long de son pontificat, il a considéré l’homme dans sa globalité, dans ses aspects temporels et transcendants, dans le but de parvenir à une nouvelle civilisation, plus réelle et plus durable: la civilisation de l’amour.
Pour édifier cette civilisation, il a engagé les jeunes du monde, «sentinelles du matin» et notre espérance pour demain; et, en lui, les jeunes, avec leur enthousiasme spontané et irrésistible, ont placé leur avenir et leurs énergies.
Ce Pape, ce grand homme, nous le pleurons tous aujourd’hui avec une douleur sincère, parce que nous avons perdu L’AMI VÉRITABLE de notre marche humaine; et le sentiment que nous éprouvons tous en ces jours est une grande solitude.
Pour les croyants cependant, face à la tristesse de la mort, sont d’un grand réconfort les paroles de l’Évangéliste Marc, lorsqu’il dit qu’«il en est du Royaume de Dieu comme d'un homme qui aurait jeté du grain en terre: qu'il dorme et qu'il se lève, nuit et jour, la semence germe et pousse, il ne sait comment. D'elle-même, la terre produit d'abord l'herbe, puis l'épi, puis plein de blé dans l'épi. Et quand le fruit s'y prête, aussitôt il y met la faucille, parce que la moisson est à point» (Mc 4, 26-28).
Il est pour nous consolant de penser que Jean-Paul II, fauché par la mort, est désormais le fruit mûr pour la gloire du ciel. Quant à nous, il nous reste son puissant Magistère, éclairé par le courage héroïque avec lequel il a affronté ses souffrances, les offrant au Seigneur pour le salut de l’humanité.
Son enseignement nous a tous rendus plus forts et plus décidés à agir avec une plus grande équité et une plus grande justice en faveur d’un monde meilleur; c’est avec de tels sentiments que nous suivrons l’activité du prochain Successeur de Pierre, que vous-mêmes, Éminences, dans votre sagesse et avec l’intercession de l’Esprit Saint, serez appelés à élire au cours du prochain Conclave.
Au nom du Corps diplomatique, je vous renouvelle mes plus vives condoléances et en même temps le souhait que l’Église aie au plus tôt un nouveau Pasteur.

Les mouvements de laïcs veulent peser sur le choix du prochain pape

 
VATICAN Tandis que les cardinaux poursuivent leurs consultations avant le début du conclave

Le Vatican : de notre envoyée spéciale Sophie de Ravinel
[LE FIGARO, 13 avril 2005]


Hier, dans l'hémicycle des synodes, les cardinaux qui le souhaitaient ont été invités à s'exprimer spécifiquement sur les problèmes et les priorités de l'Église. Au sein de ces congrégations générales, le poids de l'ancien archevêque de Milan, Carlo Maria Martini, longtemps cité comme possible successeur de Jean-Paul II, est presque aussi fort que celui du cardinal Joseph Ratzinger. L'un porte l'étiquette de libéral, le second est qualifié de conservateur. Comme l'ancien archevêque de Paris, Jean-Marie Lustiger, il s'agit de personnalités indépendantes, ce qui augmente encore leur poids. Le cardinal Martini est notoirement connu pour sa volonté de réforme dans le sens d'une plus grande collégialité entre les évêques, d'une meilleure collaboration avec le Saint-Siège et le gouvernement de la Curie. Il semblerait que ce soit justement sur ces points précis que les divergences de vues entre cardinaux se font le plus sentir ces jours-ci. Le choix d'un successeur n'en serait que plus difficile. Aucun nom n'aurait encore émergé des discussions.
Par contre, sur les questions de doctrine morale ou de doctrine sociale, les avis semblent partagés. L'oeuvre entreprise par Jean-Paul II doit être poursuivie, estiment les cardinaux.
Dans ces domaines, l'Église catholique compte particulièrement sur l'action des laïcs. Sous l'impulsion du concile Vatican II, de très nombreux mouvements se sont développés, qui ont ensuite été encouragés, soutenus et envoyés en mission par Jean-Paul II. Ils se retrouvent côte à côte avec des nouvelles congrégations comme les Légionnaires du Christ ou la prélature de l'Opus Dei. Impossible de les rassembler sous une même étiquette. Ils savent pourtant tous que le prochain pape, comme le précédent, devra et pourra s'appuyer sur eux.
Les cardinaux ne leur demandent pas vraiment leur avis. Ce qui ne les empêche pas de manifester leurs préférences, et surtout d'être les plus présents dans les lieux du gouvernement de l'Église. L'Opus Dei possède ainsi deux cardinaux, l'Espagnol de la Curie Julian Herranz et le Péruvien Juan Luis Cipriani. Etant donné leur forte différence de caractère, ils ne voteront peut-être même pas pour le même candidat, mais avec la Prélature, ils s'accordent sur la valeur doctrinale du cardinal Ratzinger. Le cardinal Tettamanzi, quoique proche de l'intelligentsia italienne de la finance et de la politique liée à l'Opus Dei, serait jugé un peu trop libéral.
Les Légionnaires du Christ, fondés au Mexique par le père Marcel Maciel, appartiennent eux aussi au courant «conservateur politique». Avec leur puissante association de laïcs Regnum Christi, ils effectuent, entre autres, leur oeuvre d'évangélisation dans les sphères de la haute finance. Mais ce sont les prêtres qui dirigent chez eux. Leur cardinal de référence est l'archevêque de Mexico Norberto Riverra Carera. Comme l'Opus Dei, ils sont bien implantés dans la Curie, proposant régulièrement des exercices spirituels «à ceux qui le souhaitent». Quant au mouvement italien Communion et Libération, il soutient le cardinal de Venise Angelo Scola. La communauté Sant'Egidio, la plus «libérale», appuierait le cardinal milanais Tettamanzi.

4.12.2005

Espions au Vatican

La confidentialité du conclave qui s’ouvre lundi pour désigner le 265e pape de l’histoire pourrait être menacée par des espions de tout poil, selon les experts. Des informations sensibles concernant la position d’un “papabile” sur les relations avec les musulmans ou les juifs, ou la reconnaissance de la Chine plutôt que Taïwan, pourraient par exemple être très convoitées par certains pays et par la presse.
Mouchards et codes secrets
Un autre risque pour le Vatican est la présence d’éventuels espions, postés sur les toits de la Ville éternelle. Des microphones laser permettent en effet d’écouter des conversations à 500 mètres de distance, en enregistrant des vibrations sur les vitres ou d’autres surfaces. Ces micro ultrasensibles peuvent toutefois être contrés par des tentures épaisses ou par un bruit ambiant...
Plus difficiles à contrer : des mouchards électroniques aussi petits qu’une pièce de monnaie pouvant transmettre ou enregistrer des conversations. Face à cette menace, les experts passeront au peigne fin les zones de réunion, enlevant les tapis, palpant les coussins des chaises, ouvrant les conduites de chauffage et testant les câbles électriques, les ampoules et les canalisations d’eau, souligne James Atkinson, responsable d’une société britannique spécialisée dans la détection de mouchards.
Mais la présence d’un éventuel espion en chair et en os est probablement le risque le plus difficile à déjouer, soulignent les experts. Il pourrait apporter un appareil d’écoute ou renseigner des personnes situées à l’extérieur via des messages codés. James Atkinson évoque par exemple la possible utilisation d’une fumée colorée ou même d’une teinture évacuée via les toilettes, qui pourrait être repérée plus loin. AP

