6.10.2005

Léon Dehon, cet "abbé démocrate" et antisémite que Rome veut béatifier

LE MONDE | 09.06.05 | 13h52  •  Mis à jour le 09.06.05 | 14h31

On croyait enterrée l'affaire Léon Dehon (1843-1925), qui envenimait les relations entre l'Eglise catholique et la communauté juive. Programmée pour le 24 avril, la béatification à Rome de ce fondateur d'ordre (les prêtres du Sacré-Coeur), pionnier français du catholicisme social et de la démocratie chrétienne, mais animé d'une ardente haine antisémite, avait été suspendue après la mort de Jean Paul II. Le projet ressort au Vatican sous la forme d'une commission de théologiens et d'historiens.
La communauté juive en France, aux Etats-Unis, l'Amitié judéo-chrétienne, des évêques français de premier plan s'insurgent contre cette béatification et le passé antisémite de ce "serviteur de Dieu" qui avait été soigneusement camouflé par son ordre religieux, influent à Rome, les dehoniens - 2 300 prêtres, 23 évêques et cardinaux dans une quarantaine de pays. Sous la plume prolixe de Léon Dehon, le peuple juif "a soif de l'or et le Christ pour ennemi" . Sa passion des richesses est un "instinct de race" . Le bon apôtre dénonce la pratique de l'usure, l'esprit de "dissimulation et de domination" des juifs, ces "cosmopolites qui ruinent l'unité de la nation" . Le Talmud, écrit-il, est "le manuel du parfait israélite, du détrousseur, du corrupteur, du destructeur social" ! Il reprend les accusations les plus abjectes de crime rituel, appelle à l'exclusion nationale des juifs, au port d'un vêtement spécial, à la création d'un statut à part, etc.
Ce Catéchisme social de Dehon remonte à 1898, dans une fin de siècle déchirée par l'affaire Dreyfus et l'anticléricalisme. De La France juive d'Edouard Drumont (1886) à l'engagement antidreyfusard de La Croix, les stéréotypes antisémites font alors partie de la vulgate catholique.
Le peuple n'allant plus dans les églises, les catholiques sociaux et les "abbés démocrates" veulent "aller au peuple" et attaquent les deux "agents du capitalisme" que sont pour eux les francs-maçons et les juifs.
Le pape de l'époque, Léon XIII (1878-1903), qui encourageait le catholicisme social, était resté prudent dans l'affaire Dreyfus (Léon Blum lui rend hommage dans ses Souvenirs de l'affaire de 1935) et avait pris ses distances avec Dehon. Il refusa sa bénédiction au Congrès de la démocratie chrétienne auquel Dehon participait, à Lyon, en 1896 (avec Drumont), et qui se voulait un congrès "antimaçonnique, social, national et antisémite" .
Bref, l'empoignade ne fait que commencer à propos de cette image sulpicienne donnée à Rome, dans une biographie d'Yves Ledure (Cerf, 2005) et des documents de la Conférence des évêques, d'un homme présenté comme un grand mystique, mais dont l'antisémitisme a été occulté. Le successeur de Jean Paul II devra arbitrer ce délicat conflit.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 10.06.05

Benoît XVI tend à son tour la main aux juifs

Dialogue - Le pape revendique l’héritage de Jean Paul II.

Dominique Dunglas
La Tribune de Genève, 10 juin 2005

En consacrant hier à Rome sa première audience interreligieuse à une délégation du Congrès juif mondial, Benoît XVI a démontré combien le dialogue entre catholiques et juifs est important pour lui. Une attention hautement symbolique de la part du pape allemand qui a porté durant son adolescence l'uniforme des jeunesses hitlériennes et a servi à la fin de la guerre dans la défense antiaérienne de Munich.
Un passé qui n'a toutefois jamais inquiété les représentants de la communauté juive. «Nous n'avons pas été préoccupés par l'élection du cardinal Ratzinger, a affirmé à la fin de la rencontre le rabbin David Rosen, directeur des affaires interreligieuses du comité juif américain.
Les rumeurs sur ses soi-disant antécédents nazis sont des bêtises. Les jeunes Allemands étaient obligés de s'enrôler. Et même si cela n'avait pas été le cas, un homme n'est plus le même à 17 ans et à l'âge mur.»
Joseph Ratzinger n'a d'ailleurs pas attendu d'être pape pour entretenir des relations avec la communauté juive. David Rosen et Lisa Palmieri, la représentante en Italie du Congrès juif américain, l'avaient rencontré à plusieurs reprises. Et tous les participants à la rencontre d'hier ont insisté sur la chaleur de l'entretien qui a bouleversé le rigide protocole des audiences. «Il a même été plus chaleureux que son prédécesseur, c'est tout dire!» a affirmé le rabbin Rosen.
Un prédécesseur dont Benoît XVI a revendiqué l'héritage: «Mon intention est de suivre la voie tracée par Jean Paul II». Continuité fondamentale pour les juifs. La visite de Karol Wojtyla à la synagogue de Rome en 1986 et le dépôt au Mur des lamentations durant le jubilé de l'an 2000 d'un texte de repentance de l'Eglise catholique envers le peuple juif sont en effet les gestes historiques qui ont mis fin à deux millénaires de défiance. Et nul n'a oublié qu'Elio Toaff, l'ancien grand rabbin de Rome, est l'une des deux seules personnes nommément citées dans le testament de Karol Wojtyla.
Certes, L'Eglise catholique est une communauté d'hommes dans laquelle l'antisémitisme est encore parfois présent. Mais le rabbin Rosen s'est déclaré certain que «les institutions catholiques ont dépassé les préjugés du passé; aucun prêtre antisémite ne sera consacré évêque par sa hiérarchie.»
Tous les contentieux ne sont pourtant pas réglés entre Rome et le monde juif. Le premier est politique et concerne Jérusalem qui fut annexée lors de la guerre des Six jours et déclarée par la Knesset «capitale unie et éternelle d'Israël» en 1980. Le Vatican continue d'exiger l'application de la résolution des Nations Unies demandant un statut international pour la vieille ville qui abrite les lieux saints des trois grandes religions monothéistes.
Le second contentieux concerne la béatification du pape Pie XII auquel les juifs reprochent son silence durant la Shoah. «Il ne nous appartient pas de dicter à l'Eglise catholique le choix de ses saints, a affirmé David Rosen. La guerre mondiale est encore à l'examen des historiens, mais la béatification de Pie XII serait vue par les juifs comme un manque délibéré de sensibilité…» Une évidente mise en garde.
Les acteurs de la rencontre d'hier se veulent résolument optimistes sur l'avenir des relations entre juifs et catholiques, mais il leur faudra éviter les pièges laissés par l'Histoire.

