8.18.2005

"Servir le Christ quoi qu'il en coûte"

LEMONDE.FR | 18.08.05 | 19h33 • Mis à jour le 18.08.05 | 19h59

e pape Benoît XVI a évoqué avec émotion, jeudi 18 août au cours de sa première adresse aux dizaines de milliers de pèlerins des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) venus l'accueillir sur les bords du Rhin à Cologne, son prédécesseur, "ce grand pape" qui "a su comprendre les défis auxquels les jeunes d'aujourd'hui sont confrontés". Jean Paul II "vous a aimés, vous l'avez compris et vous le lui avez rendu avec tout l'enthousiasme de votre âge", a-t-il dit aux jeunes catholiques qui ont grandi sous le pontificat du pape polonais. "Maintenant, tous ensemble, nous avons le devoir de mettre en pratique ses enseignements."
"Il faut, chers amis, savoir faire les choix nécessaires", a-t-il souligné. "Au cours de ces journées, je vous invite à vous engager sans réserve à servir le Christ quoi qu'il en coûte."
Comme un peu plus tôt, à son arrivée à l'aéroport de Cologne, devant le président allemand Horst Köhler et le chancelier Gerhard Schröder, Benoît XVI a souligné le rôle que le christianisme a joué en Allemagne, pays situé "au centre de l'Europe, d'une Europe qui doit beaucoup à l'Evangile et à ses témoins au cours des siècles".
Mais il a réservé son salut le plus chaleureux aux jeunes venus d'Asie, "représentants de ces foules innombrables de nos frères et sœurs en humanité qui attendent sans le savoir que l'étoile se lève dans leur ciel pour être guidés vers le Christ, lumière des Nations, et trouver en lui la réponse satisfaisante à la soif de leur cœur".
Le pape a étendu l'ambition missionnaire de l'Eglise à tous ceux "qui ne sont pas encore baptisés, qui ne connaissent pas encore le Christ ou qui ne se reconnaissent pas dans l'Eglise".
La seule mention au monde contemporain dans ce discours centré sur la foi catholique a été pour souligner la différence entre les attentes des hommes d'aujourd'hui et celles des rois mages, qui furent parmi les premiers témoins de la naissance du Christ selon la tradition chrétienne.
Les reliques des rois mages – auxquels se réfère le thème de ces JMJ ("Nous sommes venus l'admirer") –, sont conservées à Cologne. "Aujourd'hui nous ne cherchons plus un roi" [Jésus, roi des Juifs, attendu par les rois mages], a-t-il dit, "mais nous sommes préoccupés par l'état du monde et nous nous demandons : où puis-je trouver les critères pour ma vie, les critères pour collaborer de manière responsable à l'édification du présent et de l'avenir de notre monde ?" "Poser de telles questions signifie (...) chercher quelqu'un qui ne se trompe pas et qui ne peut pas se tromper, et qui est donc en mesure d'offrir une certitude forte pour permettre de vivre pour elle et, si nécessaire, aussi de mourir", a déclaré Benoît XVI.


Avec AFP

Le Pape Benoît XVI chaleureusement accueilli à Cologne

Le Pape Benoît XVI chaleureusement accueilli à Cologne

(Avec AFP.)
[Le Figaro, 18 août 2005]


