5.28.2005

Son passé allemand reste omniprésent

[Le Figaro, 28 mai 2005]

Depuis son élection, Benoît XVI a montré qu’il n’oublie pas qu’il est allemand. Cette identité est même pour lui un signe des temps. «Comment ne pas lire à la lumière de la providence le fait qu’à un pape polonais ait succédé un citoyen de cette terre, l’Allemagne, où le régime nazi a pu s’affirmer», avant d’attaquer la Pologne, a-t-il déclaré avec force un mois après son élection en commentant la projection – de trois heures – d’un film sur la vie de Karol Wojtyla à laquelle il venait d’assister au Vatican. Celui qui avait été l’envoyé spécial de Jean-Paul II aux commémorations du débarquement en Normandie, en juin 2004, estime que «les souvenirs ne doivent pas s’effacer» mais demeurer «des leçons sévères pour notre génération et celles à venir».
Dans un souci manifeste de réintégrer définitivement l’Allemagne sur la scène diplomatique et internationale, le Pape avait déjà évoqué ce poids de l’histoire, le 12 mai dernier, dans son premier discours au corps diplomatique. «Je viens d’un pays où la paix et la fraternité sont chères au coeur de tous les habitants, en raison d’idéologies dévastatrices et inhumaines qui, sous couvert de rêves et d’illusion, faisaient peser sur les hommes le joug de l’oppression», avait alors souligné le Pape, évoquant la guerre et le Rideau de fer.
Son premier voyage international, en août prochain, Benoît XVI l’effectuera à Cologne à l’occasion des Journées mondiales de la jeunesse. Il devrait se rendre dans la synagogue de cette ville détruite par les nazis en 1938 et pourrait aussi visiter l’église Sainte-Ursule dédiée aux martyrs du XXe siècle.

Le Pape veut relancer les relations diplomatiques avec la Chine

Des contacts informels se poursuivent pour transférer, un jour, la nonciature de Taïwan à Pékin

[Le Figaro, 28 mai 2005]

La géostratégie de Benoît XVI passe par la Chine. Mercredi dernier, lors de la traditionnelle audience générale, le Pape a fait un geste significatif. Il a rompu le protocole pour se mêler quelques instants à des Chinois sur la place Saint-Pierre. Déjà, dans son premier discours aux 174 ambassadeurs accrédités au Saint-Siège, le 12 mai dernier, Benoît XVI avait tendu la main à l’empire du Milieu. Il avait alors «souhaité que les nations non accréditées auprès du Vatican y envoient un ambassadeur. Le Vietnam, l’Arabie saoudite font parties de cette liste. Mais la Chine est le rêve resté lettre morte de son prédécesseur. Après une éclipse de près de quatre ans, suite à la béatification de cent vingt martyrs chinois par Jean-Paul II, les relations sino-vaticanes semblent relancées.
Le Pape s’est réjoui des messages de condoléances de la République populaire, à l’occasion de la mort de Jean-Paul II. Si la Chine n’a pas envoyé de délégation pour les obsèques, contrairement à Taïwan, elle a chaleureusement félicité le cardinal Ratzinger de son élection. Pékin avait alors souhaité que Benoît XVI puisse «créer des conditions favorables pour améliorer les relations entre la Chine et le Vatican». Près d’un mois plus tard, les autorités chinoises réaffirmaient leur volonté «sincère» de renouer leurs relations avec le Saint-Siège, rompues en 1951.
Les diplomates du Vatican se réjouissent et accueillent favorablement «ces signes de bonne volonté». Cependant, il n’y a pas encore de dialogue officiel. Le Saint-Siège attend du concret. La balle reste dans le camp chinois. A l’heure actuelle, Pékin se dit prêt à étudier la reprise de relations diplomatiques à deux conditions : la fermeture de la nonciature de Taïwan et la garantie que le Pape n’intervienne pas, «au nom de la religion», dans les affaires intérieures de la Chine.
Le Vatican reste cependant intransigeant sur la question de la liberté religieuse. Depuis plusieurs mois, le Saint-Siège dénonce systématiquement les arrestations arbitraires de prêtres catholiques par les autorités chinoises. Quelques heures avant le décès de Jean-Paul II, le porte-parole du Saint-Siège, Joaquin Navarro-Valls, condamnait encore officiellement l’arrestation de plusieurs religieux.
Quant à la question taïwanaise, ce ne serait pas un obstacle. En 1999, le numéro deux du Vatican, le cardinal Angelo Sodano avait caressé Pékin dans le sens du poil. Pour lui, l’ambassade de Taïpeh était «la nonciature en Chine». Si «le gouvernement central» le permettait, elle pourrait être transférée sur le continent. Pour la grande cause, les Taïwanais sont donc préparés à une éventuelle fermeture de leur représentation pontificale. Mais aujourd’hui, la secrétairerie d’État souhaiterait ménager la chèvre et le chou. Pour la diplomatie pontificale, la nomination d’un nonce à Pékin n’est pas un moyen, mais une fin. Un simple «délégué» pourrait préparer la voie à la réconciliation, à condition de pouvoir rencontrer les quelque 12 millions de catholiques de l’Église «patriotique», contrôlée par le pouvoir, et de l’Église clandestine. En attendant, le Saint-Siège ne regarde pas d’un mauvais oeil les initiatives individuelles.
Le cardinal Roger Etchegaray a été pionnier. Entre 1980 et 2003, «l’hom me des missions spéciales» de Jean-Paul II s’est rendu à quatre reprises en Chine. D’autres lui ont emboîté le pas. Au moment de la mort de Jean-Paul II, le cardinal Godfried Dannels, l’archevêque de Malines-Bruxelles s’y trouvait.
Mais aucun de ces princes de l’Église n’a jamais eu de mandat officiel, tout comme la communauté laïque de Sant’Egidio. Parfois qualifiée de «diplomatie parallèle» du Saint-Siège, le mouvement a développé depuis dix ans des liens avec les intellectuels du régime, en particulier l’Académie des sciences morales et l’Institut des religions. Depuis un an, ces rapports se sont intensifiés et étendus au ministère de la Sécurité responsable des questions religieuses.
Pour Sant’Egidio, cet intérêt renouvelé de la Chine pour l’Église catholique répond à des préoccupations de politique intérieure et étrangère. Dans son ouverture et son intégration internationale, dans la perspective des Jeux olympiques de Pékin en 2008, la Chine serait en train de réévaluer son rapport au religieux. Elle voudrait «investir» dans les valeurs morales portées par les religions et en particulier le christianisme. Dans un mois, une délégation chinoise se rendra à Rome pour une nouvelle rencontre avec Sant’Egidio. Quant à un voyage du Pape dans l’empire du Milieu, il ne serait pas encore à l’ordre du jour.