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«Un impératif moral»

Au lendemain de son élection, Benoît XVI avait dit sa volonté de «poursuivre le dialogue» et de «renforcer la collaboration» avec la communauté juive.
Hier, dans une brève intervention en anglais, le pape s'est placé dans la continuité de la déclaration «Nostra Aetate». Cette déclaration du concile Vatican II avait appelé «à une plus grande compréhension et une estime entre chrétiens et juifs». Elle avait également «déploré les manifestations de haine, de persécution et d'antisémitisme».
Le registre n'a pas été différent hier. «Au tout début de mon pontificat, a déclaré Benoît XVI, je souhaite vous assurer que l'Eglise reste fermement engagée, dans sa catéchèse comme dans tous les aspects de sa vie, à développer cet enseignement fondamental».
Et de poursuivre: «Mes prédécesseurs Paul VI et tout particulièrement Jean Paul II ont accompli des pas significatifs dans le développement des relations avec le peuple juif», à la suite de Vatican II. «Mon intention est de poursuivre ce chemin», a-t-il souligné.
L'expérience de la Shoah
Benoît XVI a ajouté que «la mémoire du passé reste pour les deux communautés (juive et chrétienne) un impératif moral (...) Cet impératif doit comprendre une réflexion continue sur les questions historiques, morales et théologiques posées par l'expérience de la Shoah», a-t-il estimé.
Le rabbin David Rosen a quant à lui rappelé que le cardinal Ratzinger avait écrit en 2000 dans l'Osservatore Romano - le journal du Vatican - un texte sur Abraham, l'ancêtre des croyants juifs comme chrétiens, qui «allait plus loin que Jean Paul II n'était allé et reflétait ses sentiments profonds».
Israël Singer avait auparavant souligné que «dans un monde de haine et de peur, où les gouvernements échouent à donner la sécurité aux peuples», les espoirs se tournent vers «les hommes de foi». (agences/red)

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Une délégation représentative

La délégation juive reçue hier par Benoît XVI était constituée par le Comité juif international pour les consultations interreligieuses (IJCIC), qui regroupe des représentants de différents courants du judaïsme religieux, conservateur et réformé. Elle comprenait des représentants des communautés juives d'Israël, des Etats-Unis, d'Europe et d'Amérique latine.
La délégation était conduite par le rabbin américain Israël Singer, le président du IJCIC. Etaient présents le président du Congrès juif mondial, Edgar Bronfman, ainsi que le Français Ady Steg, président de l'Alliance israélite universelle.

Qui est Joe Slockyj ?

Parmi la liste des délégations étrangères présentes aux obsèques de Jean-Paul II, publiée sur le site du Saint-Siège (http://www.vatican.va/gpII/documents/delegazioni-uff-esequie-jp-ii_20050408_en.html) et dans l’Osservatore Romano, il est un nom qui interpelle : Joe Slockyj.
Il figure ne dernière place de la délégation française, sans aucune mention de fonction :

France

H.E. Mr Jacques Chirac, President
H.E. Mrs Chirac, Consort of the President
H.E. Mr Pierre Morel, Ambassador to the Holy See
Commander Thierry Durteste, Aide-de-Camp of the President
Mr Joe Slockyj

Est-ce un des gardes du corps, dont le nom aurait malencontreusement été publié par les services pontificaux ? Est-ce un de ces « happy few » qui aurait joué de ses connaissances pour assister à un événement auquel il n’était pas convié, avec l’assurance d’être dans les meilleures place ? Toutes ces questions demeurent actuellement sans réponse…

6.09.2005

La réflexion sur la Shoah, impératif moral pour Benoît XVI

ROME, Jeudi 9 juin 2005 (ZENIT.org) - Une réflexion profonde sur les implications de la Shoah est un impératif moral déclare Benoît XVI, qui affirme son intention de renforcer le dialogue avec le judaïsme, dans le sillage du concile Vatican II et du pape Jean-Paul II.
C’est ce que le pape a affirmé ce matin en recevant au Vatican une délégation de 25 membres des principales institutions juives internationales, conduite par le rabbin Israël Singer, président du Comité juif international pour les consultations interreligieuses (IJCIC), et de M. Edgar Bronfman, président du Congrès juif international, que le pape avaient auparavant reçus en audience privée.
Le IJCIC est un organisme siégeant à New York et regroupant les institutions juives engagées dans le dialogue interreligieux.
Participaient également à l’audience le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la Promotion de l’unité des chrétiens et de la Commission vaticane pour les Relations religieuses avec le judaïsme, ainsi que le P. Norbert Hofmann, salésien, secrétaire de cette même commission.
La réflexion sur la Shoah, déclarait le pape, est un impératif : « Le souvenir du passé demeure pour les deux communautés, disait-il, un impératif moral et une source de purification, dans notre effort pour prier et travailler en vue de la réconciliation, de la justice, du respect de la dignité humaine, et en vue de cette paix qui est finalement un don de notre Seigneur lui-même. De par sa nature véritable, un tel impératif doit inclure une réflexion continue sur les questions profondes, historiques, morales et théologiques, présentées par l’expérience de la Shoah ».
Cette visite s’inscrit, rappelait le pape, dans cette année du 40e anniversaire de la déclaration conciliaire « Nostra Aetate », « dont l’enseignement a, depuis lors, servi de base à la relation avec le Peuple juif ».
Soulignons que le 27 octobre prochain, une délégation internationale du judaïsme participera à Rome à la célébration du 40e anniversaire de cette déclaration.
« Le concile, soulignait le pape, a affirmé la conviction de l’Eglise que, dans le mystère de l’élection divine, les débuts des fois se trouvent dans Abraham, Moïse et les Prophètes. Sur la base de ce patrimoine spirituel et des enseignements de l’Evangile, il a appelé à une compréhension mutuelle, une estime plus grande entre chrétiens et juifs, et il a déploré toutes les manifestations de haine, toute persécution, et l’antisémitisme (Nostra Aetate, 4) ».
« Au tout début de mon pontificat, déclarait le pape, je souhaite vous assurer du fait que l’Eglise demeure fermement engagée - dans sa catéchèse et dans tous les aspects de sa vie - à mettre en pratique cet enseignement décisif ».
Le pape rappelait : « Dans les années qui ont suivi le concile, mes prédécesseurs, le pape Paul VI, et, d’une façon particulière, le pape Jean-Paul II, ont fait des pas significatifs pour l’amélioration des relations avec le peuple juif ».
Benoît XVI déclarait pour sa part : « C’est mon intention de continuer sur ce chemin. L’histoire des relations entre nos deux communautés, a été complexe et souvent douloureuse, je suis pourtant convaincu que le « patrimoine spirituel » cher aux chrétiens et aux juifs est en soi une source de sagesse et d’inspiration capable de nous guider vers un « avenir d’espérance » en accord avec le dessein divin (cf. Jer 29:11) ».
Enfin, le pape Benoît XVI mentionnait ces 35 ans de dialogue et les 18 rencontres entre le Comité juif international pour les consultations interreligieuses et la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec le Judaïsme, dont la plus récente, en juillet 2004 à Buenos Aires, sur le thème « Justice et charité ».
« Je rends grâce au Seigneur, disait Benoît XVI, pour le progrès qui a été fait pendant ces années, et je vous encourage à persévérer dans votre important travail, en établissant les fondations d’un dialogue continuel et en construisant un monde réconcilié, un monde toujours plus en harmonie avec la volonté du Créateur ».
« Sur vous tous et sur ceux qui vous sont chers, concluait le pape, j’invoque cordialement les bénédictions divines, de sagesse, force et paix ».
Pour sa part, L’Osservatore Romano en italien du 10 juin a choisi de titrer à la Une en citant ces paroles de Benoît XVI : « C’est mon intention de continuer à améliorer les relations avec le peuple juif ».