Le pape Benoît XVI a été accueilli aujourd'hui par des centaines de jeunes très enthousiastes à l'aéroport de Cologne (ouest de l'Allemagne), où il est venu participer aux XXèmes Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) pour son premier voyage à l'étranger, dont la coïncidence d'un calendrier établi de longue date fait qu'il a lieu dans son pays natal.
Lorsque sa silhouette blanche est apparue en haut de la passerelle de l'avion, plusieurs centaines d'invités regroupés sur une tribune l'ont longuement applaudi. Le pape s'est alors brièvement retourné vers l'intérieur de l'appareil après avoir perdu sa calotte balayée par le vent.
Un peu voûté, l'air intimidé et ému, l'ancien cardinal allemand Joseph Ratzinger est descendu de l'Airbus A321 de la compagnie Alitalia sous les cris de joie des jeunes qui scandaient «Benedetto», nom du pape en italien.
Le souverain pontife a été accueilli avec les honneurs militaires par le président Horst Köhler, son épouse Eva Luise, ainsi que le chancelier Gerhard Schröder, et son épouse Doris, sous un soleil resplendissant.
Contrairement à son prédécesseur Jean-Paul II, le pape n'a pas baisé le sol à son arrivée. Des jeunes ont fait la ola au passage du souverain pontife devant la tribune des invités et Benoît XVI a fait de brefs signes de main dans leur direction.
Après de longs applaudissements et des cris de joie de la foule, le président Köhler s'est tourné vers le pape en lui disant: «C'est comme ça depuis plusieurs jours dans cette région où règne la joie». Il faisait allusion à l'enthousiasme qui entoure ces JMJ, visible dans toute la ville.
Evoquant «la République fédérale d'Allemagne qui m'est si chère», le pape a déclaré «que sa longue histoire et les grands objectifs sociaux, économiques et culturels qui ont été atteints, constituent un stimulant pour avancer (...) sur la voie du progrès authentique et du développement solidaire, non seulement pour la nation allemande mais aussi pour tous les autres peuples du continent».
Lors de ce discours, applaudi à intervalles réguliers et parfois improvisé - quand il a souligné par exemple l'importance de sa visite vendredi à la synagogue de Cologne -, le souverain pontife est encore revenu sur la dimension européenne du christianisme: il a salué «le très riche patrimoine culturel et spirituel (de l'Allemagne) qui, aujourd'hui encore, dans le coeur de l'Europe, témoigne de la fécondité de la foi et de la tradition chrétienne».
Auparavant, le chef de l'Etat l'avait accueilli avec ces mots sur le tarmac de l'aéroport: «Votre élection en tant que pape est d'une importance historique. Après le pape de Pologne, premier pays à avoir été envahi par l'Allemagne dans la Seconde Guerre mondiale, c'est quelqu'un qui appartient à ce que l'on a appelé la génération des enfants de la Flak, la défense anti-aérienne (ndlr: dca pendant la Deuxième Guerre mondiale, sous le nazisme), qui est élu comme succeseur de Saint Pierre», a souligné M. Köhler.
Horst Köhler a souligné qu'aujourd'hui «il est bon d'expérimenter la foi et la religion comme moyen de paix et d'humanité», à une époque «où tant d'hommes ont peur d'une terreur exercée pour des motifs prétendument religieux».
Dans une limousine blindée, Benoît XVI s'est ensuite rendu à l'évêché de Cologne, où il sera hébergé pendant la durée de sa visite de quatre jours placée sous haute sécurité: quelque 4.000 policiers et 4.000 vigiles privés sont mobilisés en ville où la circulation était très difficile.
Dans l'après-midi, le pape devait se rendre sur les bords du Rhin, qui traverse la ville de Cologne, et effectuer une promenade en bateau à 14h45 GMT, accompagné par cinq autres bateaux représentant les cinq continents. Plus de 400.000 jeunes s'apprêtaient à l'accueillir dans une ville en fête.
Le pape prononcera ensuite un premier discours aux jeunes pèlerins avant de se rendre à la cathédrale de Cologne et de s'adresser de nouveau à la foule. Il effectuera ensuite un tour en papamobile avant de rejoindre l'archevêché.