Benoît XVI se concentre sur l’Eglise

VATICAN A peine plus d’un mois après son élection, le 19 avril, le successeur de Jean-Paul II a déjà imprimé sa marque

Un mois après son élection, le 19 avril, Benoît XVI remplit la mission qui lui a été confiée par plus des deux tiers des cent quinze cardinaux électeurs : maintenir la foi en poursuivant l’oeuvre de Jean-Paul II. Quelques gestes symboliques comme le fait de renoncer à présider les cérémonies de béatification sont cependant la marque d’un pontificat plus centré sur la mission spécifique du pape et plus dépouillé. Jean-Paul II faisait passer un message au travers de son charisme, des images ou des gestes. Benoît XVI, lui, veut le transmettre par la force d’un discours clair et direct. Jeudi dans les rues de Rome, une grande procession était organisée pour la Fête-Dieu – célébrant le sacrement de l’Eucharistie – entre les basiliques Saint-Jean-de-Latran et Sainte-Marie-Majeure. Benoît XVI présidait cette célébration annuelle. Ses propos sur l’importance de l’Eucharistie et de l’annonce de l’Évangile étaient situés dans l’exacte veine de son prédécesseur.

Sophie de Ravinel et Hervé Yannou
[Le Figaro, 28 mai 2005]

Mais contrairement à Jean-Paul II, Benoît XVI n’a pas profité de cette occasion pour proposer un commentaire spirituel de l’actualité internationale. Non qu’il ne s’y intéresse pas. Ses efforts centrés sur l’établissement de relations diplomatiques avec des pays comme la Chine en témoignent (voir ci-dessous). Tout comme le fait qu’il maintienne le rythme de Jean-Paul II en recevant de nombreuses personnalités politiques. Mais il lui importe avant tout, et «parce que la situation l’impose» comme l’a affirmé récemment le cardinal vicaire de Rome Camillo Ruini, de concentrer son discours sur l’affermissement de la foi au sein du monde catholique. C’est ce qu’il fera dimanche à Bari, pour son premier déplacement comme pape en dehors de Rome.
S’il traite de l’actualité donc, comme dans la basilique Saint-Jean-de-Latran le 7 mai dernier, c’est pour rappeler la constance de la doctrine sur la question de la défense de la vie et de la famille. Un dossier qu’il sait brûlant, en particulier en Occident.
De la même manière, lundi dernier, dans un message adressé aux évêques espagnols, c’est sur le respect de «la liberté religieuse» qui ne doit pas être confinée à «un cadre privé» ainsi que sur «la liberté de conscience de chaque personne» qu’il a centré son intervention. Là encore, il lui semble urgent que l’Église catholique puisse faire entendre sa voix, alors que le gouvernement espagnol s’apprête à légaliser le mariage homosexuel.
Benoît XVI, qui partage exactement les mêmes idées que Jean-Paul II, ne dispose pas du même charisme pour les transmettre.
Comme l’affirme Bernard Lecomte, auteur de la biographie française de référence sur Jean-Paul II, «les premiers textes de Benoît XVI sont plus clairs que ceux de Jean-Paul II, et on sent la forte connivence qui a existé pendant plus de vingt ans entre les deux hommes». Mais il insiste aussi sur le fait que «l’univers du nouveau Pape est un univers d’écrits, de penseurs, de pères de l’Église. Au début de sa carrière Ratzinger était plongé dans un univers de bibliothèque ; Wojtyla dans un univers de jeunes. Cette diversité est essentielle, malgré la proximité intellectuelle. Elle fait la différence dans la manière d’assumer la mission pontificale».
En outre, certains, comme le journaliste Jean-Claude Petit dans son dernier livre (1) se demandent si Benoît XVI n’est pas, «non pas le porte-parole mais l’expression aujourd’hui majoritaire de «forces restauratrices»» dans l’Église.
Le Pape est conscient de ces points de vue qui circulent. Très vite, dès le lendemain de son élection, il a souhaité montrer qu’il n’allait en rien diminuer l’engagement oecuménique de Jean-Paul II.
Par ailleurs, la nomination de son successeur à la Congrégation pour la doctrine de la foi, l’archevêque américain de San Francisco, William Joseph Levada, manifeste davantage une certaine ouverture pragmatique que le moralisme doctrinal. Âge de 69 ans, le futur bras droit du Pape n’est pas considéré comme un conservateur de la ligne «dure» aux États-Unis, bien au contraire.
Enfin, dans sa décision de ne pas présider lui-même les cérémonies de béatification, mais d’en laisser le soin à des cardinaux, manifeste sa volonté de concentrer le ministère du Pape sur des missions précises, essentielles. En outre, c’est le pluriel qu’il avait choisi dans sa devise personnelle : «Collaborateurs de la vérité.»
Mais l’âge compte. A 78 ans, il sait qu’il n’aura pas le quart de siècle de Jean-Paul II pour guider l’Église et y imprimer sa marque. Le style aussi. Lors de sa première audience avec les journalistes, il a été courtois mais discret. L’ensemble a été expédié en vingt minutes, sans contacts personnels. Beaucoup y ont entendu le glas de la papauté surmédiatisée.
Son contact avec les laïcs aussi, est différent. En quelques semaines pourtant, cet intellectuel aux gestes mesurés a déjà détendu son style. Le sourire discret, les bras levés vers la foule pour la saluer deviennent familiers. On relève des pointes d’humour. Mais il improvise peu. Audience après audience, il craint de moins de moins de se faire happer les mains par les fidèles.
Cependant, la longue file des personnalités qui étaient autorisées à venir saluer Jean-Paul II à l’issue de l’audience du mercredi est de l’histoire ancienne. Désormais, seuls quelques rares privilégiés et surtout des religieux ont accès à lui. De même, le Pape ne reçoit plus de petits groupes de fidèles dans ses appartements et ils ne peuvent plus demander à participer à sa messe matinale dans sa chapelle privée. Benoît XVI a le souci de se préserver.
Pourtant, en un peu plus d’un mois de règne, il a su gagner la sympathie des Italiens. Ils sont 78 % à lui offrir une opinion favorable, selon un sondage publié par le quotidien La Repubblica.