Le Vatican face à la menace de l'espionnage

--par Aidan Lewis et Jim Krane--

AP | 12.04.05 | 17:07


CITE DU VATICAN (AP) -- Pirates informatiques, mouchards électroniques, microphones ultra-sophistiqués, informateurs... la confidentialité du conclave qui s'ouvre lundi pour désigner le 265e pape de l'histoire pourrait être menacée par des espions de tout poil, soulignent les experts.
La technologie de l'espionnage a beaucoup évolué depuis l'élection de Jean Paul II en 1978, mais le Vatican semble convaincu de pouvoir préserver le secret qui entoure traditionnellement la réunion des cardinaux électeurs.
Le Saint-Siège a refusé de donner des précisions sur les mesures prises pour éviter toute fuite. Toutefois, selon Giuseppe Mazzullo, un détective privé et policier romain à la retraite, ses propres experts devraient être épaulés par la police italienne et des sociétés de sécurité privées.
«La sécurité est très stricte», a-t-il assuré. «Il sera très difficile de voler des informations, voire impossible.» Reste que beaucoup donneraient cher pour connaître la teneur des discussions entre les 115 cardinaux électeurs âgés de moins de 80 ans.
Des milliers de journalistes s'impatienteront sur place, à l'affût de la moindre information, et le conclave pourrait également intéresser les pirates informatiques ou des services de renseignement gouvernementaux.
Des discussions sensibles sur la position d'un «papabile» sur les relations avec les musulmans ou les juifs, ou la reconnaissance de la Chine plutôt que Taïwan, pourraient par exemple être très convoitées par certains pays, et par la presse. Et de telles révélations pourraient être fort embarrassantes pour le Vatican.
La constitution apostolique «Universi Dominici Gregis» promulguée par Jean Paul II en 1996 fixe des règles pour protéger les cardinaux de «pièges à leur indépendance de jugement». Les téléphones portables, organisateurs électroniques, radios, journaux, télévisions et appareils d'enregistrement sont ainsi proscrits pendant le conclave.
Les téléphones portables et assistants personnels (PDA) peuvent être piratés et détournés à des fins d'espionnage, soulignent les experts.
Un autre risque pour le Vatican est la présence d'éventuels espions, postés sur les toits de la Ville éternelle, qui tenteraient de capter les entretiens des cardinaux.
Des microphones laser permettent en effet d'écouter des conversations à 500 mètres de distance, en enregistrant des vibrations sur les vitres ou d'autres surfaces.
La chapelle Sixtine, où se réuniront les cardinaux pour élire le successeur de Jean Paul II, possède des fenêtres. Ces micro ultra-sensibles peuvent toutefois être contrecarrés par des tentures épaisses ou par un bruit ambiant...
Plus difficiles à contrer: des mouchards électroniques aussi petits qu'une pièce de monnaie pouvant transmettre ou enregistrer des conversations. Face à cette menace, les experts passeront au peigne fin les zones de réunion, enlevant les tapis, palpant les coussins des chaises, ouvrant les conduites de chauffage et testant les câbles électriques, ampoules et canalisations d'eau, souligne James Atkinson, responsable d'une société britannique spécialisée dans la détection de mouchards.
Mais malgré toutes les précautions, la présence d'un éventuel espion en chair et en os est probablement le risque le plus difficile à déjouer, soulignent les experts. Il pourrait apporter un appareil d'écoute ou renseigner des personnes situées à l'extérieur via des messages codés. M. Atkinson évoque par exemple la possible utilisation d'une fumée colorée ou, même de teinture évacuée via les toilettes qui pourrait être repérée plus loin.
«Va-t-on fouiller tous les cardinaux pour voir si quelqu'un a piégé leurs lunettes ou leur crucifix?», s'interroge Giles Ebbut, un spécialiste de la surveillance. «On peut tout imaginer»... AP

Premières notes dissonnantes dans l'après Jean Paul II

AFP 12.04.05 | 12h21

Les cardinaux doutant de la spontanéité de la demande populaire d'une canonisation rapide de Karol Wojtyla aux intellectuels réclamant de ne pas rebaptiser la gare de Rome "Jean Paul II", la "papamania" généralisée enregistre ses premières fissures.
La première brèche a été ouverte par des cardinaux nourrissant de sérieux doutes sur la spontanéité de la demande populaire de canonisation de Jean Paul II, exprimée vendredi dernier lors des obsèques du pape par des milliers de pèlerins massés sur la place Saint-Pierre.
Parmi les cardinaux, l'idée que le cri de la foule -- "santo subito!" ("Qu'il soit fait saint tout de suite!") -- n'ait pas été "du tout spontané" fait son chemin, affirme mardi Luigi Accattoli, vaticaniste du principal quotidien italien, le Corriere della Sera, en citant un "interlocuteur" ayant requis l'anonymat. Signe d'une possible manipulation, selon lui, les banderoles marquées "santo subito" avaient déjà été vues au milieu de la file interminable de pèlerins qui attendait de rendre hommage au pape les jours précédant les funérailles. Puis, le jour des obsèques, elles étaient sur plusieurs places de Rome, "donc tout n'était pas spontané".
Pour l'interlocuteur du vaticaniste, "il est peu vraisemblable que le procès (en canonisation) prévu par la loi soit ignoré", ce qui n'empêche pas de réduire les délais. Cela fut le cas pour Mère Teresa dont le procès en béatification s'est ouvert 18 mois seulement après sa mort au lieu des cinq ans prévus par la constitution apostolique.
La seconde anicroche dans la "papamania" généralisée dans laquelle baigne l'Italie depuis le décès, le 2 avril, de Jean Paul II, est venu de centaines d'intellectuels et autres personnalités qui ont protesté contre l'initiative de rebaptiser Termini, la principale gare de Rome, en "Gare Jean Paul II". "Cette décision est le sommet d'un délire d'idolâtrie croissant dans lequel est tombée toute la société italienne ces jours-ci, perdant tout sens du caractère laïc des institutions et du profond pluralisme culturel, politique et religieux de la société dans laquelle nous vivons", écrivent les contestataires sur leur site internet.
C'est la première fois en Italie que des notes dissonantes concernant le pape polonais font leur apparition sur des quotidiens à grand tirage, après une course effrénée aux hommages, un sommet de montagne portant son nom, des minutes de silence organisées un peu partout ou des rencontres sportives annulées. Dans cette ambiance où plane l'héritage de Jean Paul II, les cardinaux se sont réunis mardi matin pour leur huitième congrégation générale.
Les cardinaux poursuivaient l'examen des problèmes et des questions pratiques de gestion courante de l'Eglise, tout en continuant à travailler sur le profil du prochain pape qui sera élu par le conclave débutant le 18 avril. Pendant que les princes de l'Eglise planchent dans la salle du synode sur tous ces problèmes, des centaines de personnes faisaient la queue sur la Via della Conciliazione, la grande avenue menant au Vatican, pour acheter une série de timbres sur la vacance du siège papal.
L'Office philatélique et numismatique du gouvernorat de la Cité du Vatican a émis, comme de coutume, les timbres "Sede Vacante 2005", en vente uniquement auprès des bureaux de poste de la Cité du Vatican et dans les points de vente des bureaux des pèlerins place Saint-Pierre. La série comprend trois timbres à 0,60, 0,62 et 0,80 centimes d'euros et aura une valeur postale exclusivement pendant la durée de la vacance, c'est-à-dire jusqu'à l'élection du nouveau pape.