Benoît XVI rend visite à une Eglise allemande fragile et contestataire

LE MONDE | 17.08.05 | 13h51 • Mis à jour le 17.08.05 | 20h38
COLOGNE de notre envoyé spécial

eux Mercedes flambant neuves sont exposées sur le parvis de la cathédrale de Cologne. On croit à une campagne publicitaire, mais c'est le gros lot d'une tombola organisée par le diocèse rhénan, pourtant le plus riche du pays, pour subvenir à ses besoins. L'Eglise catholique d'Allemagne ­ - que va visiter Benoît XVI du jeudi 18 au dimanche 21 août à l'occasion des JMJ - ­ essaie de joindre les deux bouts.
Le diocèse d'Essen doit vendre la moitié de ses églises et supprimer un millier d'emplois de laïcs. Celui d'Aix-la-Chapelle est au bord de la faillite. Tous les budgets sont révisés à la baisse. On vend des locaux paroissiaux, on licencie dans les Kindergarten (jardins d'enfants), on restructure le tissu des paroisses pour faire face au manque de prêtres et de finances. " Le poisson sent mauvais de la tête" , commente Daniel Deckers, journaliste à la Frankfurter Allgemeine.
A Bonn, l'église Saint-Jean-Baptiste, de style néogothique, ne fait le plein qu'à Pâques ou à Noël. Saint-Hilaire a été désaffectée et transformée en lieu d'exposition. Le réseau des facultés de théologie devient disproportionné. "Chaque évêque a voulu avoir sa faculté et a embauché trop de professeurs de théologie. Aujourd'hui, les théologiens sont trop soucieux de protéger leur emploi et ne prennent plus de risques" , explique le théologien Heinzgerd Brackmann, qui se souvient des fébriles années 1960 où les étudiants s'arrachaient les "polycopiés" du jeune professeur Ratzinger et de son confrère Hans Küng, l'ennemi numéro un du futur pape.
Hier citée en exemple pour sa prospérité, son audace théologique, ses mouvements, ses réseaux d'écoles et d'hôpitaux, ses associations humanitaires, ses rassemblements de masse (les Katholikentage ), l'Eglise catholique allemande donne de sérieux signes de faiblesse. Et, dans un pays où la collaboration oecuménique est ancienne, savoir que l'Eglise protestante (EKD) connaît une situation aussi grave, ne console personne.
Comment en est-on arrivé là ? Les responsables invoquent la baisse de la démographie, celle des emplois et des revenus, qui a pour conséquence un moindre rendement de l'impôt destiné à l'Eglise (Kirchensteuer ), ici, obligatoire. Ils mettent en cause, depuis la réunification, les vents de la sécularisation et de l'agnosticisme venus de l'ex-Allemagne de l'Est communiste. Dans les Länder de l'Est, les "sans-Eglise" et "sans-religion" sont très majoritaires. Seul un quart de la population de Berlin adhère à une Eglise. C'est pire en Saxe et en Thuringe. A l'Est, un jeune sur cent va à l'église le dimanche, contre 14 % chez les plus de 60 ans.

"ÉVAPORATION DE LA FOI"