(1)L’Église après Jean-PaulII. Les dossiers urgents du nouveau Pape, Jean-Claude Petit. Ed. Calmann-Lévy.

Benoît XVI se concentre sur l’Eglise

VATICAN A peine plus d’un mois après son élection, le 19 avril, le successeur de Jean-Paul II a déjà imprimé sa marque

Un mois après son élection, le 19 avril, Benoît XVI remplit la mission qui lui a été confiée par plus des deux tiers des cent quinze cardinaux électeurs : maintenir la foi en poursuivant l’oeuvre de Jean-Paul II. Quelques gestes symboliques comme le fait de renoncer à présider les cérémonies de béatification sont cependant la marque d’un pontificat plus centré sur la mission spécifique du pape et plus dépouillé. Jean-Paul II faisait passer un message au travers de son charisme, des images ou des gestes. Benoît XVI, lui, veut le transmettre par la force d’un discours clair et direct. Jeudi dans les rues de Rome, une grande procession était organisée pour la Fête-Dieu – célébrant le sacrement de l’Eucharistie – entre les basiliques Saint-Jean-de-Latran et Sainte-Marie-Majeure. Benoît XVI présidait cette célébration annuelle. Ses propos sur l’importance de l’Eucharistie et de l’annonce de l’Évangile étaient situés dans l’exacte veine de son prédécesseur.

Sophie de Ravinel et Hervé Yannou
[Le Figaro, 28 mai 2005]