Benoît XVI s'engage à poursuivre le rapprochement avec les juifs

LEMONDE.FR | 09.06.05 | 20h04 • Mis à jour le 09.06.05 | 20h18

Le pape Benoît XVI s'est engagé à poursuivre le rapprochement de l'Eglise catholique avec le peuple juif et a appelé à poursuivre le travail de mémoire sur la Shoah, au cours d'une rencontre avec les représentants du judaïsme mondial, jeudi 9 juin au Vatican.
Le pape Joseph Ratzinger a réservé sa première audience avec une délégation religieuse non chrétienne à vingt-cinq représentants de divers courants du judaïsme religieux et laïc, qu'il connaissait presque tous pour les avoir déjà rencontrés alors qu'il était le théologien du Vatican.
Dès son élection, Benoît XVI avait dit sa volonté de "poursuivre le dialogue" et de "renforcer la collaboration" avec la communauté juive.
Jeudi, il a réservé à ses hôtes un accueil qui a encore "dépassé en chaleur" celui du pape Jean Paul II, grand artisan de la réconciliation entre l'Eglise catholique et le judaïsme, a souligné le rabbin David Rosen, directeur international pour les affaires interreligieuses à l'American Jewish Committee.
La délégation était conduite par le rabbin américain Israël Singer, président du Comité juif international pour les consultations interreligieuses, et comprenait le président du Congrès juif mondial, Edgar Bronfman, ainsi que, entre autres, le Français Ady Steg, président de l'Alliance israélite universelle.

PLUS GRANDE COMPRÉHENSION MUTUELLE ET DEVOIR DE MÉMOIRE

Dans une brève intervention en anglais, Benoît XVI s'est placé dans la continuité de la déclaration "Nostra Aetate" du concile Vatican II, qui avait appelé "à une plus grande compréhension et une estime entre chrétiens et juifs et déploré les manifestations de haine, de persécution et d'antisémitisme".
"Au tout début de mon pontificat, je souhaite vous assurer que l'Eglise reste fermement engagée, dans sa catéchèse comme dans tous les aspects de sa vie, à développer cet enseignement fondamental", a-t-il dit. "Mes prédécesseurs Paul VI et tout particulièrement Jean Paul II ont accompli des pas significatifs dans le développement des relations avec le peuple juif", à la suite de Vatican II. "Mon intention est de poursuivre ce chemin", a-t-il souligné.
Benoît XVI a ajouté que "la mémoire du passé reste pour les deux communautés (juive et chrétienne) un impératif moral (...) Cet impératif doit comprendre une réflexion continue sur les questions historiques, morales et théologiques posées par l'expérience de la Shoah".
Israël Singer avait auparavant déclaré que "dans un monde de haine et de peur, où les gouvernements échouent à donner la sécurité aux peuples", les espoirs se tournent vers "les hommes de foi".
L'atmosphère qui a dominé la rencontre "confirme le profond engagement du pape dans les relations avec le peuple juif", a commenté David Rosen. Ceux qui avaient peur de l'élection de ce pape allemand "ne connaissaient pas le cardinal Ratzinger", a-t-il estimé.
David Rosen a rappelé que le cardinal Ratzinger avait écrit, en 2000, dans l'Osservatore Romano, le journal du Vatican, un texte sur Abraham, l'ancêtre des croyants juifs comme chrétiens, qui "allait plus loin que Jean Paul II n'était allé et reflétait ses sentiments profonds", a-t-il estimé.
Par ailleurs, interrogé par des journalistes sur le dossier en béatification du pape Pie XII ouvert au Vatican, David Rosen a déclaré que ce n'était pas aux organisations juives "de dire à l'Eglise quels sont ses saints", et qu'en outre, le rôle de Pie XII durant la période nazie faisait l'objet d'un débat entre historiens. "Mais dans le monde juif, beaucoup verraient une béatification de Pie XII comme un acte d'insensibilité intentionnelle", a-t-il souligné.

