PORTRAIT
LE MONDE | 16.02.05 | 14h41
Pendant l'hospitalisation de Jean Paul II, le porte-parole du Vatican a tenu la salle de presse d'une main de fer. Depuis plus de vingt ans, cet homme de pouvoir est autant courtisé que détesté.
De Hongkong , Santiago du Chili, Barcelone, Denver, les appels pleuvent. Marbre blanc et noir au sol, rideaux de velours bleu, fauteuils cossus couleur grège, la salle de presse du Vatican, via della Conciliazione à Rome, à deux pas de la place Saint-Pierre, gronde. Le pape est à l'hôpital et la planète est malade. Les conférences de presse ne désemplissent pas. Elles ne surabondent pas non plus, ni ne durent. Joaquin Navarro-Valls lit un communiqué, le répète en plusieurs langues pour les télévisions, repousse l'assaut des questions et tire sa révérence.
Concision, séduction, distinction : à 68 ans, l'Espagnol Joaquin Navarro-Valls est à la communication du Vatican ce que Saint-Pierre est à l'Eglise : le centre. Et son martyr. A force de tout filtrer, de donner si peu, de confondre information officielle et sentiment personnel, il capte tous les mécontentements. Il est courtisé autant que détesté. Un mot de lui à un journaliste et c'est la curée : "Qu'est-ce qu'il a dit, Navarro ?" Malheur au confrère qui n'obtempère pas. Jamais les critiques n'avaient été aussi vives que lors de ces dix jours du pape à l'hôpital Gemelli. La presse réclamait un bulletin par jour, détaillé, signé par les médecins, quand Navarro ne livrait que des informations partielles, sèches, agrémentées d'anecdotes, invérifiables, sur la bonne humeur du pape.
Les envoyés spéciaux en firent vite leur bouc émissaire. Injustement. Au reporter du Monde, il rappelle sourire aux lèvres que, sur la santé de ses chefs d'Etat la France n'a pas de leçon de transparence à donner - cancer de François Mitterrand à l'appui de sa démonstration.
Au service du pape depuis vingt ans, Navarro ne nie pas la force de son "engagement personnel", mais ne pense pas que son interprétation de l'évolution de la maladie du pape ait pu être prise en défaut : "Je suis à la fois médecin et journaliste. Objectivement, la quantité d'informations données était exacte et suffisante."
Après des études de médecine, pendant vingt ans, il exerce la psychatrie à Grenade, puis l'enseigne à Barcelone. Aujourd'hui encore, il dit avoir la nostalgie de cette période et consacre ses rares temps libres à la lecture de revues spécialisées. "Refaire de la médecine est une tentation terrible", confie-t-il. Il était le correspondant à Rome du journal madrilène ABC (centre droit), quand le pape l'a appelé, en décembre 1984, pour diriger la salle de presse du Vatican. Il est le premier laïc nommé à ce poste. Jamais le pape ne lui a dit pourquoi il avait porté son choix sur lui. Jamais il n'a osé le lui demander !
De mystère, il n'y en eut pas pour tout le monde. Joaquin Navarro-Valls était un bon journaliste, estimé de ses confrères, présent dans l'avion de Jean Paul II dès ses premiers voyages. Il avait suivi, en Pologne, l'aventure de Solidarnosc. Mais c'est son appartenance au mouvement conservateur de l'Opus Dei (il est "numéraire", c'est-à-dire membre célibataire) qui explique sa nomination de 1984, disent ses détracteurs. Pour eux, Navarro-Valls est un pion avancé de la stratégie d'infiltration de l'Opus Dei au sommet de l'Eglise. Vingt après, il a fait franchir des bonds à la communication du Vatican.
Faussement modeste, il se terre dans son fauteuil. "L'image du pape se vend toute seule. Pas besoin de gros efforts. Mon rôle n'est pas d'exciter l'intérêt de l'opinion publique pour le pape, seulement de ne pas la décevoir", assure-t-il. Il se dit "absolument libre", sans consignes, étranger aux jeux de pouvoir autour du pape : "J'ai besoin d'une information, je la demande. Ensuite, j'en assume la diffusion. Je suis en première ligne si elle passe ou si elle ne passe pas."
Sa vénération pour Jean Paul II n'a pas pris une ride : "Depuis vingt ans, j'ai accompagné chaque moment de sa vie, dans la force de l'âge comme dans la maladie. Comment pourrais-je rester insensible ?" Il se dit fasciné par la dimension spirituelle du personnage, jusque dans la souffrance. Et par sa passion de la vérité : "Il ne me demande jamais de lui rapporter qui a dit ceci ou cela, mais si c'est vrai ou pas."
Une passion de la vérité qui ne serait pas le propre de son porte-parole, selon les vaticanistes. Pour eux, Navarro-Valls cherche à diviser, favorise certains journalistes, pénalise les autres. "Une mentalité maffieuse, vitupèrent les plus sévères. Il travaille pour son ego d'abord, pour son organisation ensuite, pour le pape enfin." Les habitués des voyages se souviennent de "mensonges" qu'il aurait sciemment commis, comme ce face-à-face au Guatemala, raconté avec force détails, entre le pape et Rigoberta Menchu, Prix Nobel de la paix. Rencontre qui n'eut jamais lieu ! En 1989, en Zambie avec Jean Paul II, il dévoile des contacts entre les rebelles angolais et le cardinal Etchegaray, alors l'homme des missions secrètes du pape. En 1996, en Hongrie, il révèle que le pape souffre d'un "syndrome extra-pyramidal"de la maladie de Parkinson et se fait taper sur les doigts. Comme en 1998, quand il s'attribue la paternité de la décision de Fidel Castro de recevoir le pape à La Havane. Le Lider Maximo ne lui avait-il pas accordé une conversation de neuf heures ? "S'il n'était pas protégé par l'Opus Dei, il ne serait plus là", observe un journaliste italien.
Les ultracléricaux sont aussi irrités devant le pouvoir pris par ce laïc, qui n'est que "directeur de la salle de presse du Vatican". "Tout collaborateur du pape est là pour servir le pape, non pour s'en servir", maugrée l'un d'entre eux, qui rappelle un show télévisé auquel le porte-parole du Vatican avait accepté de participer avec ses homologues auprès de Reagan et de Gorbatchev... C'était il y a bien longtemps et, "des trois porte-parole des trois hommes les plus puissants du monde", M. Navarro-Valls est encore le seul à être là !
Henri Tincq
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1936 Naissance à Carthagène, en Espagne.
1961 Après des études à Grenade et à Barcelone, il devient médecin psychiatre.
1968 Diplômé en journalisme de l'université de Navarre.
1984 Il est nommé directeur de la salle de presse du Vatican et porte-parole du Saint-Siège.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 17.02.05