Mais contrairement à Jean-Paul II, Benoît XVI n’a pas profité de cette occasion pour proposer un commentaire spirituel de l’actualité internationale. Non qu’il ne s’y intéresse pas. Ses efforts centrés sur l’établissement de relations diplomatiques avec des pays comme la Chine en témoignent (voir ci-dessous). Tout comme le fait qu’il maintienne le rythme de Jean-Paul II en recevant de nombreuses personnalités politiques. Mais il lui importe avant tout, et «parce que la situation l’impose» comme l’a affirmé récemment le cardinal vicaire de Rome Camillo Ruini, de concentrer son discours sur l’affermissement de la foi au sein du monde catholique. C’est ce qu’il fera dimanche à Bari, pour son premier déplacement comme pape en dehors de Rome.
S’il traite de l’actualité donc, comme dans la basilique Saint-Jean-de-Latran le 7 mai dernier, c’est pour rappeler la constance de la doctrine sur la question de la défense de la vie et de la famille. Un dossier qu’il sait brûlant, en particulier en Occident.
De la même manière, lundi dernier, dans un message adressé aux évêques espagnols, c’est sur le respect de «la liberté religieuse» qui ne doit pas être confinée à «un cadre privé» ainsi que sur «la liberté de conscience de chaque personne» qu’il a centré son intervention. Là encore, il lui semble urgent que l’Église catholique puisse faire entendre sa voix, alors que le gouvernement espagnol s’apprête à légaliser le mariage homosexuel.
Benoît XVI, qui partage exactement les mêmes idées que Jean-Paul II, ne dispose pas du même charisme pour les transmettre.
Comme l’affirme Bernard Lecomte, auteur de la biographie française de référence sur Jean-Paul II, «les premiers textes de Benoît XVI sont plus clairs que ceux de Jean-Paul II, et on sent la forte connivence qui a existé pendant plus de vingt ans entre les deux hommes». Mais il insiste aussi sur le fait que «l’univers du nouveau Pape est un univers d’écrits, de penseurs, de pères de l’Église. Au début de sa carrière Ratzinger était plongé dans un univers de bibliothèque ; Wojtyla dans un univers de jeunes. Cette diversité est essentielle, malgré la proximité intellectuelle. Elle fait la différence dans la manière d’assumer la mission pontificale».
En outre, certains, comme le journaliste Jean-Claude Petit dans son dernier livre (1) se demandent si Benoît XVI n’est pas, «non pas le porte-parole mais l’expression aujourd’hui majoritaire de «forces restauratrices»» dans l’Église.
Le Pape est conscient de ces points de vue qui circulent. Très vite, dès le lendemain de son élection, il a souhaité montrer qu’il n’allait en rien diminuer l’engagement oecuménique de Jean-Paul II.
Par ailleurs, la nomination de son successeur à la Congrégation pour la doctrine de la foi, l’archevêque américain de San Francisco, William Joseph Levada, manifeste davantage une certaine ouverture pragmatique que le moralisme doctrinal. Âge de 69 ans, le futur bras droit du Pape n’est pas considéré comme un conservateur de la ligne «dure» aux États-Unis, bien au contraire.
Enfin, dans sa décision de ne pas présider lui-même les cérémonies de béatification, mais d’en laisser le soin à des cardinaux, manifeste sa volonté de concentrer le ministère du Pape sur des missions précises, essentielles. En outre, c’est le pluriel qu’il avait choisi dans sa devise personnelle : «Collaborateurs de la vérité.»
Mais l’âge compte. A 78 ans, il sait qu’il n’aura pas le quart de siècle de Jean-Paul II pour guider l’Église et y imprimer sa marque. Le style aussi. Lors de sa première audience avec les journalistes, il a été courtois mais discret. L’ensemble a été expédié en vingt minutes, sans contacts personnels. Beaucoup y ont entendu le glas de la papauté surmédiatisée.
Son contact avec les laïcs aussi, est différent. En quelques semaines pourtant, cet intellectuel aux gestes mesurés a déjà détendu son style. Le sourire discret, les bras levés vers la foule pour la saluer deviennent familiers. On relève des pointes d’humour. Mais il improvise peu. Audience après audience, il craint de moins de moins de se faire happer les mains par les fidèles.
Cependant, la longue file des personnalités qui étaient autorisées à venir saluer Jean-Paul II à l’issue de l’audience du mercredi est de l’histoire ancienne. Désormais, seuls quelques rares privilégiés et surtout des religieux ont accès à lui. De même, le Pape ne reçoit plus de petits groupes de fidèles dans ses appartements et ils ne peuvent plus demander à participer à sa messe matinale dans sa chapelle privée. Benoît XVI a le souci de se préserver.
Pourtant, en un peu plus d’un mois de règne, il a su gagner la sympathie des Italiens. Ils sont 78 % à lui offrir une opinion favorable, selon un sondage publié par le quotidien La Repubblica.

(1)L’Église après Jean-PaulII. Les dossiers urgents du nouveau Pape, Jean-Claude Petit. Ed. Calmann-Lévy.

5.27.2005

L'actualité attend Benoît XVI à ses rendez-vous avec les catholiques italiens

AFP, 27-05 14:58:33

Le pape Benoît XVI, qui a fait preuve d'une grande discrétion sur les questions d'actualité dans les premières semaines de son pontificat, a dimanche et lundi deux rendez-vous très attendus, deux semaines avant un référendum controversé sur la bio-éthique en Italie et le jour du référendum français sur la Constitution européenne.
Dimanche, pour son premier voyage pastoral hors de Rome, le pape se rend à Bari (sud) célébrer la messe de clôture du 24ème congrès eucharistique de l'Eglise italienne, et le lendemain, au Vatican, il rencontre les évêques italiens réunis pour leur assemblée générale annuelle.
Si son homélie de dimanche, centrée sur les questions spirituelles, pourrait comporter quelques allusions à l'actualité, Benoît XVI devrait être plus explicite le lendemain sur le sujet qui divise la société italienne: le référendum du 12 juin sur la procréation médicalement assistée.
Les électeurs sont appelés à voter pour l'abrogation ou le maintien d'une loi qui encadre très strictement la possibilité pour les couples stériles de recourir à la procréation médicalement assistée, en interdisant notamment le don d'embryons.
Au nom de la conception catholique du "respect de la vie de la conception à la mort naturelle", la conférence épiscopale italienne (CEI) a demandé aux électeurs de bouder les urnes, en souhaitant explicitement que l'absence de quorum invalide le scrutin.
La descente des prélats italiens dans l'arène politique a créé la confusion dans la classe politique, toujours respectueuse de la hiérarchie catholique mais troublée par cet appel à l'abstention jugé par certains peu citoyen. Tous les partis ou presque comptent leurs partisans du oui, du non et de l'abstention.
Le pape Joseph Ratzinger s'était montré aussi intransigeant sur la "défense de la vie" que son prédécesseur Jean Paul II lorsqu'il était un cardinal de la Curie, et depuis son élection il a plusieurs fois abordé ce thème dans ses interventions publiques.
"La liberté de tuer n'est pas une vraie liberté, mais une tyrannie qui réduit l'être humain en esclavage", avait-il déclaré le 7 mai devant le clergé romain, sans aller cependant plus loin que ce rappel des principes.
Benoît XVI s'est abstenu jusqu'ici de faire référence à l'actualité brûlante, avec une exception pour les troubles au Togo le 1er mai. Contrairement à l'espoir de certains Italiens, il n'a pas saisi l'occasion de l'angelus du dimanche place Saint-Pierre pour lancer un appel à la libération de Clementina Cantoni, la jeune coopérante italienne retenue en otage en Afghanistan depuis le 16 mai.
En plusieurs occasions, Jean Paul II avait été plus concret lorsqu'il le jugeait utile, appelant par exemple les électeurs italiens à voter pour l'abrogation d'une loi sur l'avortement en 1981.
Selon des sources vaticanes citées par les médias italiens, Benoît XVI pourrait sauter le pas lundi dans son discours devant les évêques italiens.
Dimanche, son voyage à Bari, port de l'Adriatique et lieu de rencontre entre les deux parties occidentale et orientale de la Méditerranée, pourrait aussi être l'occasion pour le pape de parler de l'Europe, au moment où les Français sont appelés à voter sur la constitution européenne.
Joseph Ratzinger a choisi son nom en référence à Saint Benoît, patron de l'Europe. Le patron de Bari est Saint Nicolas, vénéré aussi bien par les catholiques que par les orthodoxes, avec lesquels Benoît XVI souhaite favoriser la réconciliation.