Avec AFP

Benoît XVI, star éditoriale

LE MONDE DES LIVRES | 09.06.05 | 15h14 • Mis à jour le 09.06.05 | 15h27

Pas moins d'une dizaine de livres sur le nouveau pape, Benoît XVI, ou écrits de sa main, sont déjà sortis en France depuis son élection, le 19 avril. D'autres sont annoncés. C'est d'un phénomène éditorial qu'il s'agit. Les uns s'en réjouiront. D'autres auront des haut-le-cœur. Mais s'il répond à un légitime besoin de connaître la personnalité du nouveau chef de l'Eglise catholique, un tel engouement pour la papauté et pour l'ex-cardinal Ratzinger, décrit par certains comme un "conservateur borné" , a de quoi étonner.
La frontière entre éditeurs "profanes" et "confessionnels" s'est effacée. Mais, s'agissant du pape qui vient de disparaître et de son successeur, celle qui sépare les ouvrages de compilation ou de circonstance et les œuvres originales, documentées et pertinentes, les biographies travaillées et vivantes, ressemble à un abîme.
Coupable, une fois de plus, la précipitation éditoriale. Comme si, à peine connu le nom du nouveau pape, une autre compétition avait commencé pour celui qui serait le premier à publier un "Ratzinger", c'est-à-dire à prolonger l'émotion de la mort du pape, le suspense d'un conclave et l'élection d'un cardinal favori depuis longtemps. D'où l'impression de livres"bricolés" à partir de manuscrits préparés à l'avance, bâtis sur le même plan (les "secrets" de l'élection, les "chantiers" , etc.), sans enquête ni révélation, puisant dans la manne déjà éditée par un préfet de la doctrine romaine qui, heureusement pour eux, fut fort prolixe.
Ainsi ose-t-on présenter comme une biographie (Benoît XVI, les clés d'une vie, de Constance Colonna-Cesari, éd. Philippe Rey, 198 p., 14,90 €) le livre d'une journaliste inconnue à Rome qui réécrit les dépêches d'agence et les articles parus lors du conclave, dépeint l'élection du cardinal Ratzinger comme la machination d'un clan ultraconservateur et détaille avec une assurance désarmante les manœuvres des quatre scrutins. Un cardinal latino-américain aurait obtenu 50 voix ! Le "candidat progressiste" Martini aurait souhaité "un nouveau concile Vatican III" . Que d'erreurs et d'approximations !
Puis il y a ceux qui, sous couvert d'érudition, comme le Benoît XVI, les défis d'un pape, de Bruno Lebec (L'Archipel, 262 p., 18,50 €), sont des ouvrages militants. L'auteur, ancien fonctionnaire du Vatican, habille l'élection du cardinal Ratzinger de longues digressions et leçons, préparées de longue date, distribuées aux jésuites, aux Eglises locales accusées de contrarier l'action du pape, aux "aventuriers de la liturgie", à des personnalités qui ne méritent pas tant d'indignité (Helder Camara, cardinaux Villot, Casaroli, anciens secrétaires d'Etat de Jean Paul II, Mgr Marini, son cérémoniaire). Et il annonce que le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, sera bientôt nommé à Rome, "où il rétablira la réputation de l'ancienne primature des Gaules" . A bon entendeur !
La lecture d'un livre écrit par les deux bons connaisseurs que sont Jacques Duquesne et Giancarlo Zizola (Benoît XVI ou Le Mystère Ratzinger, Seuil, 240 p., 19,50 €) suscite à la fois un grand intérêt et quelques regrets. Le portrait réalisé par le vaticaniste italien illustre la personnalité complexe, parfois contradictoire, de l'homme qui vient d'être élu. Il distingue avec bonheur et précision, dans sa vie et son œuvre, la part de la "relativité" et celle de l'"absolutisme" . Après le pontificat flamboyant, hypermédiatisé de Jean Paul II, il loue le souhait de plus grande intériorité et de recentrage sur la gestion des crises internes à l'Eglise exprimé, depuis son élection, par Benoît XVI.
C'est sans doute le livre qui aide le mieux à cerner la personnalité du pape et la nature des défis qui l'attendent. Mais on s'interrogera sur la construction de cet ouvrage, qui commence par quelques chapitres de Jacques Duquesne sortis d'une documentation très froide inspirée d'une vision de l'Eglise des années 1960 et 1970 qui commence à dater.

IL AURAIT FALLU DU TEMPS

On regrettera donc que les éditeurs aient fait le choix de la compilation plus que de l'enquête. Il aurait fallu du temps, étudier les racines bavaroises du nouveau pape, tenter de comprendre le raidissement de sa pensée après Vatican II, essayer d'expliquer son action à Rome par son conflit originel et personnel avec Hans Küng, son collègue progressiste de Tübingen.
Deux ouvrages méritent pourtant d'être retenus. Celui de Jean-Marie Guénois (Benoît XVI, le pape qui ne devait pas être élu, éd. J.-C. Lattès, 202 p., 17 €), pour l'abondante documentation, précise et vivante, réunie sur l'activité du Vatican, ses rouages internes, les règles du jeu qu'il faut connaître avant de prétendre décrire cet univers si particulier et fermé. Le journaliste de La Croix, qui a été longtemps correspondant à Rome, donne involontairement une leçon de modestie à tous les "vaticanistes" en herbe.
Quant à l'ouvrage de Jean-Claude Petit (L'Eglise après Jean Paul II, éd. Calmann-Lévy, 182 p., 15 €), il se distingue par la conviction qui l'anime. Voici un livre qui ne se prétend pas un portrait du nouveau pape. Avec liberté et justesse, il dresse l'état des lieux de l'Eglise à l'heure de la succession. Tels qu'il les décrit, les dossiers à traiter par Benoît XVI (œcuménisme, collégialité, place des femmes, proximité des pays, catégories défavorisées...) ne sont pas originaux, mais l'ancien patron de La Vie, nourri de son expérience de l'Eglise et de sa foi militante, transmet au lecteur son enthousiasme.
Enfin, on ne saurait trop recommander à qui voudrait connaître le nouveau pape d'aller à la source, c'est-à-dire de le retrouver dans ses œuvres, ses entretiens déjà nombreux parus en France (pour certains depuis longtemps). Et on louera les éditeurs qui avaient vu juste en publiant ce théologien parfois rébarbatif. Parmi les quelque trente ouvrages disponibles en français, on lira ou relira en particulier Le Sel de la terre (entretiens avec Peter Seewald, Flammarion/éd. du Cerf, 1997, 278 p., 20 €). Ou Voici quel est notre Dieu. Conversation avec Peter Seewald, Plon/Mame, 324 p., 19 €.)

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 10.06.05

La béatification du P. Dehon bloquée

La Croix, 09-06-2005

Ce prêtre français devait être béatifié le 24 avril dernier par Jean-Paul II. Benoît XVI vient de nommer une commission pour réexaminer le dossier
Sans précédent dans l’histoire de l’Église : la remise en cause, in extremis, d’une béatification. Le P. Léon Dehon, prêtre français, né en 1843 et décédé en 1925, grande figure du catholicisme social et fondateur de la congrégation des prêtres du Sacré-Cœur – les «dehoniens», 2.226 religieux présents dans 38 pays – devait être béatifié par Jean-Paul II le 24 avril dernier.
La mort de ce pape a suspendu ce projet mais cette cérémonie pourrait ne jamais avoir lieu. Benoît XVI vient de confier à une commission informelle, au sein de la Secrétairerie d’État, le soin de réexaminer la totalité du dossier. Des écrits antisémites du P. Dehon sont en effet passés à travers les mailles du procès de la Congrégation des causes des saints.
Alerté, fin février 2005 par l’historien Jean-Dominique Durand, l’épiscopat français, représenté par les cardinaux Jean-Marie Lustiger et Philippe Barbarin et par Mgr Jean-Pierre Ricard, président de la conférence des évêques, avait aussitôt signalé cette anomalie à Rome. Le cardinal Ratzinger, alors saisi du dossier comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait fait savoir, selon une source autorisée, que «l’Église devait reconnaître ses erreurs et tirer les conséquences qui s’imposent».

