9.08.2005

Des parlementaires à Rome

La Croix

Le groupe de spiritualité des assemblées parlementaires vient de terminer un séjour au Vatican, où les hommes politiques ont pu découvrir la pensée du pape
Se sentir petits, face à la foule, universelle, rassemblée place Saint-Pierre pour l’audience générale de Benoît XVI, hier. «Petits» aussi, auprès des Petites Sœurs de Jésus de Charles de Foucauld, en écoutant lors d’une célébration, un matin, leurs témoignages de vie auprès des plus pauvres. Petits, enfin, devant les grottes de Subiaco, où saint Benoît médita, il y a mille cinq cents ans…
L’expérience est nouvelle, pour ces 28 hommes politiques habitués à tenir les premiers rangs. Et pourtant, c’est bien le sentiment dominant qui ressort du pèlerinage d’une semaine à Rome, que le groupe de spiritualité des assemblées parlementaires a terminé mercredi 7 septembre.
«Chaque année, nous organisons un pèlerinage. Cette année, Rome était incontournable» constate le président, Bernard Seillier, sénateur (RDSE) de l’Aveyron. Au programme, donc, prières, mais aussi information auprès des autorités de l’Église. Les députés et sénateurs ont ainsi rencontré le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, le cardinal Georges Cottier, théologien de la maison pontificale, le cardinal Paul Poupard, président du Conseil pontifical pour la culture, et Mgr Michael Fitzgerald, président du Conseil pour le dialogue interreligieux, ainsi que Mgr Renato Boccardo, secrétaire général de l’État de la cité du Vatican, et la communauté de Sant’Egidio.

"Nous sommes venus avec nos préoccupations"

De la situation française, il fut peu question. Même si, note au passage Bernard Seillier, «nous mesurons ici combien, en France, la laïcité que nous défendons pourtant est parfois poussée jusqu’à l’absurde : la foi est comme gommée de tous les discours et préoccupations, alors qu’elle porte souvent sur l’essentiel.» Les parlementaires ont cependant interrogé le cardinal Kasper sur les tentatives de réconciliation avec la Fraternité Saint-Pie X : «Il nous a expliqué qu’il s’agissait d’un processus qui prendrait du temps, en vue de réaliser l’unité, à l’image de la démarche œcuménique appliquée pour les autres confessions chrétiennes.» Mais c’est surtout pour écouter que les sénateurs et les parlementaires ont fait le voyage.
«Nous sommes venus avec nos préoccupations, explique André Flajolet, député (UMP) du Pas-de-Calais, et en premier lieu, les problèmes éthiques.» Bernadette Dupont, sénatrice (apparentée UMP) des Yvelines, ne cache pas son inquiétude, au sortir de ce pèlerinage. «Nos interlocuteurs nous ont expliqué combien les jeunes, ceux qui étaient présents à Cologne, sont ouverts aux exigences que leur propose Benoît XVI. Or, nous, comme parlementaires, nous sommes de plus en plus amenés à voter des lois en contradiction avec ce chemin-là, parce que l’on nous explique qu’il faut s’adapter à la société. Où est notre vrai boulot, là-dedans ?», s’interroge-t-elle.
Plus nuancé, Hugues Portelli, sénateur (UMP) du Val-d’Oise, exprime aussi la difficulté pour un homme politique de séparer les différents niveaux, «celui de l’exigence religieuse, et morale, et la recherche du bien commun, qui est notre objectif». Avec cette préoccupation, que résume André Flajolet : «Comment un élu chrétien peut-il interpréter ce questionnement de la foi, dans un monde qui n’est majoritairement plus chrétien ?»

"Nous ne souhaitons pas faire de lobbying religieux"

«Je ne crois pas au rapport de forces, précise de son côté Bernard Seillier, mais nous sommes aujourd’hui confrontés au défi d’une société où règne, constate-t-il encore, la règle de la “morale majoritaire”, une morale jugée bonne simplement parce qu’elle est approuvée par une majorité. Nous avons le souci de défendre la vérité, mais de le faire dans la liberté.»
En cela, les parlementaires se retrouvent bien dans la «note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique», publiée en novembre 2002 par le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, qui n’était autre que le cardinal Ratzinger.
«Nous ne souhaitons pas faire de lobbying religieux, indique encore Bernard Seillier, et, comme l’expliquait alors le cardinal Ratzinger, nous ne défendons pas des valeurs confessionnelles, mais universelles.»
Bref, admettent les parlementaires, ce pèlerinage les replace «au cœur» de leurs contradictions et difficultés quotidiennes. «Ici, nous ressentons douloureusement combien nous manquons, comme politiques, de lieux comme ceux-ci, de réflexion, et de médiation. D’où un sentiment de décalage croissant du politique», explique encore Hugues Portelli.
De ce point de vue, les parlementaires se retrouvent bien dans ce qu’ils appellent le « nouveau style » du pontificat de Benoît XVI. «Nos interlocuteurs nous décrivent un intellectuel, et c’est bien ce que l’on a vu à Cologne», témoigne par exemple Brigitte Bout, sénatrice (UMP) du Pas-de-Calais. «Et par là, ce pontificat devrait nous donner des arguments de raison, pour discuter avec nos collègues, complète Bernard Seillier. Dans un monde particulièrement complexe, nous devons démasquer les subterfuges, les fausses idées, et la pensée du nouveau pape offre les formulations dont nous avons besoin aujourd’hui.»
De ce point de vue, André Flajolet reste un peu sur sa faim, après ce séjour, concernant les réflexions de l’Église sur la doctrine sociale et sur l’environnement, «deux domaines où nous nous sentons particulièrement démunis et où il nous faut pousser plus loin la réflexion».