Mais ces raisons ne suffisent pas. Il se produit ce que Klaus Nientiedt, journaliste du Herder Correspondenz , appelle une "évaporation de la foi" . Les Eglises gardent une belle surface sociale en Bavière, en Rhénanie, dans le Bade-Wurtemberg. Avec 500 000 salariés, des ONG comme la Caritas (catholique) ou la Diakonisches Werk (protestante) restent parmi les plus gros employeurs du pays. En faisant des salariés de quelque 3 000 "assistants de pastorale" laïcs, l'Eglise fait aussi bien des envieux, surtout en France. Les Katholikentage de 2004 à Ulm ont attiré 40 000 personnes et le Comité central des catholiques (ZDK) est un partenaire de discussion privilégié avec les partis, les élus et les évêques.
Mais les pratiques et les signes d'appartenance religieuse s'effritent. Dans un Land aussi catholique que la Bavière, on ne compte plus que six baptêmes pour dix naissances. Pour l'ensemble du pays, sur cent mariages entre conjoints catholiques, seuls quarante-six se passent à l'église. Le nombre des prêtres (moins de 14 000) est en chute libre. Les services des paroisses se regroupent et perdent leur vertu de proximité. La fréquentation de l'enseignement religieux recule.
La vente des églises elles-mêmes ne provoque pas de révolte. "On exige seulement qu'elles ne reviennent pas aux Turcs musulmans" , lance un paroissien de Cologne. "C'est la fin d'une époque, la fin d'une Eglise assise sur sa structure de paroisses , résume Hans Paulus, responsable de formation. Les normes n'existent plus et les jeunes vont chercher ailleurs des raisons de vivre. La foi est toujours là. C'est son expression qui a changé."
Le mouvement de "sorties d'Eglise" (qui s'exprime par le refus de payer l'impôt), amorcé avec la surcharge fiscale imposée par la réunification, s'est poursuivi dans les années 1990. L'Eglise catholique perd 100 000 fidèles chaque année, la protestante le double. Avant la réunification, neuf Allemands de l'Ouest sur dix se déclaraient membres d'une Eglise : 45 % de protestants, 45 % de catholiques. Aujourd'hui, la population se divise en un tiers de catholiques (26 millions), un tiers de protestants, un tiers d'agnostiques. " Dans les années 1960, la question posée à l'autre était : "Es-tu catholique ou protestant ?" M aintenant, c'est : "Es-tu encore membre d'une Eglise ?" ", s'inquiète Stefan Vesper, secrétaire général du Comité central des catholiques (ZDK). Candidat CDU à Bonn aux élections de septembre, il s'entend conseiller de ne pas faire trop état de son appartenance à l'Eglise.

DIVORCE AVEC LE VATICAN

Le deuil qui a suivi la mort de Jean Paul II, le 2 avril, l'élection surprise d'un cardinal allemand, la préparation des Journées mondiales de la jeunesse ont rempli les églises et mis un peu de baume au coeur des responsables. Mais le divorce entre les Allemands et le Vatican est toujours là : la soumission au diktat de Rome imposant aux catholiques le retrait des centres de consultation préavortement a été ressentie comme une "capitulation" . La discipline concernant les divorcés-remariés (interdits de sacrement) n'est plus comprise et est violée. La lenteur du rapprochement oecuménique, l'interdiction de l'"intercommunion" et des célébrations communes avec les protestants décourage les meilleures volontés des deux camps.
Face à la crise, les évêques ne cachent même plus leurs divisions. Dans la faction hyperconservatrice, le cardinal Joachim Meissner, archevêque de Cologne, est la figure de proue. Dans l'autre camp, plus ouvert aux débats de société, invités réguliers des plateaux de télévision, le cardinal Karl Lehmann, évêque de Mayence, et Mgr Franz Kamphaus, du Limbourg, ont l'estime des intellectuels. Les deux camps sont en désaccord sur la stratégie de sortie de crise.
" Moins d'argent, moins de prêtres, moins de croyants. Il faut faire avec les moins" , dit le cardinal Meissner, qui se replie sur le "petit troupeau" des pratiquants et des groupes conservateurs, avant d'imaginer une hypothétique reconquête. Il a fait scandale le 23 juin en déclarant à la Westdeutsche Zeitung que le parti CDU (chrétien-démocrate) devait renoncer à son étiquette chrétienne. Pour lui, la CDU d'Angela Merkel ­ qu'il n'épargne pas de ses critiques parce qu'elle est protestante et divorcée ­ n'est pas assez combative contre l'avortement ou les mouvements gays.
Il s'est élevé contre le dernier Katholikentag d'Ulm, qui avait invité des contestataires et des militants homosexuels. "Meissner est né en Silésie et était évêque de Berlin. Il ne connaît rien à la mentalité de l'Ouest , observe Klaus Nientiedt. Jean Paul II l'a nommé à Cologne en 1988 comme symbole de l'unité des deux Allemagnes. Mais, depuis, il n'a rien appris, ni compris ce qu'était une société pluraliste ." Le mandat de Mgr Lehmannn, président de la conférence des évêques depuis dix-huit ans, expire en septembre et sa réélection est loin d'être acquise.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 18.08.05