«La passion des richesses, c’est chez eux un instinct de race»

Mais il était trop tard pour arrêter le processus puisque le décret reconnaissant le miracle nécessaire à toute béatification et l’héroïcité des vertus de l’intéressé avait été promulgué le 19 avril 2004 et que la date de la cérémonie était fixée. Seule la mort du pape, alors très malade, pouvait changer le cours des choses. Ce qui arriva.
Le gouvernement français avait fait savoir qu’il n’aurait pas été représenté à cette béatification et le confirme aujourd’hui si celle-ci intervenait. Quant à l’épiscopat français, il était même allé jusqu’à envisager de réprouver publiquement cet acte. L’affaire lui paraissait trop grave.
Quelle affaire au juste ? Des écrits du P. Dehon, sept textes précisément, très accessibles, dont voici quelques extraits : «La passion des richesses, c’est chez eux un instinct de race.» Ils ont «soif de l’or» ; les juifs sont «unis dans la haine du Christ», ils sont les ennemis par excellence de l’Église et des chrétiens.
Le Talmud ? «C’est le manuel du parfait israélite, le manuel du détrousseur, du corrupteur, du destructeur social» ; «La réaction antisémite est un signe d’espérance» ; il recommande même l’isolement : «Le juif signalé par un vêtement spécial, exclu de l’enseignement, de la magistrature et de la propriété territoriale, et consigné dans ses ghettos avec la faculté restreinte d’exercer seulement certains commerces.» Il propose aussi de prendre comme modèle le courant antisémite autrichien lancé en 1893 par Karl Lueger, homme politique dont Hitler, louera plus tard les mérites dans Mein Kampf.

Un vice de procédure - ou une énigme interne - reste à élucider

Même si Léon XIII, le pape de l’époque s’était, avec d’autres catholiques, opposé à l’antisémitisme, les défenseurs de la béatification du P. Dehon expliquent que ces propos sont à situer dans cette période. Ainsi le P. Joseph, supérieur de la communauté des prêtres du Sacré-Cœur de Paris : «Il y a anachronisme. Il faut placer ces quelques textes dans leur contexte sinon la perspective est faussée. Le P. Dehon était un homme plein d’amour.»
Ce ne sont pas «les vertus incontestables du P. Dehon qui sont en cause, répond Jean-Dominique Durand, mais le fait qu’une telle béatification laisserait penser que l’antisémitisme est un péché véniel, pas si grave». Haïm Musicant, directeur général du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) se félicite, lui, de cette suspension : «Une telle béatification aurait été une blessure pour le dialogue fort et en bonne santé avec l’Église catholique et mieux vaut éviter les blessures inutiles.»
La commission romaine va donc mettre au travail et commencer par élucider un vice de procédure ou énigme interne : pourquoi ce dossier de béatification – récusé pour ce motif par la Congrégation pour la doctrine de la foi en 1952 – ne lui a-t-il pas été soumis, cette fois ?

Jean-Marie GUENOIS

 

   

6.08.2005

Le Pape appuie l’abstention au référendum italien sur la procréation

Réaffirmant les positions de l’Eglise sur la bioéthique

Le Vatican : Hervé Yannou
[Le Figaro, 08 juin 2005]

A quelques jours du référendum italien sur la procréation médicalement assistée, Benoît XVI a apporté son soutien indirect et discret aux évêques italiens qui ont appelé à l’abstention. Lundi soir, à l’occasion de l’ouverture d’un congrès sur la famille organisé par le diocèse de Rome, le Pape a, une nouvelle fois, réaffirmé avec force les positions intangibles de l’Eglise catholique en matière de mœurs, de droit à la vie et de bioéthique.
Dans sa cathédrale de Saint-Jean-de-Latran, l’évêque de Rome et primat d’Italie a fermement rappelé «l’intégrité de la vie humaine, de sa conception à son terme naturel», réitéré sa condamnation des manipulations sur «la vie qui naît», stigmatisé le relativisme qui conduit à une «liberté anarchique», au «libertinage» et à la «banalisation du corps», dont les avatars sont l’avortement, les unions libres et les «pseudo» mariages homosexuels. Sous les applaudissements de prêtres, religieux et laïcs, il a aussi condamné comme «contraire à l’amour humain, à la vocation profonde de l’homme et de la femme» le fait de «fermer systématiquement une union au don de la vie» par le biais de la contraception. Le Pape n’a pas fait directement référence au scrutin italien. Mais à ses côtés était assis le cardinal Camillo Ruini, président de la Conférence épiscopale italienne. Les paroles du Saint-Père sont donc bel et bien apparues comme une nouvelle prise de position dans le débat qui anime la Péninsule.
Derrière le cardinal Ruini, l’épiscopat italien appelle depuis plusieurs mois les électeurs à ne pas se rendre aux urnes dimanche et lundi prochains lors du référendum d’initiative populaire visant à abroger quatre aspects controversés de la loi – votée en 2004 –, sur la procréation médicalement assistée : l’interdiction de l’expérimentation sur les embryons, de la création de plus de trois embryons pour une fécondation in vitro, du recours à un donneur extérieur au couple et enfin la question des droits de l’embryon. Pour être validé, le référendum doit atteindre un quorum de 50% des voix.
Le 30 mai, devant la Conférence épiscopale italienne réunie au Vatican, le Pape avait pour la première fois clairement salué la prise de position des évêques pour «éclairer et motiver les choix des catholiques et de tous les citoyens». Dans cet engagement «clair et concret» pour que chaque être humain ne soit pas «réduit à un moyen mais à une fin», Benoît XVI les avait assurés de sa proximité par «la parole et la prière». «Nous ne travaillons pas pour les intérêts catholiques mais toujours pour l’homme», avait déclaré le Pape alors qu’une partie de la classe politique italienne crie à l’ingérence de l’Eglise dans les affaires politiques du pays.
Mais pour Benoît XVI, l’exemple italien pourrait devenir un modèle. Sa longue intervention de lundi soir était sa quatrième prise de parole en huit jours sur les thèmes de la vie, de la famille et surtout de la «menace du relativisme». En effet, l’objectif primordial du Pape est de motiver «les familles chrétiennes» à un «engagement public» contre le relativisme qui «laisse comme seule et ultime possibilité son propre JE et ses volontés», se présente «sous l’apparence de la liberté et devient une prison». Dans cette lutte, la Péninsule pourrait avoir un «grand rôle» en Europe et dans le monde grâce à son «véritable humanisme» inspiré par le christianisme.
Benoît XVI n’a pas oublié le cardinal Ratzinger, cette insistance dans la lutte contre le relativisme fait partie du «programme» de son pontificat. Le 18 avril dernier, celui qui était encore le doyen du Sacré Collège avait appelé à combattre «la dictature du relativisme» dans son homélie pour la messe précédant le début du conclave. Un discours qui n’avait pas été sans influencer le vote des cardinaux électeurs.