Isabelle de GAULMYN, à Rome

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Une « force de réflexion et de propositions »

Le groupe de spiritualité des assemblées parlementaires fut fondé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par Jules Catoire, député MRP, qui fut aussi secrétaire d’État. Il comprend aujourd’hui une centaine de membres, de gauche comme de droite. Il se veut, selon les termes de son président actuel, Bernard Seillier, une «force de réflexion, et aussi de propositions», en matière d’éthique, d’action sociale et politique, au regard des enseignements de l’Église catholique.
Ce groupe organise des pèlerinages, mais aussi, régulièrement, des soirées de réflexion sur des sujets d’actualité, des retraites, ainsi qu’une messe par semaine, lors des sessions parlementaires. Il est aidé par le service pastoral d’étude politique, du diocèse de Paris, aujourd’hui animé par le P. Mathieu Rougé.

9.07.2005

Benoît XVI n'est pas Joseph Ratzinger

Livre. Pour le rédacteur en chef religieux de la Croix le pape pourrait bien nous surprendre. Optimiste.

Par Catherine COROLLER


Libération, mercredi 07 septembre 2005

Benoît XVI, pape de contre-réforme ? L'ouverture d'un pontificat, Michel Kubler, éd. Bayard, 160 pp., 13,80 €.

 
«Oubliez Joseph, accueillez Benoît.» Joseph, c'est Joseph Ratzinger, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Benoît, c'est le même rebaptisé Benoît XVI lors de son élection comme pape, le 19 avril. Cette incantation est désormais le credo de l'Eglise catholique. Et Michel Kubler, rédacteur en chef religieux de la Croix, l'entonne à son tour dans l'ouvrage qu'il consacre au nouveau pape. Le dessein est simple : convaincre que Benoît XVI n'est pas Joseph Ratzinger. En clair, que le nouveau pape disposera d'une liberté de manoeuvre infiniment plus grande que le responsable de la Congrégation pour la doctrine de la foi.
L'autre thèse étant que le vrai Joseph Ratzinger ne ressemble pas à la caricature qui en a été faite, notamment pas les médias : un réactionnaire. Caricature ? Au sein même de l'Eglise, Benoît XVI a une réputation d'intransigeance. Parmi les cardinaux qui ont «poussé» sa candidature lors du conclave réuni pour la désignation du successeur de Jean-Paul II figuraient des «ultras», désireux «de faire effectuer à l'Eglise catholique un puissant repli identitaire, face aux effets pernicieux conjugués, à leurs yeux, des excès d'ouverture ad intra et ad extra», rapporte Michel Kubler. «Pour ces partisans d'une authentique "restauration" de l'Eglise, le portrait-robot du "papabile" idéal coïncidait providentiellement avec le profil du cardinal Ratzinger.»
En l'élisant, ces ultras auraient fait une erreur de casting ? Pas totalement, car, comme le concède Michel Kubler, au cours des vingt-trois années passées à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Joseph Ratzinger a largement justifié sa réputation de gardien du dogme, multipliant condamnations et réprobations. Ont fait les frais de cette «mise au pas» des théologiens contestataires tels que le Suisse Hans Küng, le Brésilien Leonardo Boff, les Américains Charles Curran et Matthew Fox, l'Allemand Eugen Drewermann.
L'obsession du cardinal Ratzinger est alors de redéfinir une identité du christianisme qu'il juge menacée par les assauts de la modernité. D'où sa vigilance envers les risques de dilution interne mais également externes. «Concernant le dialogue avec les autres religions, le cardinal Ratzinger se sera toujours montré d'une prudence extrême, rappelle Michel Kubler. Symbole le plus éloquent : il n'a pas participé au premier grand rassemblement interreligieux suscité par Jean-Paul II à Assise en octobre 1986, par peur d'encourager l'indifférentisme, une banalisation du christianisme au milieu des autres traditions.»
Alors ? Alors Michel Kubler n'exclut pas un retour de Benoît XVI vers ses «amours» de jeunesse. Lors du concile Vatican II (1962-1965), Joseph Ratzinger aurait été l'un de ceux qui ont porté une vision de l'Eglise «peuple de Dieu», en rupture avec l'habituelle définition de l'institution à partir de sa hiérarchie. Vingt ans plus tard, le cardinal Ratzinger enterrera cette expression. Devenu pape, Benoît XVI va-t-il se lancer dans «les ouvertures et les réformes qui lui sont chères», comme le pronostique Michel Kubler ? Pour l'heure, rien de la par t du nouveau pape ne permet un tel optimisme.
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