Un musicien congolais surnommé "Benoît XVI" rappelé à l'ordre à Kinshasa

La Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) a mis en garde un musicien congolais contre "le manque de respect" envers le pape Benoît XVI, élu le 19 avril, dans une déclaration transmise mercredi à l'AFP. "Nous sommes désagréablement surpris qu'un musicien, en l'occurrence, Koffi Olomide, s'est permis de se désigner par le nom de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI", déplore le texte signé par le président de la Cenco, Mgr Laurent Monsengwo Pasinya. La plus haute instance de l'église catholique en République démocratique du Congo (RDC) "condamne avec force" ce "manque de respect à l'autorité suprême de l'Eglise catholique", soulignant que cela n'était pas "conforme à la culture et aux moeurs africaines". Une des vedettes de la musique congolaise, Koffi Olomide, s'attribue chaque année, généralement à la veille de la sortie de ses tubes, des sobriquets tels que "Rambo", "Mopao Mokonzi" (qui veut dire patron), "héros national". Il s'est fait appeler "Benoît XVI" depuis l'élection de ce dernier à la tête de l'église catholique. Koffi est actuellement en tournée en France.

5.26.2005

Benoît XVI demande à la communauté internationale de s’engager davantage en Afrique

ROME, Mercredi 25 mai 2005 (ZENIT.org) - A l’occasion de « l’African Day », le pape Benoît XVI a lancé un appel à la communauté internationale pour qu’elle s’engage davantage dans la recherche de solutions aux problèmes dont souffre ce continent.
C’est au cours de l’audience générale de ce mercredi, en présence de 27.000 pèlerins parmi lesquels se trouvaient des chefs d’Etat et de gouvernement africains, que le pape a lancé son appel.
Etaient présents : Blaise Compaoré, le président du Burkina Faso ; Amadou Toumani Toure, le président de la République du Mali, ainsi que Absalom Themaba Dlamini, premier ministre du Royaume de Swaziland.
« Mes pensées et mes prières sont tournées vers le peuple bien-aimé d’Afrique », a dit le pape à la fin de l’audience, en anglais.
« J’encourage nos institutions catholiques à continuer à accorder une attention généreuse à leurs besoins. J’espère et je prie pour que la communauté internationale s’engage de plus en plus dans les problèmes du continent africain », a-t-il conclu.
L’Organisation de l’Unité Africaine a été fondée le 25 mai 1963. C’est pour cette raison que le 25 mai a été déclaré : « African Day ».
Le 13 mai dernier, lors de sa rencontre avec les prêtres du diocèse de Rome dans la Basilique Saint-Jean-de-Latran, Benoît XVI avait déjà exprimé sa préoccupation concernant l’Afrique.
« Il me semble qu’en ce moment, nous avons une responsabilité particulière envers l’Afrique (...). L’Afrique est un continent aux très grandes potentialités, dont les populations témoignent d’une très grande générosité, avec une foi vivante qui impressionne. Mais nous devons confesser que l’Europe a exporté non seulement la foi dans le Christ, mais également tous les vices du vieux continent. (...) Et nous devons reconnaître notre responsabilité dans ce qui peut permettre que l’exportation de la foi, qui répond à l’attente profonde de chaque homme, soit plus forte que l’exportation des vices de l’Europe », avait-il déclaré dans un discours improvisé.
Le cardinal Bernardin Gantin, ancien doyen du collège cardinalice, originaire du Bénin, est un grand ami du pape. Après l’élection de Benoît XVI, avant de rentrer dans son pays, au Bénin, le cardinal avait rencontré le nouveau pape en audience privée, le 28 avril, et lui avait présenté les principaux drames de l’Afrique.
Benoît XVI a rencontré les évêques du Rwanda en visite « ad limina » et rencontre actuellement ceux du Burundi.

5.25.2005

Benoît XVI, pape du dialogue ?