8.15.2005

Avec les JMJ, Benoît XVI veut un nouvel élan pour l'Europe

LE MONDE | 15.08.05 | 13h44 • Mis à jour le 15.08.05 | 18h47

Pour la première fois, le pape Benoît XVI a accordé un entretien à Radio-Vatican, samedi 13 août, à Castelgandolfo. Cet entretien en allemand fixe les enjeux des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), qui s'ouvrent mardi 16 août à Cologne, et ceux de son premier voyage hors d'Italie, dans son pays natal, où le pape arrivera jeudi.
Face à la situation de crise du christianisme en Europe, à la désertion des églises, à la chute des vocations religieuses, l'objectif est de tenter de ranimer la foi dans un continent dont Benoît XVI déplore la tendance à l'"autocommisération et l'auto-accusation".
S'il n'est pas question de s'aveugler sur "ce qu'il y a de malade, de fatigué, de raté dans l'histoire européenne", l'Europe est invitée à "retrouver ses racines chrétiennes " et à "reconnaître les sources de sa foi". Les JMJ sont appelées à donner un "nouvel élan" aux Eglises en Allemagne et en Europe.
Benoît XVI s'est élevé contre l'image négative trop souvent donnée du christianisme, surtout chez les jeunes : "L'idée est largement répandue, déclare-t-il, que les chrPétiens doivent obéir à d'innombrables commandements, interdits, principes et que le christianisme est épuisant, difficile à vivre, qu'on est plus libre sans tous ces fardeaux."
"Moi, au contraire, a-t-il insisté, je voudrais leur faire comprendre qu'être soutenu par un grand amour et une révélation, cela donne des ailes. Leur faire comprendre que c'est beau d'être chrétien et que l'Eglise n'est pas un plat devenu insipide à force d'être réchauffé."
Le pape se veut optimiste : "Nous sommes tellement occupés à résoudre des problèmes de structures que nous n'avons plus l'enthousiasme ni la joie qui viennent de la foi. (...) Une rencontre de ce genre à Cologne, entre des personnes qui viennent de tous les continents, devrait donner un souffle nouveau, même au Vieux Continent."
A son arrivée, jeudi, le pape s'adressera aux jeunes lors d'une remontée du Rhin en bateau. Vendredi, il rencontrera le président allemand Horst Köhler, puis se rendra à la synagogue de Cologne et recevra les dirigeants protestants. Samedi, il verra le chancelier Gerhard Schröder et le chef de l'opposition chrétienne-démocrate, Angela Merkel, avant des entretiens avec des représentants de la communauté musulmane. Samedi et dimanche, il présidera devant les jeunes les célébrations des JMJ.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 16.08.05