6.07.2005

Benoît XVI dans les pas de Benoît XIV

RELIGION L’héritage idéologique du nouveau souverain pontife

PAR EMMANUEL LE ROY LADURIE de l’Institut
[Le Figaro, 07 juin 2005]

Que Benoît XVI veuille se rattacher nominalement et même profondément au pape Benoît XV, c’est bien évident, bien naturel. Le quinzième Benoît symbolisait lors de la Première Guerre mondiale un certain pacifisme catholique, du meilleur aloi mais sans véritable succès, en vue d’une réconciliation difficile entre puissances belligérantes, notamment la France et l’Allemagne, toutes deux plus ou moins catholiques, et parfois plus que moins. Des bellicistes français avaient même appelé, bien à tort, Benoît XV le «pape boche», surnom qui n’a plus de raison d’être, s’il en eût jamais, puisque nous disposons maintenant d’un souverain pontife qui lui est authentiquement allemand au meilleur sens de cet adjectif.
Avant Benoît XV, il y eut Benoît XII (début du XIVe siècle), auquel nous devons l’étonnante description sociologique du village cathare de Montaillou (Ariège). Mais description entreprise sur une base inquisitoriale qui n’est plus du tout la nôtre, ni a fortiori celle de Benoît XVI. On négligera également Benoît XIII, sur lequel le dictionnaire de la papauté de Philippe Levillain est plutôt sévère : entourage de profiteurs, dégrèvements fiscaux qui vident les caisses de l’Etat pontifical, népotisme, manque d’habileté politique, voire bigoterie puérile.
Par contre, l’antépénultième Benoît, qui répond bien sûr au nom de Benoît XIV, pourrait sans aucun doute servir de modèle à son lointain successeur qui, du reste, étant donné sa haute culture, connaît certainement et apprécie à juste valeur la biographie de son quatorzième et quasi-homonyme : Benoît XIV occupa le siège de Saint-Pierre de 1740 à 1758 ; il demeure (comme l’a écrit le regretté Bruno Neveu, historien qualifié de l’Eglise romaine) pape des Lumières et pape d’ouverture (1).
Né en 1675 à Bologne, Prospero Lambertini devient jeune encore membre du personnel de la curie ; il est employé dès 1708 dans la Ville éternelle à la congrégation des rites. Il prend position, à partir de 1728, contre le culte du Sacré-Coeur en vertu de convictions religieuses de style déjà moderne selon lesquelles le cerveau doit l’emporter sur les incertitudes du coeur. Se défiant de la superstition, Lambertini publie en 1734 et 1738 un traité relativement critique sur les procédures de canonisation, ouvrage qui lui vaudra jusqu’à la considération des protestants dont ceux-ci n’étaient pourtant pas prodigues. Lambertini s’avère aussi très précautionneux sur les problèmes de visions, d’apparitions, de prophéties... et de manifestations de la sainteté féminine.
Elu pape en 1740, il conclut, dans la foulée, des concordats avec l’Espagne, le Portugal, Naples, la Sardaigne et l’Autriche, textes de traités qui évitent l’ultramontanisme et respectent les prérogatives des gouvernements. Il inaugure le genre littéraire et doctrinal de l’encyclique dont vingt-cinq seront publiés sous son règne. Il est, fait remarquable, adversaire de l’esclavage. Il traite de façon relativement libérale, pour l’époque, du mariage mixte catholico-protestant. «Il y a en lui une volonté de retour à la purification, à la simplicité, à l’authenticité des premiers siècles du christianisme» (Bruno Neveu). Il fait preuve de bienveillance «hors de l’Italie» à l’égard des catholiques de rite grec, qu’ils soient albanais ou hellénophones. En revanche, il est moins souple, quoique pas d’une raideur excessive à l’encontre des rites chinois mis en place par quelques jésuites dans le céleste Empire et volontiers désavoués par les autorités suprêmes de l’Eglise.
Sur le prêt à intérêt, que le magistère catholique a longtemps interdit en son principe, quoique bien en vain, Benoît XIV autorise de facto les prises d’intérêt dès lors qu’il s’agit d’octroyer une prime indispensable en compensation des dommages subis du fait d’un prêt d’argent, prêt aussi en tant que prise de risque ou en tant que contribution sous forme de travail émanant du prêteur. Le pape Lambertini se montre complaisant vis-à-vis de Frédéric II, roi de Prusse ; il nomme, pour acquérir les grâces frédériciennes, un évêque silésien de mœurs douteuses, mais qui a l’agrément du Hohenzollern. En ce qui concerne les jansénistes, souvent des Français, Sa Sainteté refuse de les exclure du bénéfice des indulgences. Il s’interdit également de faire de la Bulle Unigenitus, très antijanséniste, une règle de foi. Il tente de tempérer les exigences des billets de confession que certains prêtres parisiens tentaient d’extorquer de force aux grands malades pour les contraindre à renier un jansénisme éventuel.
Il inaugure après la paix européenne d’Aix-la-Chapelle (1748) une période heureuse pour les états de l’Eglise : expansion économique, fondation de musées, développement de la bibliothèque vaticane (que Jean-Paul II, lui, confondra parfois avec les archives du Saint-Siège).
La Rome de Benoît XIV est celle de Piranèse, de la fontaine de Trévise, de la restauration du Colisée. Benoît n’hésite point à confier des chaires universitaires (de physique, de mathématique) à des femmes. Il noue des relations cordiales avec Voltaire et il offre volontiers son pardon à l’abbé de Prades, accusé d’antireligion. Enfin, performance remarquable, il retire des listes de l’index (1757) les livres de Copernic, Kepler et Galilée, favorables comme on sait à l’héliocentrisme. Ces mesures seront complétées totalement et définitivement en 1835 sur ordre du pape Grégoire XVI et l’on peut se poser la question de savoir s’il était réellement nécessaire, sous Jean-Paul II, de procéder à une repentance, si bien argumentée soit-elle, pour une question que l’Eglise avait depuis longtemps réglée... à tout le moins depuis six générations.
Il est vrai que les remarquables accomplissements des observatoires astronomiques des Etats du pape, depuis le XVIIe siècle, tels que célébrés par la Librairie du Congrès de Washington dans une récente exposition internationale relative à la bibliothèque vaticane, il est vrai disais-je que de tels accomplissements prédisposaient tout à fait la papauté en 1757 comme en 1835 à accomplir ces gestes essentiels de réparation vis-à-vis de l’injuste sentence anti-galiléenne promulguée en 1633. Mais sans doute Jean-Paul II voulait-il, au nom de cette repentance, «faire une fleur» à son génial compatriote Copernic. Ajoutons que nul ne demande aux protestants, demande qui serait grotesque, de se repentir du gigantesque iconoclasme d’oeuvres d’art majeures, commis par leurs prédécesseurs au XVIe siècle.
Nous parlions à l’instant du jansénisme, lequel, comme chacun sait, souhaitait être fidèle à la tradition que lui avait léguée saint Augustin. Il est frappant de constater que le pape Lambertini a vivement réagi contre la condamnation qu’avait formulée le grand inquisiteur d’Espagne à l’encontre d’un remarquable théologien ibérique de tendance augustinienne. On a pu comparer Benoît XIV à cet autre pape, jovial et joufflu, que sera Jean XXIII. L’oeuvre de ces deux hommes a subi post mortem un certain nombre d’infléchissements ; dans le cas de Benoît XIV, elle fit place (après 1758) au retour à un papisme plus dur. En 1963 (mort de Jean XXIII), on assista plutôt à «un affaiblissement de l’unité et une obsolescence de la romanité» (Bruno Neveu). Reste que le pontificat de Benoît XIV est marqué par l’instauration féconde de relations plus étroites avec son temps et somme toute avec l’Europe. En ira-t-il ainsi de Benoît XVI, dont les voies furent admirablement préparées par son prédécesseur venu de Pologne ?