Une semaine de concertation s'ouvre à Rome sur l'après-Jean Paul II

LE MONDE | 09.04.05 | 12h57  •  Mis à jour le 12.04.05 | 09h55
Rome de notre envoyé spécial

Poignante, l'image de quelque 180 cardinaux entourant de près, sur le parvis de Saint-Pierre, le cercueil du pape ! Avant d'être des "princes de l'Eglise", ce sont des "frères" qui disent un dernier adieu à leur "père", avant son retour à l'intérieur de la basilique et son inhumation dans la crypte. La foule a compris leur déchirement et a répondu par un long applaudissement. Une foule qui a réclamé - du jamais vu - la canonisation sur-le-champ (santo subito, saint tout de suite) de Jean Paul II.
Les cardinaux ont repris, dès samedi 9 avril, les congrégations générales, ces assemblées ouvertes aux 115 électeurs du prochain pape - et aux non-électeurs (octogénaires) - présidées par le camerlingue, Eduardo Martinez Somalo, et le doyen des cardinaux, Josef Ratzinger. Jusqu'à présent, depuis la mort du pape le 2 avril, ils n'avaient eu qu'à s'aligner sur les dispositions qu'il avait lui-même arrêtées, pour la vacance du Saint-Siège, l'organisation des obsèques et le choix de la date du conclave, dans sa constitution Universi Dominici Gregis de 1996.
Mais désormais, ils entrent dans l'inconnu. Chaque matin, jusqu'au début du conclave lundi 18 avril, s'ouvrira une nouvelle congrégation générale de cardinaux. Au besoin, une séance s'ajoutera en fin de journée. Ces réunions se veulent des lieux de rencontres et d'échanges entre des hommes qui ne se connaissent pas forcément. Aucun ordre du jour n'est arrêté. Les discussions y sont libres et cette période de préconclave est ponctuée de rencontres informelles, déjeuners ou dîners en ville, dans des maisons religieuses ou des lieux publics, à l'écart des bruits et des indiscrétions.


SECRET ABSOLU

Comme pour les précédents conclaves, le collège américain, le séminaire français, le collège belge ou latino-américain vont devenir les endroits les plus prisés des cardinaux et, bien sûr, des journalistes. Mais la règle du secret y est absolue. Dès leur arrivée à Rome pour les obsèques de Jean Paul II, des cardinaux se sont fait rappeler à l'ordre par la secrétairerie d'Etat pour avoir commenté, dans les médias de leur pays, les enjeux du conclave à venir.
Autrement dit, le Vatican entre dans une semaine fiévreuse de conciliabules, de spéculations, voire de manoeuvres. Les pronostics sur les papabili vont reprendre à un train d'autant plus infernal qu'à la différence de conclaves précédents (celui qui a élu Pacelli-Pie XII en 1939, Montini-Paul VI en 1963, Luciani-Jean Paul Ier en août 1978), la compétition ne présente pas de favori incontestable. Aucun candidat ne peut se découvrir, au risque de courir à l'échec. Toute l'habileté des cardinaux consiste à s'interroger sur les chances de tel ou tel, à se faire communiquer sur lui des informations, mais sans jamais citer son nom.
On se trouve là dans une procédure unique au monde, mais éprouvée par le temps, et sur laquelle personne ne compte revenir.
Au lendemain des obsèques, le cahier des charges des cardinaux est considérable. En une semaine, ils vont devoir tirer les leçons du retentissement mondial de l'événement, chercher à analyser lucidement la situation de l'Eglise, définir le portrait-robot du successeur idéal, réfléchir à des candidats potentiels. Où trouver, dans un si bref délai, un pape qui ne soit pas un simple clone de Jean Paul II, mais sache tirer profit de la dynamique créée par ses obsèques, capitaliser l'affection que viennent de lui manifester les foules du monde entier, la sympathie de si nombreux pays attachés à son combat pour la paix et la justice, les relations avec des confessions venues à Rome confirmer son oeuvre de dialogue ? L'image d'accablement que donnent les cardinaux vient autant du chagrin pour le pape disparu que du défi qui s'ouvre sous leurs pas.

DIALOGUE OECUMÉNIQUE

Dès le soir des obsèques, lors d'une assemblée à l'église Santa Maria di Trastevere organisée par la communauté de San't Egidio, MgrChristodoulos, archevêque d'Athènes, en visite pour la première fois à Rome, a proposé la reprise du dialogue international entre les Eglises orthodoxes et catholique. Les funérailles du pape auront permis des retrouvailles entre les primats orthodoxes eux-mêmes, le patriarche Bartholomée de Constantinople, Mgr Kyrill, numéro deux du patriarcat de Moscou, le patriarche Petros d'Alexandrie, etc. Toutes les Eglises d'Orient étaient à Rome à l'appel de celui qui les avait tant de fois pressées de se réconcilier et de faire respirer l'Eglise de ses "deux poumons", occidental et oriental.
La relance du dialogue oecuménique n'a d'égale que la nécessité de conforter les liens étroits qu'a su créer le pape avec la communauté juive (que représentaient, pour la France, Roger Cukierman, Richard Prasquier et le rabbin Michel Serfaty). Le nombre de délégations protestantes, anglicane (avec Rowan Williams, archevêque de Canterbury), puis celles de l'islam, du bouddhisme, de l'hindouisme, du sikhisme rend trop évidente l'une des premières tâches du successeur du défunt : renouer, consolider le dialogue entre les religions.
L'après-Jean Paul II est ouvert. Les cardinaux électeurs s'enfermeront le dimanche 17 au soir à la résidence Sainte-Marthe, avant de se réunir dès le lendemain après-midi à la chapelle Sixtine. Le compte à rebours a commencé.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 10.04.05

L'altermondialisme prospère en terre chrétienne

[LE MONDE DE L'ECONOMIE, 12 avril 2005]