Benoît XVI : un style plus sobre, une doctrine aussi inflexible

Analyse
LE MONDE | 15.08.05 | 13h39 • Mis à jour le 15.08.05 | 18h45

ans l'histoire moderne des papes, on trouve des moines (Grégoire XVI), des curés de campagne (Pie X), des bibliothécaires (Pie XI), et même un travailleur manuel (Jean Paul II). La plupart pourtant sortent du sérail de la diplomatie romaine, comme Benoît XV ou Pie XII. Mais le cas de figure actuel est sans précédent. Benoît XVI, ancien cardinal Ratzinger, est d'abord un professeur de théologie, promu préfet de l'ex-Saint-Office, un homme de chaire et de conférence plus que de foules, un philosophe qui manie la dialectique plus qu'un tribun qui magnétise son public.
Les premières Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) sous Benoît XVI, du 16 au 21 août à Cologne (Allemagne), vont lui servir de grand oral. Elles marqueront le retour du nouveau pape dans son pays natal autant que son premier voyage à l'étranger. Un pays où son élection a été accueillie avec surprise ou consternation. Et un double pari : l'ex-cardinal Ratzinger, romain d'adoption, devra se refaire une virginité aux yeux d'une Allemagne socialo-libérale, fille de Luther et de Kant, qui goûtait peu son discours normatif et sa frilosité œcuménique.
Et le nouveau pape, âgé de 78 ans, devra faire oublier le charismatique JeanPaul II aux yeux d'une jeunesse catholique que le pape défunt, qui était acteur, mime, prédicateur, chanteur, soulevait d'enthousiasme.
Les cent jours de Benoît XVI, depuis son élection du 19 avril, manifestent le désir d'un exercice plus modeste du pouvoir pontifical, qui décevra les nostalgiques d'un Jean Paul II omniprésent et universel, mais réjouira ceux pour qui la charge de Pierre suppose plus de détachement, une parole aussi ferme mais plus mesurée. Dès le 7 mai, lors de sa visite à Saint-Jean de Latran, il avait déclaré que "le pape n'est pas un souverain absolu, dont la pensée et la volonté sont la loi" .
"Son pouvoir n'est pas au- dessus, mais au service de la Parole de Dieu." Des mots qui dénotent un changement de style.
Rien n'aurait sonné plus faux que de faire du Jean Paul II sans... Jean Paul II. Benoît XVI prend pourtant goût au contact avec les foules. Ses qualités d'humilité et de douceur brouillent son image de professeur de dogmatique rigide et glacial, de "Père fouettard" de la doctrine catholique. Mais il impose un style plus sobre, plus économe de ses gestes et de ses paroles. Le Vatican a tiré les leçons d'un règne de Jean Paul II aussi long qu'exposé aux caprices des médias.
Les audiences sont devenues plus rares dans les appartements privés du pape. Celui-ci ne préside plus les cérémonies de béatification, et il ralentit le rythme des voyages pour ne retenir que des destinations très ciblées, afin de ne pas diluer le message. L'étape du patriarcat œcuménique orthodoxe de Constantinople, fin novembre, paraît acquise. Celle de la Pologne pour un hommage à Jean Paul II est aussi attendue. Le pape rêve surtout de Moscou et de la Terre sainte.

RÉFORME DE LA CURIE

Mais le professeur Ratzinger prend le temps de l'étude. On peine à esquisser déjà un bilan, tant les premières mesures prises sont rares et parcellaires. L'encyclique-programme du pontificat est attendue avec une impatience excessive si l'on se souvient que celle de Jean Paul II, Redemptor hominis, n'était parue que cinq mois après son élection.
C'est au choix, présenté comme imminent, de nouveaux collaborateurs que sera jugée l'orientation du pontificat. Presque tous les titulaires de la Curie ­ - les "ministres" de Benoît XVI ­ - ont dépassé, ou vont bientôt atteindre, l'âge de la retraite (75 ans). Depuis l'élection du pape, le seul changement intervenu, et pour cause, fut la nomination d'un nouveau préfet de la congrégation de la doctrine, Mgr Levada, archevêque de San Francisco, un ancien de la maison. Aucune projection sur l'avenir ne sera possible avant un remaniement de la Curie dont Benoît XVI est issu, mais qui est usée, disqualifiée par le procès longtemps fait, et largement immérité, d'avoir voulu gouverner l'Eglise sans Jean Paul II, souvent absent de Rome et affaibli dans ses dernières années.
Alléger les structures du gouvernement de l'Eglise, trouver de nouvelles formes de "collégialité", en donnant plus d'autonomie aux Eglises locales : les vœux pieux pleuvent à chaque début de pontificat. Rome bruit de rumeurs d'une profonde réforme de la Curie et promet que le prochain synode des évêques, prévu en octobre, sera plus délibératif. Mais le poids de l'administration romaine l'emporte toujours sur l'intention décentralisatrice.
En attendant, les chantiers auxquels s'est attaqué Benoît XVI manifestent une volonté de continuité, sans surprise si l'on se souvient de sa complicité avec Jean Paul II et des circonstances de son élection dans le climat d'émotion universelle suscitée par la mort du pape polonais. Ses axes restent ceux de son prédécesseur : la réaffirmation de l'identité chrétienne dans une Europe mal en point ; la défense de la vie, du mariage et de la famille ; la condamnation de l'avortement, de l'euthanasie, des unions homosexuelles, des recherches sur l'embryon à des fins thérapeutiques.
Le costume a changé, mais l'intransigeance doctrinale du cardinal Ratzinger reste la même, comme le combat livré à la "dictature du relativisme" et au "laïcisme" de la société occidentale. Les catholiques sont appelés à jouer un rôle de minorité militante dans une Europe déchristianisée. Le combat qu'ils mènent en Espagne contre un gouvernement accusé d'anticléricalisme pour avoir légalisé le mariage gay, comme celui que l'Eglise en Italie a gagné contre le référendum sur la procréation médicalement assistée sont cités comme autant d'exemples pour tracer les voies d'une résistance.