Voir la contribution de Bruno Neveu sur Benoît XIV dans le recueil Ouverture, société, pouvoir (Fayard, 2005).

Le secrétaire de Jean-Paul II n'a pas respecté le testament du pape

VATICAN Mgr Stanislas Dziwisz a avoué ne pas avoir brûlé les notes du défunt pontife

Le Vatican : Hervé Yannou
[Le Figaro, 07 juin 2005]


L'ancien secrétaire personnel de Jean-Paul II et son exécuteur testamentaire lui a désobéi. Mgr Stanislas Dziwisz, fraîchement nommé à l'archevêché de Cracovie, a, samedi dernier, confié au micro de la radio polonaise qu'il n'avait pas pu se résoudre à brûler papiers, documents et notes manuscrites du défunt pape. Ce dernier le lui avait pourtant demandé dans son testament rendu public quelques jours après sa mort.
Renvoyé en Pologne sur le siège qu'occupa le cardinal Wojtyla, Stanislas Dziwisz veut y être un «témoin de Jean-Paul II». Aiguisant la curiosité, il a ainsi confié avoir conservé «d'assez nombreuses» notes manuscrites du pape sur différents sujets, sans donner plus de détails. «Rien n'a été brûlé. Rien n'est destiné à être brûlé, tout devrait être préservé, gardé pour l'histoire, pour les générations futures.» Il a assuré que tous ces écrits devaient être strictement examinés, classés et éventuellement mis «à la disposition du public». Mgr Dziwisz a aussi révélé qu'il avait tenu jour après jour un journal intime durant tout le pontificat de Jean-Paul II. Il s'est dit prêt à le remettre aux historiens, afin de servir au procès en béatification de Karol Wojtyla que Benoît XVI a décidé d'ouvrir il y a trois semaines.
Dans les dernières années du pontificat, au fur et à mesure que la santé du pape se dégradait, le rôle de «Don Stanislas» n'avait cessé de croître au Vatican. Plus qu'un fidèle secrétaire, celui que l'on qualifie parfois de «fils adoptif» de Jean-Paul II, était aussi son conseiller écouté. La confiance que Karol Wojtyla avait depuis 1966 en Stanislas Dziwisz, peut se lire dans les honneurs inédits dont le pape l'a couvert. Sacré évêque, puis créé archevêque, Mgr Dziwisz était aussi vice-préfet de la Maison pontificale. Un poste créé pour lui. Dans son testament, où il n'a cité le nom que de trois personnes, Jean-Paul II le remerciait de sa «collaboration», de «son aide prolongée et compréhensive au cours des années».
Une collaboration qui se poursuit au-delà de la mort. En révélant l'existence de ces écrits, Stanislas Dziwisz a répondu à l'Edit public fixant l'ouverture de la cause en béatification de Jean-Paul II. Le texte placardé la semaine dernière sur les portes du vicariat de Rome et de l'archevêché de Cracovie appelle à faire connaître toutes les informations, les écrits personnels inconnus, lettres et journaux privés favorables ou défavorables à Jean-Paul II.
Il revient à Benoît XVI de décider si le nouvel archevêque de Cracovie – sans doute futur cardinal – a commis une faute, en conservant des écrits du pape polonais. C'est à lui seul que l'exécuteur testamentaire de Karol Wojtyla doit rendre compte de sa mission. Le Pape l'a reçu hier en audience. Mais au Vatican, on n'est pas sans savoir que les dernières volontés d'un pape ne sont pas toujours respectées. Et ce pour la bonne cause. MgrMacchi, le secrétaire particulier de Paul VI, n'aurait pas non plus détruit tous les écrits du pape, contrairement à ce qui lui avait été demandé. Le procès en béatification de Paul VI est lui aussi en cours.

6.06.2005

Benoît XVI condamne l’avortement et les manipulations sur l’embryon

AFP 06.06.05 | 20h31

Le pape Benoît XVI a condamné lundi le mariage homosexuel, l’avortement et les manipulations génétiques, quelques jours avant un référendum organisé en Italie pour abroger une législation restrictive sur la fécondation assistée.
Le pape, qui s’exprimait devant la convention du diocèse de Rome sur la famille dans la basilique romaine Saint-Jean de Latran, a condamné « les formes modernes de dissolution du mariage comme les unions libres et le "mariage à l’essai" » ainsi que « le pseudo-mariage entre personnes du même sexe ».
Il a également condamné comme « contraire à l’amour humain, à la vocation profonde de l’homme et de la femme », le fait de « fermer systématiquement une union au don de la vie, et encore plus de supprimer ou manipuler la vie qui naît ».
Le Italiens sont appelés dimanche à participer à un référendum d’initiative populaire visant à abroger les articles les plus restrictifs d’une loi sur la fécondation médicalement assistée.
Les évêques italiens ont appelé les catholiques à l’abstention, afin d’empêcher que ce référendum obtienne le quorum nécessaire de 50 %.
Benoît XVI a salué leur « "engagement clair et concret » dans ce combat.

Benoît XVI réaffirme les dogmes catholiques

Mise à jour le lundi 6 juin 2005 à 19 h 30

Les catholiques qui avaient espéré un changement de discours avec l’avènement d’un nouveau pape seront déçus. Se prononçant sur le sujet pour la première fois depuis le début de son pontificat, Benoît XVI a condamné, lundi, le divorce, les unions libres, le contrôle artificiel des naissances et le mariage homosexuel.
Il estime qu’il s’agit de pratiques qui présentent un danger pour la cellule familiale. « Les diverses formes contemporaines de dissolution du mariage, d’unions libres, de mariages à l’essai ainsi que de soi-disant mariages entre personnes du même sexe ne sont que l’expression d’une liberté anarchique », a déclaré le souverain pontife d’origine allemande.
Benoît XVI a également condamné les manipulations d’embryons et réitéré le caractère inviolable de la vie, à quelques jours d’un référendum sur la fécondité assistée en Italie.