«Renoncer à la vérité livre l’homme au calcul du profit»
Joseph Ratzinger

jean-noël cuénod
La Tribune de Genève

Après l'élection du cardinal Joseph Ratzinger et passée la vague «papolâtre», les médias ont considéré le nouveau pape sous un angle sceptique: devenu Benoît XVI, le «panzercardinal» n'allait certes pas désarmer! Et chacun de rappeler la déclaration «Dominus Jesus» que Joseph Ratzinger avait diffusée l'été 2000.
A le relire, ce texte demeure irrecevable pour les protestants et pour tous ceux qui ont une vision large de ce que doit être un dialogue entre confessions professant le même message fondamental. Dénier aux institutions de la Réforme le statut d'Eglises relève plus de l'arrogance que d'un sain raisonnement.
Toutefois, il serait faux d'enfermer Benoît XVI dans «Dominus Jesus». Car la pensée de Joseph Ratzinger vaut beaucoup mieux que cela. La lecture d'un de ses ouvrages L'unique alliance de Dieu et le pluralisme des religions - paru en 1999 aux Editions Parole et Silence - le démontre.
Le cardinal, futur pape, y développe une pensée claire, pénétrante, savamment étayée, qui place le dialogue interreligieux sur des rails solides. Certes, Joseph Ratzinger n'est pas tolérant, au sens où on l'entend habituellement. C'est-à-dire qu'il ne relativise pas ses convictions, ni celles des autres, et ne reçoit pas toute pensée avec la même mansuétude teintée d'indifférence.
En revanche - et c'est cela qui importe - on le découvre beaucoup plus respectueux des idées d'autrui qu'on ne le supposerait en se remémorant «Dominus Jesus». Et si Benoît XVI devenait le pape du dialogue interreligieux?
Dans son livre, il décrit les impasses qui peuvent apparaître dans les rapports entre religions. Une voie paraît tentante, celle du mysticisme qui prône l'intimité toute intérieure des rapports entre l'individu et le principe divin. A aucun moment l'auteur ne nie l'importance de la dimension mystique dans le christianisme. Mais il conteste son utilisation exclusive dans le dialogue interreligieux.
Or il est vrai que cette voie mystique semble apte à surmonter les écueils posés par les dogmes, les doctrines et la rigidité des institutions ecclésiastiques. Tout l'arsenal théologique est, au fond, de trop pour le mystique. C'est un poids qui l'empêche de s'élever. Dès lors, tous ceux qui privilégient cette approche peuvent aisément s'entendre quelle que soit leur appartenance religieuse.
Certes, mais de quoi parleraient-ils? Du sexe des anges? Car dans cette vision, Dieu n'est que présence intérieure. Il ne dit rien au monde. Et le monde n'a rien à lui dire. Or les religions ont leur mot à dire au monde qui est en quête de guidance et de morale.
Refuser d'imposer sa vision de la vérité, c'est une chose. Et une chose positive. Mais abandonner toute vision de la vérité, c'en est une autre. Et qui conduit tout dialogue dans une sorte de mur mollement capitonné. Aussi, Joseph Ratzinger souligne-t-il:
«Renoncer à la vérité et à ses convictions n'élève pas l'homme mais le livre au calcul du profit, le prive de sa grandeur. Ce qu'il faut exiger, c'est le respect de la foi de l'autre et la disponibilité à rechercher dans les éléments étrangers que je rencontre, une vérité qui me concerne et qui peut me corriger, me mener plus loin.»
En perdant son identité, on ne trouve pas l'autre mais seulement du vide. Tout l'art du dialogue consiste donc à rester fidèle à ses convictions tout en acceptant qu'elles puissent évoluer à l'issue de leur confrontation avec d'autres visions de la vérité. Equilibre subtil que la société médiatique - pour laquelle «nuance» et «mesure» sont de très vilains mots - ne parvient pas à expliquer.
Certes, pour Joseph Ratzinger il n'est pas question que l'Eglise catholique renonce à ses activités missionnaires et à la diffusion «urbi et orbi» de sa doctrine. Mais la mission est vécue comme un échange au cours duquel celui qui transmet et celui qui reçoit sont alternativement l'un et l'autre des interlocuteurs.
Cependant, adepte du «parler vrai», le futur pape ne se forme aucune illusion: «Qui mise sur l'unification des religions comme résultat du dialogue interreligieux ne peut qu'être déçu. Ceci n'est guère possible en ce temps de notre histoire, et peut-être ne serait-ce même pas souhaitable.»
Un dialogue interreligieux doit s'établir sans faux-semblant. Apprenons d'abord à respecter. L'autre. Et soi-même.

5.24.2005

Tauran : «Cette Constitution va contribuer à l'essor d'une citoyenneté européenne»

Ancien «chef de la diplomatie» de Jean-Paul II durant treize ans, aujourd'hui gardien des archives et de la bibliothèque du Saint-Siège, le cardinal Jean-Louis Tauran pense qu'un non au référendum français ouvrirait «une grande crise de crédibilité pour l'Europe», aux «conséquences dramatiques».

Propos recueillis au Vatican par Hervé Yannou
[Le Figaro, 24 mai 2005]

LE FIGARO. – Comment jugez-vous ce traité, qui ne fait pas référence aux racines chrétiennes de l'Europe ?

Jean-Louis TAURAN. – Cette omission est sans aucun doute regrettable. Si nous ne sommes pas capables de relire notre histoire ou si nous la relisons au prisme d'idéologies réductrices, il est à craindre que les Européens aient des idées floues sur leur identité. Que répondraient-ils à la question : qu'est-ce que l'Europe ? Je considère positif que, grâce aux interventions de Jean-Paul II et de ses collaborateurs, un débat ait eu lieu sur ce sujet et que la formule finalement adoptée «héritage religieux» se réfère implicitement au christianisme. Le texte que nous avons entre les mains présente des lumières et des ombres. D'une part, il constitue en lui-même un progrès. Il faut remarquer que la dignité humaine et d'autres valeurs comme la liberté et l'égalité, qui trouvent d'ailleurs leur fondement dans le christianisme, y sont explicitement reconnus comme le socle sur lequel repose l'Union. D'autre part, certains articles relatifs à la vie, aux droits de la famille, à la discrimination mériteraient sans doute une autre formulation. Quoi qu'il en soit, malgré ces lacunes, le traité devrait contribuer à faire naître un sentiment de citoyenneté européenne. Évidemment, tout ne va pas changer comme par enchantement. Il faudra voir comment ce nouveau traité sera utilisé !