Dans le cortège des manifestations ou sur les affiches de campagne, le logo d'ATTAC ou des grandes organisations non gouvernementales (ONG) internationales, le portrait de Che Guevara ou la figure de José Bové apparaissent plus souvent que le sigle des mouvements chrétiens. L'engagement de ces derniers pour un " autre monde possible " est pourtant plus important que ne le laisse supposer l'image renvoyée par ces clichés familiers. Au Forum social mondial de Porto Alegre, créé en 2001 pour faire front au Forum économique mondial de Davos, les deux tiers des participants se déclaraient " chrétiens " selon une enquête de l'institut brésilien de recherches Ibase. A l'origine de ce rendez-vous annuel de la contestation apparaissait Chico Whitaker, ancien secrétaire de la commission Justice et paix de la Conférence des évêques brésiliens.
" Cathos " et " alters ", même combat ? Quel rôle a joué Jean Paul II dans ce compagnonnage qui peut surprendre ? " Je me suis senti en consonance entre ce qui se tenait à Porto Alegre et la doctrine sociale de l'Eglise ", reconnaît Mgr Descubes, archevêque de Rouen, après sa première expérience du CFF, en janvier 2005. " Dès la chute du bloc soviétique, Jean Paul II a attiré l'attention sur les dangers d'un libéralisme sans garde-fous et appelé à un nouvel ordre économique mondial ", ajoute le prélat, également président de la commission sociale de l'épiscopat français. Le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) - une des plus grosses ONG françaises - rappelle ses " appels répétés en faveur d'une économie plus juste ". " Jean Paul II a enrichi la doctrine sociale de l'Eglise, souligne Jean-Marie Fardeau, son secrétaire général. Il nous a fourni un matériau qui légitime notre action en faveur de la réduction des inégalités, et pour une remise en cause des règles actuelles du commerce international. " A l'approche de la célébration du Jubilé de l'an 2000, le pape, dans une bulle édictée le 29 novembre 1998, avait souhaité l'allégement du fardeau financier que subissent les pays en développement : " Il y a un signe de la miséricorde de Dieu qui est aujourd'hui particulièrement nécessaire : la charité. (...) Beaucoup de pays, spécialement les plus pauvres, sont opprimés par une dette qui a pris des proportions telles qu'elles rendent pratiquement impossible leur remboursement. "
Cette prise de position avait été suivie du lancement de la campagne Jubilé dont le succès se traduira par 17 millions de signatures en faveur de l'annulation de la dette, remises au G7 de Cologne en 1999. Six ans plus tard, la campagne n'a pas été abandonnée et les organisations chrétiennes, qui s'apprêtent, avec d'autres, à faire pression sur la réunion des chefs d'Etats des pays les plus riches qui se tiendra en Ecosse en juillet prochain, sont toujours aux avant-postes.
La campagne - élargie aux objectifs de développement du Millénaire - a été rebaptisée Action mondiale contre la pauvreté et elle est relayée en Europe par la Coopération internationale pour le développement et la solidarité (CIDSE), coordination de mouvements chrétiens présents dans quinze pays, forte d'un budget annuel de 600 millions d'euros. Au plan mondial, Caritas International intervient au travers de plus de 160 organisations catholiques d'aide.
Outre un discours érigeant la solidarité au rang de vertu chrétienne, Denis Vienot, président de Caritas Europa, reconnaît à Jean Paul II le mérite " d'avoir toujours défendu la paix en osant affirmer que "la guerre est une aventure sans retour˜ ". Les prises de position du souverain pontife en 1991 puis en 2003 contre la guerre en Irak forment les prises de position les plus en phase avec le mouvement altermondialiste. Car sa critique du libéralisme laisse en revanche insatisfaits ceux qui aimerait voire déboucher " l'option préférentielle pour les pauvres " - prônée par le Vatican, avec un rejet sans détour du capitalisme. " La condamnation radicale de Jean Paul II des situations de misère est en cohérence avec le message évangélique. Mais sa doctrine sociale est en régression par rapport à Paul VI ou à Jean XXIII, affirme ainsi le chanoine François Houtart, directeur du Centre tricontinental en Belgique. Il a condamné le socialisme dans son essence et le capitalisme dans ses abus sans jamais nommer les groupes sociaux ou les dirigeants à l'origine de cette oppression. Sa lutte contre le communisme a eu le pas sur tout. " Et notamment, sur l'expérience des théologiens de la libération en Amérique latine dont les principaux théoriciens et acteurs ont été réduits au silence. Aussi Jean Paul II laisse-t-il une image brouillée, entre un discours que s'approprient en grande partie les courants chrétiens de l'altermondialisme et la présence à ses côtés, comme conseiller, d'un Michel Camdessus, ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI), bête noire des partisans d'une mondialisation plus humaine.

Laurence Caramel

Socialisme et libéralisme tu rejetteras

[LE MONDE DE L'ECONOMIE, 12 avril 2005]

la doctrine sociale de l'église s'est adaptée aux mutations économiques, non sans contradictions. jean paul ii a défendu le marché tout en dénonçant les dérives de la mondialisation