6.05.2005

Benoît XVI demande de soutenir les immigrés

ROME, Dimanche 5 juin 2005 (ZENIT.org) - A l’occasion de la prière de l’Angélus, ce dimanche à midi, le pape Benoît XVI a lancé un appel pressant pour que l’on accueille et que l’on soutienne les immigrés.
« Je pense à tous ceux qui se trouvent loin de leur patrie et souvent aussi de leur famille et je leur souhaite de toujours trouver sur leur chemin des visages amis et des cœurs accueillants, capables de les soutenir dans les difficultés de chaque jour », a déclaré le pape.
Benoît XVI a rappelé que le 1er juin on a célébré le centenaire de la mort du bienheureux Jean-Baptiste Scalabrini (1839-1905), évêque de Plaisance (Italie) qui a donné sa vie pour les émigrés, fondant les Missionnaires (1887) puis les Sœurs missionnaires (1895) de saint Charles Borromée, connus sous le nom de « Scalabriniens ».
« Le bienheureux Jean-Baptiste Scalabrini, évêque, patron des migrants, dont nous avons rappelé le centenaire de la mort, le 1er juin, avait une profonde dévotion au cœur du Christ », a rappelé le pape.
Il fut béatifié par Jean-Paul II le 9 novembre 1997.
Plus récemment, un troisième institut religieux a été fondé en Suisse, suivant la spiritualité des Scalabriniens : l’Institut des Missionnaires séculières scalabriniennes.
Face à l’urgence du phénomène migratoire, un nombre croissant de volontaires laïcs répondent au défi en s’inspirant du bienheureux Jean-Baptiste Scalabrini. Ils ont célébré leur premier congrès à Plaisance du 1 au 5 juin.

Benoît XVI demande la libération de Clementina Cantoni

AFP 05.06.05 | 12h13

Le pape Benoît XVI a demandé dimanche la libération de l'otage italienne Clementina Cantoni, enlevée le 16 mai à Kaboul, dans un message après la prière de l'Angelus place Saint Pierre."J'unis ma voix à celle du président de la République italienne, du président de l'Afghanistan et des peuples italien et afghan pour demander la libération de la volontaire italienne Clementina Cantoni", a déclaré le pape.Il a souhaité "que la douloureuse experience que vit actuellement notre soeur soit une incitation à rechercher par tous les moyens l'entente pacifique et fraternelle entre les individus et les nations".Clementina Cantoni, une jeune coopérante italienne de 32 ans en Afghanistan depuis septembre 2003, a été enlevée le 16 mai à Kaboul. Son ravisseur a menacé à plusieurs reprises de la tuer.Le président italien Carlo Azeglio Ciampi a lancé le 27 mai un appel à sa libération.Le 19 mai, le président afghan Hamid Karzai s'était déclaré confiant dans une issue "rapide et heureuse" de cette affaire. Dimanche dernier, la télévision afghane avait diffusé une courte vidéo montrant l'otage italienne apparemment en bonne santé, assise entre deux hommes encagoulés et pointant leurs fusils sur sa tête.
6 janvier - Libération “sans nouvelles”

Le quotidien Libération annonce être “depuis plus de vingt-quatre heures sans nouvelles de Florence Aubenas”, envoyée spéciale en Irak depuis le 16 décembre 2004, ainsi que de son assistant irakien, Hussein Hanoun Al-Saadi. Ils “n’ont plus été vus depuis leur sortie de l’hôtel”, le 5 janvier matin à Bagdad. Dans les jours qui suivent, Jacques Chirac déconseille “formellement l’envoi de journalistes” en Irak, et Jean-Pierre Raffarin déclare que “l’Etat mobilise tous ses moyens”.

13 janvier

Le président intérimaire irakien Ghazi al-Yaouar, en visite en France, affirme que Bagdad “fait tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir” la libération de la journaliste. Le 17, il écarte l’éventualité d’un rapt politique et estime que cette affaire pourrait être liée à une demande de rançon.

26 janvier - Manifestation et appels

Des portraits géants de Florence Aubenas et de son interprète sont hissés lors d’une manifestation à Paris, place de la République. La mobilisation s’amplifie, deux jours après l’appel lancé par les directeurs de rédaction des principaux médias parisiens.

1er février - “Une situation différente” de Chesnot et Malbrunot

Jean-Pierre Raffarin déclare que les “informations recueillies donnent à penser” que les otages sont “dans une situation très sensiblement différente” de celle des journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot, libérés en décembre après quatre mois de captivité en Irak.

1er mars - Une vidéo énigmatique

La chaîne Sky-Italia diffuse une vidéo de Florence Aubenas, que sa famille avait pu voir quelques jours plus tôt. Apparaissant très éprouvée, la journaliste lance un appel au secours, adressé en particulier au député UMP Didier Julia, contesté depuis sa tentative de libérer MM. Chesnot et Malbrunot. Le 3, Jean-Pierre Raffarin demande aux ravisseurs de s’adresser “aux seuls services officiels” français.

5 avril - Circonstances “difficiles”

Le ministre des affaires étrangères Michel Barnier déclare que les circonstances autour de la détention de Florence Aubenas et Hussein Hanoun sont “difficiles” mais que les autorités françaises restent “totalement mobilisées”.

15 avril - 100e jour de captivité

Logos à la télévision et à la “une” des journaux, jingles à la radio, lâchers de ballons... les initiatives de solidarité se multiplient pour la 100e journée de captivité des deux otages. Leur comité de soutien (www.pourflorenceethussein.org) lance une pétition.

3 mai - “contacts rétablis”

M. Raffarin, qui reçoit une trentaine de directeurs de rédaction, évoque de “très bonnes raisons de penser” que la journaliste est vivante, et des “contacts interrompus par de longues périodes de silence mais à chaque fois rétablis” avec les ravisseurs.

23 mai - Commanditaires non identifiés

Le directeur de Libération, Serge July, estime, à l’issue de la libération en Irak de trois journalistes roumains, que l’affaire est “plus compliquée” pour Florence Aubenas et Hussein Hanoun, les “commanditaires n’étant toujours pas identifiés”.

5 juin - 150e jour de captivité

Le nouveau ministre des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, déclare que la libération des deux otages est “[s]a première priorité”. Les manifestations sont nombreuses, avec notamment des vols de mongolfières et une procession nautique. La pétition lancée 50 jours plus tôt a recueilli plus de 170 000 signatures. Robert Ménart (RSF) soupçonne une “raison d’Etat” plutôt qu’un enlèvement crapuleux.
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