L'absence de référence à l'héritage chrétien est-elle un obstacle à la ratification du traité ?

Plus que d'«absence», je parlerai d'«omission». Même si le préambule ne mentionne pas les racines chrétiennes de l'Europe, on doit se réjouir que pour la première fois l'héritage religieux et les Églises apparaissent dans le droit européen, à travers les dispositions normatives contenues dans le corps du traité. Et là, nous avons des choses importantes concernant la religion : le respect du statut des Églises dans les droits nationaux, la reconnaissance de la contribution spécifique des Églises, l'institutionnalisation du dialogue ouvert, régulier et transparent entre l'Union européenne et les Églises.

Quelles seraient selon vous les conséquences d'un rejet du traité, le 29 mai ?

Une telle éventualité compliquerait énormément le processus de ratification dans la mesure où la France est l'un des pays fondateurs de l'Union européenne. L'Europe politique resterait un projet. Seule l'Europe de l'euro fonctionnerait...

Quel rôle peuvent aujourd'hui jouer les chrétiens, dans l'avancée de la construction européenne ?

Les chrétiens, habitués à vivre leur foi dans des communautés formées de personnes de toutes origines, peuvent aider les Européens à vivre ensemble et à s'accepter différents. Ils peuvent contribuer ainsi à l'émergence d'une Europe dont l'unité ne soit pas synonyme d'uniformité et la diversité synonyme de fragmentation.

Et le Pape Benoît XVI ?

Affirmer que c'est un Européen convaincu est peu dire ! Benoît XVI continuera à rappeler aux Européens leur histoire mais plus encore leurs responsabilités. Dans aucune phase de son histoire, l'Europe n'a vécu sans porter le regard sur le sacré. Grâce à la cohabitation avec Dieu, elle a essayé tant bien que mal d'apprendre aux hommes à vivre ensemble ! Elle doit progresser dans cette voie. Telle me semble être l'encouragement que nous recevons du nouveau Pontife.

L'entrée de la Turquie dans l'Europe est-elle souhaitable pour l'avenir de l'Union ?

Ce qui permet à un pays d'accéder à l'Union européenne, c'est qu'il vit et partage les valeurs fondatrices de cette Union. Parmi ces valeurs figurent le respect effectif des droits humains fondamentaux ainsi que le respect et la protection des minorités. On peut alors comprendre que les papes et leurs collaborateurs aient toujours insisté pour que, comme les autres pays, la Turquie respecte effectivement la liberté religieuse des minorités, non seulement au niveau législatif et administratif, mais aussi au niveau social. Et si ma mémoire ne me trahit pas, la Commission européenne a signalé des carences sérieuses en ce domaine.

5.23.2005

Le pape insiste sur l’importance des valeurs défendues par Cyrille et Méthode

ROME, Lundi 23 mai 2005 (ZENIT.org) - Le pape forme le voeu que l’ancienne république yougoslave de Macédoine puisse offrir sa spiritualité chrétienne comme contribution à la construction de l’Europe.
C’est ce qu’il a déclaré ce lundi au cours de l’audience qu’il a accordée au premier ministre Vlado Buchkovski à l’occasion de la fête des saints Cyrille et Méthode, apôtre des peuples slaves. Saint Cyrille est enterré dans la basilique Saint-Clément, à Rome.
Le pape a déclaré qu’il priait pour que l’ancienne république yougoslave de Macédoine « s’ouvre avec confiance à l’Europe » et qu’elle « contribue de manière significative à construire son avenir », en s’inspirant de son « héritage religieux et culturel d’une valeur inestimable ».
L’œuvre des deux saints de Salonique (Grèce), les frères Cyrille et Méthode « a jeté les bases d’une authentique culture chrétienne, et a en même temps préparé la création de conditions pour la paix entre les différentes populations », a déclaré le pape.
« Ces valeurs de paix et de fraternité que ces saints Patrons de l’Europe, avec saint Benoît, ont défendues inlassablement, restent des éléments indispensables pour construire des communautés de solidarité, ouvertes au progrès humain intégral, et respectant la dignité de tout être humain et de tout l’être humain », a-t-il expliqué.
« Je suis convaincu que pour créer une société réellement attentive au bien commun il faut chercher dans l’Evangile les racines des valeurs partagées, comme le montre l’expérience des saints Cyrille et Méthode », a ajouté Benoît XVI.
« Ceci est le désir ardent de l’Eglise catholique qui n’a d’autre intérêt que celui de répandre et de témoigner des paroles d’espérance et d’amour de Jésus Christ, des paroles de vie qui tout au long des siècles ont inspiré de nombreux martyrs et confesseurs de la foi », a-t-il souligné.
L’ancienne république yougoslave de Macédoine, indépendante depuis 1991, compte deux millions d’habitants dont 79% d’orthodoxes et 29% de musulmans. Les catholiques sont environ 15.000.