Et si le prochain pape était un latino-américain ? Après les obsèques de Jean Paul II, empreintes de ferveur ou d'idolâtrie selon l'idée que l'on se fait du spectacle de cette disparition, chacun attend le choix que feront les 117 cardinaux appelés à désigner le nouveau souverain pontife. Si les Italiens restent favoris, certains évoquent l'élection possible d'un représentant d'Amérique latine, de cette " terre d'espérance " ainsi que la désignait Karol Wojtyla où vit un catholique sur deux.
Une singulière ironie de l'histoire pour tous les hommes d'Eglise qui, dans les années 1970-1980, avaient défendu une " théologie de la libération " que le Vatican a toujours répudiée, y compris sous le pontificat de Jean Paul II. Conservateur au dedans, lorsqu'il évoquait la question des " valeurs morales ", celui-ci se voulait progressiste au dehors quand il s'agissait de fustiger l'iniquité et les richesses mal acquises.
En vingt-sept années de pontificat et quatorze encycliques, Jean Paul II aura eu tout le loisir de développer cette ambivalence et d'exprimer sa propre doctrine de la foi appliquée à un monde qui aura connu un bouleversement sans précédent. Y compris dans le domaine économique et social. Comment, sous la férule de Karol Wojtyla, l'Eglise s'est-elle adaptée, au cours de ce quart de siècle, à cette révolution ? Comment a-t-elle pu l'influencer bien plus que n'avaient pu le faire ses prédécesseurs ?
" Les approches sont forcément différentes entre un pape confronté à une exploitation ouvrière dramatique à la fin du XIXe siècle, comme Léon XIII, des papes vivant la décolonisation et la montée du tiers-monde dans les années 1960, comme Jean XXIII et Paul VI, ou un pape côtoyant la mondialisation et la globalisation financière, comme Jean Paul II ", observe Philippe Senaux dans son livre Dire sa foi dans un monde économique (Desclée de Brouwer). Si les approches ont été différentes, les grands principes sont restés, le premier d'entre eux étant que " l'économie existe pour la personne, et non la personne pour l'économie ". C'est ce qu'a rappelé l'encyclique Centesimus Annus publiée en 1991, qui a repris, en le modernisant, le message contenu cent ans auparavant dans Rerum Novarum, première synthèse de la réflexion économique et sociale de l'Eglise.
Centesimus Annus se prononce, sans aucune ambiguïté, en faveur de l'économie de marché. " Il semble que le marché libre soit l'instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins ", écrit alors Jean Paul II, tout en vantant les mérites d'un " système qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l'entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu'elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique ".
Défenseur de la liberté économique, celui qui a contribué à faire tomber le mur de Berlin n'a cessé de condamner le socialisme d'Etat et de dénoncer " l'inefficacité d'un système économique qu'il ne faut pas seulement considérer comme un problème technique mais plutôt comme une conséquence de la violation des droits humains à l'initiative, à la propriété et à la liberté dans le domaine économique ".
Mais Jean Paul II ne s'est guère montré plus tendre envers un libéralisme sauvage et une société d'hyperconsommation à l'idéologie fondamentalement matérialiste. " On fait parfois une propagande excessive pour les valeurs purement utilitaires, en stimulant les instincts et les tendances à la jouissance immédiate, ce qui rend difficiles la reconnaissance et le respect des vraies valeurs de l'existence humaine ", écrit-il dans Centesimus Annus. Parce qu'elle génère selon lui des abus et des effets pervers, l'économie de marché doit être strictement encadrée.
" L'économie de marché ne peut se dérouler dans un vide institutionnel, juridique ou politique (...) sans compter une monnaie stable et des services publics efficaces. " Il incombe à l'Etat, selon Jean Paul II, " de soutenir l'activité des entreprises en créant des conditions qui permettent d'offrir des emplois, en la stimulant dans les cas où elle reste insuffisante ou en la soutenant dans les périodes de crise ". D'où une approche très keynésienne des problèmes macro-économiques.
L'hostilité aux thèses ultralibérales est aussi perceptible dans la défense de l'impôt qui est " une forme de partage ", ou dans celui du rôle des syndicats qui seuls peuvent prendre les " mesures appropriées pour couper court aux honteux phénomènes d'exploitation, surtout au détriment des travailleurs les plus démunis, des immigrés, des marginaux ", syndicats qui, selon Jean Paul II, ont une mission essentielle " de négociateur de salaires minimums et des conditions de travail ".
C'est aussi cette doctrine du " ni-ni " qui semble avoir animé la pensée de Karol Wojtyla en matière de mondialisation qui n'était, à ses yeux, " ni bonne ni mauvaise ". Tout en observant que " les pays qui se sont exclus des échanges généraux de l'activité économique sur le plan international ont connu la stagnation et la régression, et que le développement a bénéficié aux pays qui ont réussi à y entrer ", il estimait que la mondialisation " ne doit pas être réprouvée car elle peut créer des occasions extraordinaires de mieux-être " mais à condition que la mondialisation se fasse en parallèle avec " l'existence de bons organismes internationaux de contrôle et d'orientation ".
D'où le soutien de l'Eglise à des structures comme l'Organisation mondiale du commerce ou le Fonds monétaire international, mais, en même temps, son combat en faveur de l'annulation de la dette des pays les plus pauvres. " Il n'est pas licite de demander et d'exiger un paiement quand cela reviendrait à imposer, en fait, des choix politiques de nature à pousser à la faim et au désespoir des populations entières ", lança avec force Jean Paul II.
Faut-il voir dans toutes ces considérations une sorte de pensée économique de juste milieu, une égale distance du communisme et de l'ultra-libéralisme, une conception homogène et cohérente finalement assez proche du social-libéralisme en vogue dans de nombreux pays européens ? Ou au contraire une doctrine faite de contradictions, d'hypocrisies et de faussetés, qui défend le profit tout en condamnant l'enrichissement, qui prétend se soucier des exclus en approuvant un système qui creuse les inégalités et en réduisant au silence les théologiens de la libération ?

Pierre-Antoine Delhommais et Serge Marti

4.11.2005

Les cinq défis lancés au Pape de demain

LE MONDE | 11.04.05 | 11h56  •  Mis à jour le 11.04.05 | 14h12

1. DÉCENTRALISER LE POUVOIR ROMAIN

Quel style le nouveau pape devra-t-il donner au gouvernement de l'Eglise ? Encouragera-t-il le retour à un exercice plus modeste de la papauté ? Ou confirmera-t-il cet élan, salué par la planète entière dans la figure de Jean Paul II, vers une papauté universelle, c'est-à-dire une extension toujours plus grande du pouvoir pontifical, une autorité et une visibilité toujours plus marquées de l'Eglise catholique ?
Sous Jean Paul II, l'hypertrophie du pouvoir romain n'a pas permis aux contre-pouvoirs institués par le concile Vatican II (1962-1965), qui voulait accorder plus de poids et d'autonomie aux Eglises locales, de donner toute leur mesure. Les conditions modernes de l'exercice du pouvoir pontifical, l'omniprésence des médias, le charisme propre à ce pape polonais qui, devenu "curé du monde", a court-circuité toutes les médiations, son sens aigu de la primauté de Rome, la conception missionnaire de son ministère et son rêve d'un ordre éthique universel ont bouleversé le schéma conciliaire. Ces données ont contribué à un exercice du pouvoir romain plus personnalisé et plus centralisé que jamais.
Faut-il continuer ou rompre avec ce système de papauté universelle, fondé sur la primauté et l'"infaillibilité" de l'évêque de Rome, arc-bouté sur un gouvernement central - la Curie - éloigné des réalités locales, relayé dans chaque pays par des nonces et des évêques nommés comme des préfets et unifié autour d'un magistère normatif ? Une partie de la réponse dépend de la place qui sera faite à la Curie.
Certes, elle n'est plus cette bureaucratie, souvent décriée, d'hommes aveugles à toute évolution, préoccupés de leur carrière, crispés devant toute contestation ou tout changement. Les réformes de Paul VI et de Jean Paul II en ont fait un instrument adapté au service de l'Eglise dans les conditions du monde moderne. Mais la priorité donnée par Jean Paul II à ses longs voyages pastoraux, la fréquence de ses accidents de santé, sa conception de l'autorité ont conduit la Curie à étendre le champ de ses interventions, à bloquer des questions délicates, à accaparer des pouvoirs, contre l'esprit de collégialité que le concile avait voulu réorienter au bénéfice des Eglises locales.
Toute réforme visant à redonner du poids aux Eglises locales passe par une plus grande autonomie dans la procédure de nomination de leurs évêques. Il y a eu trop d'erreurs de "casting" ou d'aiguillage, trop d'abus de pouvoir des nonces, trop de pressions par les filières ou réseaux bien en cour à Rome pour que cette question ne soit pas traitée par le futur pape.
Les nominations ont été utilisées comme des pressions sur les Eglises locales. La plupart des groupes catholiques contestataires, comme les pétitionnaires de Wir sind Kirche (Nous sommes aussi l'Eglise), en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas et en France, réclament un droit de contrôle local avant toute nomination, plus contraignant que le simple avis consultatif donné aujourd'hui aux nonces par les conférences épiscopales.
De même, le fonctionnement des synodes d'évêques à Rome n'est-il plus que la caricature de ce qui avait été souhaité dans l'élan réformateur de Vatican II. Sans doute le concile n'avait-il pas voulu en faire une assemblée parlementaire avec des pouvoirs propres, mais le synode devait représenter la voix des Eglises locales. Or il est resté une chambre d'enregistrement, où le choix du thème n'est jamais débattu, où les propositions des délégués restent confidentielles. De même un élan nouveau a-t-il été donné aux synodes locaux (diocésains) dans lesquels monte l'exigence d'une information mieux distribuée, d'une libre délibération, etc. Mais les voeux des synodes locaux sont souvent laissés sans suite.
L'Eglise n'a jamais prétendu être une démocratie. Elle n'a sans doute pas à conformer son mode de fonctionnement sur les modèles politiques de la société civile. Mais son administration centralisée, son système pyramidal, paraît de plus en plus en décalage avec la pratique des Etats modernes et des sociétés libérales, où croissent les requêtes d'autonomie, de responsabilité, de délibération et de participation.
Le successeur de Jean Paul II sera-t-il sensible aux demandes qui visent à la décentralisation du système d'autorité catholique ? Celle-ci passe par une limitation du champ de compétences de la Curie romaine, par de plus larges délégations aux conférences nationales d'évêques, par une réforme de la procédure des nominations, par une nouvelle pratique des synodes locaux et épiscopaux. Indépendante de contraintes politiques qui ont disparu et des oppositions conservatrices, l'Eglise paraît aujourd'hui plus libre qu'elle ne l'a jamais été pour réfléchir aux conditions de sa mission, de son développement, de sa réforme institutionnelle, de son adaptation aux cultures et aux besoins des hommes du XXIe siècle. Le nouveau pape saura-t-il tirer profit d'une telle conjoncture ?