OUVERTURE À L'EST

La principale inflexion tient au dialogue interreligieux que le nouveau pape a relancé. A Cologne, il va se rendre dans l'une des synagogues les plus anciennes d'Europe. Le fait qu'un pape allemand aille en Allemagne se recueillir dans une synagogue revêt une valeur aussi symbolique que la première visite de Jean Paul II dans la synagogue de Rome, en 1987. Mais elle risque d'être ternie par l'incident qui vient d'opposer le pape à Israël. Lors de son Angelus du dimanche 24 juillet, citant les pays touchés par le terrorisme, le pape a omis de parler d'Israël. Dès le lendemain, le nonce en Terre sainte était convoqué par le ministre des affaires étrangères à Jérusalem.
Benoît XVI a manifesté un égal désir d'aller à la rencontre de l'islam modéré, condamnant après les attentats de Londres, avec les accents d'un Jean Paul II, le terrorisme commis au nom de Dieu. "Il n'y a pas de conflit de civilisation, mais seulement de petits groupes de fanatiques", a-t-il ajouté fin juillet. Des mots qu'il devrait répéter à Cologne en recevant aussi une délégation de la communauté musulmane d'Allemagne.
Un nouvel élan est donné au dialogue avec les chrétiens orthodoxes. Après des années d'immobilisme glacé, catholiques et orthodoxes vont rejoindre la table des négociations en octobre. Le climat est "fraternel, sans être chaleureux", a dit le cardinal Kasper, chargé de ce dossier à la Curie, à son retour de Moscou.
Alexis II, patriarche de Russie, n'exclut plus une visite du pape à Moscou, mais pose toujours les mêmes conditions : le rejet du prosélytisme dont les orthodoxes accusent les catholiques en Europe et le règlement de l'épineuse question de l'Eglise uniate (de rite orthodoxe, mais de juridiction romaine) en Ukraine.
L'espoir est à l'Est donc, et même à l'Extrême-Orient. La diplomatie pontificale déclare qu'il n'y a plus d'"obstacle majeur" à un rapprochement du Vatican avec la Chine communiste. Deux évêques auxiliaires de l'Eglise officielle de Chine viennent d'être nommés pour la première fois en concertation entre Pékin et le Saint-Siège. Si la liberté religieuse y est toujours aussi mesurée, le moment semble propice à la reprise de relations avec la Chine interrompues depuis la Révolution maoïste. De même, les discussions progressent-elles avec le Vietnam.
Convertir l'Occident que Dieu semble avoir déserté ; se rapprocher de l'Orient orthodoxe et de l'Extrême-Orient où la foi chrétienne, minoritaire, est malmenée : ce sont les deux priorités d'un pape qui semble préférer la réflexion à l'action, mais devra bien un jour sortir de l'ombre de Jean Paul II.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 16.08.05
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