Pour une Europe qui sorte de l’aphasie

Le regard d’un dignitaire jésuite sur le débat autour du traité constitutionnel

PAR PIERRE DE CHARENTENAY *
[Le Figaro, 23 mai 2005]

Dans le débat qui agite la France autour du référendum, on se demande parfois si les commentateurs savent lire. Dans les deux premières parties du traité constitutionnel, qui sont les seules parties nouvelles qui valent débat, le langage est simple. Un petit exercice de comptage des mots est possible : le mot «social» y est mentionné quinze fois, le mot «marché», une seule fois, et encore, dans l’expression «économie sociale de marché», et le mot «libéral», jamais. Or, à entendre quelques commentaires, on croirait que ce traité est la forme ultime du libéralisme que tout homme sensé, et notamment tout chrétien, devrait rejeter. Il n’en est rien.
En réalité, ce traité constitutionnel est la première grande étape politique dans une marche européenne qui a été jusqu’ici essentiellement économique.
La grande nouveauté de ce traité est de faire de l’Union européenne une entité politique, qui a clarifié l’énoncé de ses valeurs communes et qui devient capable de s’exprimer sur la scène mondiale.
Là encore il faut lire : dans les objectifs de l’Union, l’article 3 mentionne la paix, le développement durable, une économie sociale de marché, le plein-emploi, le progrès social. Dans ses relations avec le reste du monde, l’Union poursuit les mêmes objectifs en visant la protection des droits de l’homme et l’élimination de la pauvreté.
La charte des droits fondamentaux, qui compose la deuxième partie avec 54 articles simples et lisibles par des élèves du secondaire, commence par le respect de la dignité humaine. Elle poursuit par des chapitres sur les libertés, l’égalité, la solidarité. Voilà un langage que nous n’avions jamais eu aussi clairement dans les documents de l’Union européenne. C’est un langage que les Européens peuvent partager et qui fait de ce continent un lieu d’équilibre unique entre les droits de l’individu et les nécessités de la vie collective.
Mais les Français se sont lancés depuis quelques semaines dans un de leurs jeux favoris, un débat idéologique forcené où l’a priori l’emporte sur le réalisme, la partie sur le tout, et où les finalités disparaissent sous la cendre du pugilat.
Il faut donc revenir au texte. Le traité constitutionnel n’est qu’un cadre qui ne peut donner le détail des politiques à suivre et qui ne règle pas tous les problèmes posés par la construction européenne. Le citoyen est invité à le prendre pour ce qu’il est, une étape et non une solution globale ou un avenir fixé pour toujours. D’autres traités devront suivre à l’évidence. Car celui-ci ne règle pas la question fondamentale des limites de l’Europe. Il ne dit rien à propos de la Turquie, et n’est ni favorable ni opposé à son intégration. En énonçant que «l’Union est ouverte à tous les Etats européens qui respectent ses valeurs», le Traité renvoie à plus tard ce débat, qu’il faudra bien tenir un jour.
Sur de nombreux points, il est aussi insuffisant : il n’y a pas de véritable gouvernement économique de l’Union, sinon une gestion plus rigoureuse de la zone euro ; la fiscalité n’est pas encore un objet communautaire ; les pouvoirs du Parlement, bien que largement augmentés, n’ont pas encore atteint la totalité des décisions du Conseil européen. Les limites de ce texte sont réelles. Mais c’est un texte de consensus et la perfection n’existe pas en cette matière : il ouvre plutôt une route à emprunter avec vigueur et courage. Croire que ce cadre constitutionnel peut être contraint à l’amélioration en disant non est une profonde illusion à moins d’imposer une vision de droite ou de gauche. La convention qui a rédigé ce texte est la plus ouverte et la plus démocratique qui ait été possible. Les limites du résultat ont été voulues par les pays membres. Revenir à une nouvelle convention ne changera rien. Le oui s’impose pour pouvoir avancer et faire évoluer l’Europe.
Sur la question des racines, certains se plaignent aussi que le christianisme n’ait pas été mentionné. La raideur laïque de certains pays comme la France ou la Belgique a occulté cette reconnaissance du passé. Ce blocage ne devrait pas nous empêcher de voir combien les valeurs chrétiennes inspirent une grande partie de ce texte, notamment dans la charte des droits fondamentaux. De plus, un article de la première partie, l’article 52, établit solennellement la reconnaissance des Eglises et des communautés religieuses et invite l’Union européenne à un dialogue structuré avec elle. Ce faisant, l’Union reconnaît que les religions ne sont pas des faits sociaux à reléguer dans la sphère privée, mais qu’elles apportent une contribution spécifique à la vie commune.
Ce traité constitutionnel n’est donc pas parfait, mais il donne une structure politique et sociale à un ensemble économique dont la logique, explicitée dans la troisième partie, n’était que celle du marché et de la concurrence. Son rejet ferait bien plaisir aux libéraux anglais, qui veulent éviter tout contrôle politique de l’économie, et aux Américains, qui préfèrent une Europe divisée à une Europe cohérente.
Là est l’achèvement le plus intéressant de ce traité : il permet à l’Union de parler d’une seule voix, d’être représentée dans le monde par une seule personne, un président de l’Union, de construire petit à petit une politique étrangère commune grâce à un ministre des Affaires étrangères. Car l’Europe a des choses à dire à ce monde, non pour imposer un point de vue politique ou stratégique, mais parce qu’elle croit en des valeurs morales de respect de l’humanité et de promotion des diversités culturelles qui ont pu lui être fatales mais qu’elle a su maîtriser. Un non au traité la rendra aphasique pour vingt ans alors qu’un oui invitera tous ses membres à poursuivre le débat pour préciser des choix politiques qui ouvrent vers une Europe plus sociale encore et plus attentive au monde qui l’entoure.

* Jésuite, rédacteur en chef de la revue Etudes.
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