2 COMBLER LE DIVORCE AVEC LA SOCIÉTÉ MODERNE

Le divorce s'est aggravé entre l'Eglise catholique et la société moderne. Les malentendus ont été multiples entre Jean Paul II, homme de foi robuste et de tradition, et une opinion rétive aux rappels à l'ordre et à la discipline. On a assisté à une triple dérive : des pratiques religieuses régulières, de la fidélité aux dogmes, de la soumission aux normes morales. Prenons un pays comme la France : de 40 % de taux de pratique de la messe dominicale après la guerre, on est passé aujourd'hui à 10 %. Et si les baptêmes d'adultes (catéchumènes) sont en augmentation (3 000 par an), le nombre des baptisés a globalement chuté, de 90 %, dans les années 1950, à 60 %. Moins des deux tiers des Français se déclarent aujourd'hui catholiques, contre 81 % au début du pontificat de Jean Paul II.
Après avoir soulevé des torrents de critiques, les prises de position du pape et du Vatican contre la pilule, le préservatif, la cohabitation extraconjugale, l'IVG ou la procréation médicalement assistée ont éloigné de l'Eglise des générations entières de couples, de jeunes, soulevé l'étonnement de milieux médicaux et scientifiques. Sur des questions comme la contraception, le divorce, voire l'avortement, la désobéissance des fidèles par rapport aux positions de leur Eglise confine même à l'insoumission. Aux Etats-Unis, un sondage de 1993 - juste avant une visite de Jean Paul II à Denver - montrait qu'une majorité de catholiques n'excluaient plus l'avortement dans des cas extrêmes.
A cette indiscipline s'ajoute un scepticisme croissant par rapport aux vérités traditionnelles de la foi enseignées par l'Eglise. Les enquêtes montrent que des dogmes comme la Résurrection ou la définition de Jésus-Christ comme "Fils de Dieu" ne vont plus de soi, même chez les fidèles. Le sens de la Révélation est en cause. La foi et l'acte moral ne se fondent plus sur des dogmes ou des normes imposées par une autorité extérieure, une loi divine ou naturelle, mais sur une liberté de conscience toujours davantage revendiquée et qui juge au coup par coup. Instruite des leçons d'une histoire pour laquelle Jean Paul II a si souvent demandé pardon, l'Eglise a cessé de prétendre au monopole de la vérité. Mais le défi premier qui va se poser à son successeur est bien cette sécularisation massive, ce changement d'univers religieux qui s'exprime par la montée de l'individualisme, de l'indifférence et de ce "relativisme" qu'a si souvent dénoncé le cardinal Ratzinger.
Quelle est l'alternative ? L'Eglise pourra-t-elle tenir demain un langage différent, changer sa position, par exemple, sur quelques principes fondamentaux de sa morale familiale et sexuelle ? Peut-elle répondre à la demande de sens et de valeurs, si aiguë dans les jeunes générations, autrement que par la répétition d'interdits et la production de normes ? Ce sera la tâche du prochain pape de répondre à cette interrogation.
Des appels sont régulièrement lancés pour "adapter" le christianisme à la modernité. Vieille tentation, le risque étant de transformer la religion en éthique, le christianisme en humanisme. Le prochain pape ne devrait donc pas s'éloigner des positions suivantes : la première, c'est la reconnaissance, sans arrière-pensée ni nostalgie, du pluralisme des options religieuses et éthiques ; la deuxième, c'est le refus de la privatisation de la foi et de la marginalisation de l'Eglise ; la troisième, c'est la possibilité laissée à cette Eglise de jouer son rôle de contestation des fondements de la culture, de la société et de l'éthique.
Sans contraindre. Car la foi chrétienne ne peut plus être pensée comme un système rigide, fermé, opposé à d'autres vérités concurrentes. Elle doit tenir compte que le fait catholique est minoritaire dans le monde. L'Eglise ne peut plus être considérée que comme le lieu de la foi accueillie, pratiquée, proposée à l'ensemble de la société, sans que cette proposition apparaisse comme l'expression d'une volonté hégémonique.

3 DÉVERROUILLER L'ACCÈS AUX MINISTÈRES ORDONNÉS

Une Eglise sans prêtres ? Les scénarios catastrophes des années 1960 sont en train de se réaliser dans des pays comme la France, l'Allemagne, le Benelux, etc. Même de vieux pays catholiques comme l'Italie ou l'Espagne sont touchés. Sans doute les Eglises du tiers-monde sont-elles plus riches en vocations, mais aussi plus fragiles.
La crise en France est trop connue pour qu'on s'apesantisse sur les chiffres : la France ordonnait environ 1 000 prêtres par an dans les années 1950. On en est autour de 110 depuis vingt ans. Le clergé comprenait 41 000 prêtres en 1960. Il n'en est plus qu'à la moitié - dont les deux tiers âgés de plus de 60 ans. L'intimidation qui pèse sur les jeunes croyants, l'obligation du célibat, les affaires de pédophilie n'expliquent pas seules cette pénurie de vocations. Il existe une crise d'identité du prêtre, du ministère ordonné, bien au-delà de la France. Tous les efforts faits pour former des laïcs (non-prêtres) et leur confier
des responsabilités dans l'Eglise butent sur cette réalité : des besoins spirituels et sacramentels ne peuvent plus être remplis. Les assemblées sans prêtres, les funérailles de laïcs s'étendent. L'appel à des prêtres africains ou polonais n'est qu'un palliatif. La solution qui saute aux yeux est d'ordonner prêtres ou diacres des laïcs d'expérience, hommes ou femmes, célibataires ou mariés, appelés par l'évêque ou choisis par leur communauté.
Le prochain pape sera confronté à ce scénario, tant il trotte depuis longtemps dans la tête de nombre d'évêques eux-mêmes. Cette hypothèse, qui divise depuis longtemps l'Eglise, aurait pour premier mérite de dépasser les frustrations venues d'une frontière de plus en plus flottante entre le ministère ordonné de l'évêque et du prêtre - qui préside l'eucharistie, donne l'absolution, célèbre les baptêmes et les mariages -, celui du diacre permanent - qui peut prêcher, baptiser, marier, mais non célébrer l'eucharistie -, et celui des laïcs non ordonnés, affectés seulement à des tâches de services, de préparation et d'accompagnement.

Rien ne permet de prévoir, dans un avenir proche, un changement de la règle, mais la question de l'accès de laïcs, même mariés, au ministère ordonné n'est-elle pas l'une de ces querelles byzantines dans lesquelles le christianisme, depuis toujours, épuise ses énergies ? Elle n'avait pas été traitée pour elle-même lors du concile Vatican II qui, au début des années 1960, n'avait pas mesuré le puits sans fond qu'est devenue la crise du clergé.
Il en va autrement aujourd'hui. L'enjeu n'est ni plus ni moins que la présence et le rayonnement de l'Eglise dans les dix ans à venir, son maillage institutionnel, l'animation de ses communautés, la réponse aux demandes sacramentelles, la disponibilité de ses forces restantes, en un mot l'avenir de l'évangélisation, c'est-à-dire l'essentiel de sa mission. La fin de la règle du célibat ne serait pas la panacée. Mais cette loi écarte du ministère nombre de jeunes catholiques qui ne peuvent pas l'accepter et aimeraient qu'au moins le choix soit laissé, avant l'ordination sacerdotale, entre le célibat et le mariage. Le célibat consacré rend le prêtre totalement disponible à Dieu et à son ministère. Mais que l'Eglise en fasse un article de foi, alors qu'il n'en est au plus qu'une discipline, variable dans le temps et dans l'espace, n'est plus compris de l'homme d'aujourd'hui.
C'est au début du Ve siècle, en raison de la suprématie du corps monastique, que le statut du prêtre, alors marié, a commencé à être encadré, mais des hommes mariés ont continué à être ordonnés prêtres et évêques jusqu'au XIIe siècle. C'est le concile de Latran (1123-1139) qui a déclaré invalides les mariages contractés par les diacres et les prêtres après leur ordination. Dans toutes les Eglises d'Orient, y compris celles qui sont sous la juridiction de Rome, des prêtres sont aussi mariés (l'ordination ne pouvant être que postérieure au mariage). Les Eglises latines ont également accueilli des prêtres orientaux mariés, des ministres luthériens et prêtres anglicans convertis au catholicisme et également mariés.
Le déverrouillage de l'accès au ministère ordonné, au bénéfice éventuellement d'un homme marié, sera sans doute l'une des premières questions que le prochain pape aura à arbitrer. Une solution intermédiaire pourrait être l'élargissement des attributions du diacre et l'accès du diaconat aux femmes, ce qui ne serait qu'un retour aux premiers temps de l'Eglise. Les diacres sont en France au nombre de 1 325, contre 11 en 1970. On ordonne désormais, chaque année, plus de diacres permanents que de prêtres. Le concile Vatican II a restauré le diaconat permanent d'hommes éventuellement mariés. Depuis, le compteur est bloqué. La raison en est simple : si on élargit les attributions du diacre marié, le ministère du prêtre célibataire peinera à faire la preuve de sa pertinence.
En revanche, la question de l'ordination sacerdotale des femmes est hors de tout débat au sommet de l'Eglise catholique. Non seulement parce que Jean Paul II l'a formellement interdite (Ordinatio sacerdotalis, 1994), mais aussi parce que, à la différence de l'ordination des hommes mariés, celle des femmes relève non de la discipline ecclésiastique, mais de la tradition et du dogme. Le prêtre célèbre l'eucharistie "in personna Christi" et ne peut être qu'un homme.

4 RELANCER LE DIALOGUE AVEC LES ÉGLISES SÉPARÉES

Sur le terrain de l'oecuménisme - c'est-à-dire du rapprochement entre les Eglises séparées - Jean Paul II a payé de sa personne. De Constantinople (1979) à Canterbury (1982), de Genève (1984) à Uppsala (1989), il a inlassablement prêché l'unité avec l'orthodoxie, l'anglicanisme et les confessions issues de la Réforme protestante. Il s'est dit convaincu que, si le deuxième millénaire avait été celui de la division, le troisième devrait être celui de l'"examen de conscience" et du "pardon".
Mais la tâche est restée largement inachevée. Le long pontificat de Jean Paul II a été celui du réveil de conflits historiques et doctrinaux, qui n'a pas provoqué un retour aux polémiques d'hier mais a bloqué beaucoup des nouvelles avancées. Après la chute du communisme, ont ressurgi entre catholiques et orthodoxes des conflits de frontières et de juridictions dont on avait oublié jusqu'à l'existence. En Ukraine ou en Roumanie, des communautés orthodoxes et gréco-catholiques (rattachées à Rome, mais restées de rite byzantin) en sont venues aux mains pour la propriété d'églises qui appartenaient aux gréco-catholiques (uniates) avant leur élimination par Staline.
A ce procès de l'uniatisme, s'est ajouté celui du prosélytisme, également intenté par les Eglises orthodoxes aux communautés catholiques et à des groupes baptistes qui ont investi des pays sortis du communisme sans égard pour leur tradition orthodoxe millénaire. Le réveil des nationalismes politico-religieux à l'est de l'Europe et dans les Balkans a avivé aussi les rancoeurs mutuelles. Cette accumulation de griefs a rouvert la brèche entre catholiques et orthodoxes, rallumé des haines fratricides, dont le meilleur exemple fut le veto mis par l'Eglise orthodoxe de Russie et son patriarche Alexis II à toute visite de Jean Paul II à Moscou.
Sans doute le dialogue a-t-il progressé avec les Eglises luthériennes qui, en 1998, ont ratifié un accord avec le Vatican sur la "justification par la foi" et ainsi gommé l'un des principaux désaccords historiques issus de Luther. Mais, avec les anglicans, il a subi des hauts et des bas, surtout depuis que l'Eglise d'Angleterre, Eglise mère de la Communion anglicane, a décidé, en novembre 1992, l'ordination de femmes-prêtres. De sèches mises au point ont suivi de Rome, regrettant cet écart par rapport à la tradition chrétienne.
Plus largement, les Eglises protestantes ont eu le sentiment, sous le pontificat de Jean Paul II, que, forte de son poids d'histoire, de son système centralisé, de sa prétention à l'autorité universelle, l'Eglise romaine avait tendance à s'éloigner de Vatican II qui, au contraire, avait mis l'accent sur des attitudes plus proches du protestantisme : autorité des Eglises locales, gouvernement plus collégial, accueil des requêtes d'autonomie de la conscience.
Comment le prochain pape pourra-t-il relancer le dialogue oecuménique ? A quelles conditions sera-t-il possible de restaurer le climat de confiance des années 1960, en dehors de la naïveté qui consistait à croire que toutes les difficultés pourraient être réglées, dans le dialogue entre théologiens, par des actes de contrition et baisers de paix fusionnels ? Jean Paul II a indiqué une marche à suivre, qu'il n'a guère eu le temps d'explorer, mais qui aura eu le mérite de déblayer le terrain. Cette démarche est née prise de conscience de l'"obstacle" que représente, sur la route de l'unité, la question de la primauté universelle de l'évêque de Rome, c'est-à-dire du pape. Il a proposé une réflexion commune des partenaires oecuméniques sur l'exercice de cette primauté universelle.
On sait quel impact une telle initiative pourrait avoir au plan du gouvernement interne de l'Eglise. Elle aurait aussi du retentissement dans la relation avec les autres Eglises pour la recherche d'un modèle de "communion". Ce modèle doit-il être fondé sur l'évêque de Rome (le pape), comme le veut la tradition catholique, ou privilégier une "ecclésiologie de communion", comme le veulent les orthodoxes, pour qui la notion de juridiction universelle n'existe pas et qui ne pourront jamais accepter une primauté de pouvoir d'une Eglise sur une autre ? L'évêque de Rome est-il prêt à n'accepter qu'une primauté d'honneur, un rôle de coordinateur ou d'intercesseur, sans les revendications de primauté mondiale ou d'infaillibilité personnelle que les autres confessions ne reconnaissent pas ?
C'est l'un des grands débats à venir, qui ne sera certainement pas réglé à l'horizon du nouveau pontificat, dût-il être long. Comment le pape pourrait-il renoncer, demain, à son magistère universel ? Qu'est-il capable de concéder, pour la cause supérieure de l'unité, comme limitation de l'exercice de son propre pouvoir ? Rome peut-elle accepter que soit rediscutée la structure de l'autorité catholique telle qu'elle a été élaborée au cours du deuxième millénaire jusqu'à Vatican I (1870) ? Parviendra-t-elle un jour à se définir autrement que comme un centre, les Eglises locales restant à la périphérie ? Et le pape, à limiter son rôle à celui d'un patriarche d'Occident, même premier parmi ses pairs ? C'est de la réponse à de telles questions que dépend la réunification des familles chrétiennes.


5 APPROFONDIR LA RENCONTRE AVEC LE JUDAÏSME ET L'ISLAM


Si l'horizon de la réunification des confessions chrétiennes sera pour le nouveau pape une urgence absolue, on voit mal le successeur de Jean Paul II ne pas continuer d'élargir l'espace du dialogue avec les religions monothéistes. Ce pape, qui fut l'initiateur de rassemblements sans précédent de tous les grands chefs religieux à Assise (Italie), a ouvert des voies de rencontre avec le judaïsme, l'islam, comme avec le bouddhisme. Il a donné des coups d'accélérateur décisifs à cet oecuménisme interreligieux que son successeur, malgré les haut-le-coeur des milieux traditionalistes, ne pourra que chercher à prolonger, voire amplifier.
L'"esprit d'Assise" dit qu'en cherchant la vérité des autres traditions, on approfondit la sienne. Jean Paul II a répété cette évidence à propos des juifs, "frères aînés" des chrétiens. Dans la rencontre avec le judaïsme, il a franchi des étapes irréversibles. Si on retient surtout les proclamations de "repentance", on se rappellera aussi la première visite de ce pape à la synagogue de Rome, la reconnaissance du lien de filiation historique et spirituelle entre le judaïsme et le christianisme, l'effort entrepris par Rome pour que l'Eglise retrouve ses racines juives, expurge ses textes de toute allusion antijuive. On se souviendra aussi de la reconnaissance de l'Etat d'Israël, après des années de tergiversations. Non seulement une paix de trente ans a pu s'établir entre judaïsme et christianisme depuis Vatican II, mais une page radicalement nouvelle de leurs relations s'est ouverte, sur laquelle il ne sera sans doute plus possible de revenir.
Mais la marge de progrès reste considérable. Contesté dans la communauté juive, le document du Vatican en date du 15 mars 1998 sur la Shoah a montré que l'Eglise était loin d'être au clair sur ses responsabilités passées, que le rôle du pape Pie XII en particulier, face à l'extermination, demeure sujet à controverses malgré la récente ouverture (partielle) des archives vaticanes.
Outre la mémoire blessée du génocide, d'autres questions demeurent. L'Eglise a-t-elle définitivement renoncé à la théorie de la "substitution", qui ignorait la vocation propre et l'identité d'Israël ? Dans des textes officiels, ne continue-t-elle pas de parler de l'Eglise comme d'un "Nouvel Israël" ? D'autres ambiguïtés restent sur le contenu de la Révélation dans chacune des deux traditions juive et chrétienne, sur la doctrine de la Terre promise - centrale pour le judaïsme qui l'identifie à Israël -, sur le messianisme, autant de sujets qui ne sont encore abordés que du bout des lèvres.
L'espace du dialogue est-il plus ouvert avec l'islam ? Sur lui pèsent d'autres menaces moins liées au passé qu'à un présent profondément dégradé par la dérive islamiste. Les attentats antichrétiens en Algérie, l'assassinat des moines de Tibéhirine ou de Mgr Claverie ont marqué les limites d'un dialogue avec l'islam qui, dans la tradition des orientalistes (Louis Massignon, Louis Gardet), s'était identifié à un échange sur des valeurs de tolérance et de civilisation.
Les crimes commis au nom d'un islam perverti, en Algérie, en Egypte, en Asie, jusqu'aux attentats du 11-Septembre, les discriminations persistantes visant les chrétiens minoritaires dans quelques pays musulmans (du Pakistan à l'Arabie saoudite) sont les signes d'une crise de civilisation qui menace des équilibres anciens des théologies islamique et chrétienne. Le camp du scepticisme se renforce.
Comment croire à un dialogue possible entre deux visions de l'homme, du monde et du salut apparemment aussi inconciliables ? La croyance des chrétiens en un Dieu qui s'incarne et se révèle dans une histoire est un scandale pour tout bon musulman.
Or, pour un chrétien, cette incarnation de Dieu en Jésus-Christ est l'événement majeur, celui qui justifie l'exercice de sa propre liberté, sa participation à la transformation du monde. Aucun dialogue sérieux avec l'islam ne sera possible sans la prise en compte de son environnement politique, ni cette connaissance rigoureuse de ce qui sépare les deux traditions.
La marge de manoeuvre a été définie par Jean Paul II, qui n'a rien ignoré de ces épreuves. Il faut, a-t-il souvent dit, encourager les leaders musulmans modérés, puis défendre des enjeux de civilisation, en soutenant la présence de minorités chrétiennes dans les pays d'islam. Il ne doit y avoir "ni capitulation ni irénisme ", écrivait-il dans l'encyclique Redemptoris missio de 1991, mais un témoignage réciproque, en vue de surmonter les préjugés, l'intolérance et les malentendus.
A moins de révisions déchirantes et peu probables, on doute que son successeur n'applique pas, à son tour, une telle marche à suivre dans une relation avec l'islam qui ressemble à une ligne de crête.
Article paru dans l'édition du 03.04.05
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