5.15.2006

Cardinal Cottier : «Un livre dangereux pour les plus crédules»

Propos recueillis par Hervé Yannou
Le Fiagro, 15 mai 2006, (Rubrique France)

Pour le théologien dominicain, le roman exploite la «pauvreté culturelle» du grand public.


Le cardinal Georges Cottier, théologien émérite du Pape, estime que Da Vinci Code calomnie les Églises chrétiennes.

LE FIGARO. – Da Vinci Code – le roman et son film – est-il fondamentalement antichrétien ?

Cardinal Georges COTTIER. J'ai lu le livre. Du point de vue littéraire, ce n'est pas un modèle. C'est un roman policier assez bien ficelé, à lire quand on prend le train. Cependant, au bout de quelques pages, on comprend toute l'intrigue et la lecture devient alors très répétitive. Les personnages sont sans consistance et donc de simples figurants dans l'histoire. Mais le centre du problème est que les thèses développées sont fausses et surtout pernicieuses. Le roman reprend des légendes qui remontent sans doute à certains apocryphes, par exemple, mais rejetés par la Tradition. Il ne tient absolument pas compte de la vérité chrétienne et du travail des experts, des biblistes et des exégètes. C'est donc un livre dangereux.

Quels en sont les points les plus condamnables ?

Da Vinci Code est dangereux pour les plus crédules. C'est une double calomnie. Premièrement, il présente les Églises chrétiennes, protestants et orthodoxes y compris, comme ayant trompé l'humanité sur l'histoire du Christ. Deuxièmement, il diffame l'Opus Dei. Je me demande pourquoi l'Oeuvre n'a pas réagi plus tôt.

Existe-t-il aujourd'hui un gouffre culturel entre l'Église et le grand public ?

C'est à la fois triste et alarmant, car ce genre d'ouvrage a du succès. La réussite du Da Vinci Code pose la question de la dégradation de la culture et de la pauvreté intellectuelle tant du point de vue historique que du goût. La perte de la foi est allée de pair avec une augmentation de la crédulité. Le rôle des médias n'est pas non plus à négliger et doit être analysé. Ils réduisent la réalité au spectacle. Ils conduisent à la confusion des esprits en choisissant de mettre intensément en lumière un événement, avant de l'oublier. Tout cela nous aide à comprendre comment des gens ont pu suivre les idéologies totalitaires.

Bras de fer entre le Pape et la Chine

L'éditorial de Pierre Rousselin
Le Figaro, 15 mai 2006, (Rubrique Opinions)

La Chine populaire a beau être devenue un pays capitaliste, le Parti communiste y détient l'autorité suprême. C'est un impératif absolu sans lequel le régime perdrait vite toute légitimité. Il vaut dans tous les domaines de la vie matérielle mais aussi dans la sphère spirituelle. Le Vatican est en train d'en faire l'expérience dans sa confrontation avec les dirigeants chinois à propos de l'ordination des évêques.

Depuis l'avènement de Benoît XVI, il y a un peu plus d'an, un vent d'optimisme s'était mis à souffler sur les relations entre Pékin et le Vatican. Le successeur de Jean-Paul II n'avait pas à son actif le démantèlement du bloc soviétique. Avec lui, la Chine communiste allait pouvoir s'entendre et obtenir une reconnaissance diplomatique qui porterait un coup sévère au crédit international de Taïwan, l'île rebelle où se trouve aujourd'hui la nonciature. L'Église, elle, a fait ses calculs depuis longtemps. Les 300 000 catholiques taïwanais pèsent peu au regard des douze millions de pratiquants en Chine continentale et au «coup diplomatique» qu'il y aurait à s'implanter officiellement au coeur du géant communiste. L'intérêt bien compris de l'Église et des héritiers de Mao est donc de trouver un accord.

Lorsque, l'an dernier, le Vatican et Pékin s'accordent sur le nom du nouvel évêque auxiliaire de Shanghaï, tout le monde se dit qu'un concordat de fait est en train de se mettre en place, discrètement, dans l'attente d'une normalisation. C'est le modèle que le régime communiste du Vietnam a, lui, accepté de suivre. Et puis, depuis quelques semaines, l'accord tacite avec Pékin est rompu. L'Église officielle chinoise, sous la coupe des autorités, s'est remise à nommer des évêques sans demander l'aval du Pape.

En février, la décision de Benoît XVI d'élever au rang de cardinal l'évêque de Hongkong avait jeté un froid. Mgr Zen Ze-King est un partisan d'une ligne dure à l'égard de Pékin. Très actif dans le mouvement démocratique de Hongkong, il s'est rendu populaire parmi les catholiques du continent. Sa promotion a dû être vécue à Pékin comme une provocation.

Quarante-quatre sièges d'évêque sont à pourvoir dans le pays. Le Parti communiste veut avoir le dernier mot sur leur nomination et contrôler ainsi les homélies pendant une génération. Excommunier les impétrants, comme le Vatican en a exprimé passagèrement l'intention, n'est pas une solution. Cela ouvrirait un véritable schisme entre l'Église «patriotique», contrôlée par le pouvoir, et l'Église clandestine.

Entre le Pape et le géant communiste, le bras de fer n'est pas près de finir. Pour l'un comme l'autre, c'est une question de dogme. Le Vatican doit désigner lui-même les représentants du Souverain Pontife. Confronté à une instabilité sociale croissante, le Parti communiste chinois ne peut, lui, se résoudre à voir les masses populaires répondre à une autre autorité que la sienne, fût-elle divine.

Le Vatican s'interroge sur sa stratégie de contre-offensive au Da Vinci Code

L'analyse d'Hervé Yannou (Correspondant du Figaro au Vatican)
Le Figaro, 15 mai 2006, (Rubrique Opinions)

Pourquoi la hiérarchie catholique crie-t-elle au loup après le Da Vinci Code ? Cette institution vieille de deux mille ans ne se serait pas tant souciée d'un roman de gare au succès international puis de la sortie, mercredi, d'un film à qui l'on promet la première place au box-office, sans le contexte culturel et religieux dans lequel baigne la polémique. L'Eglise catholique veut sortir son épingle du jeu. Le thriller de Dan Brown a tout d'abord conduit l'Eglise à un triste constat d'échec. L'engouement exceptionnel qu'il a suscité a pris au débotté les autorités catholiques. Un énième livre historico-ésotérique devait venir remplir le rayon des bibliothèques d'amateurs. Oui mais voilà, les thèses soutenues par Dan Brown ont réussi à ébranler la foi de certains fidèles. Un lecteur catholique ne serait-il plus capable de faire la part entre fiction et réalité ? Si la mise à l'Index n'existe plus depuis belle lurette, la question taraude l'ancienne Inquisition. Le cardinal Tarcisio Bertone, archevêque de Gênes et ancien bras droit du futur Benoît XVI à la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait été le premier à tirer la sonnette d'alarme. Ce prince de l'Eglise avait dû monter au créneau pour rappeler les vérités de la foi et de l'Ecriture face à un roman affirmant que l'Eglise catholique cache la «véritable» histoire du Christ, que Jésus n'a pas été crucifié, n'est donc pas ressuscité, mais s'est marié à Marie-Madeleine. Monsieur et madame Jésus de Nazareth auraient ainsi eu une descendance à l'origine de la lignée royale des Mérovingiens ; pour préserver sa perfide hégémonie sur l'Occident, l'Eglise – et son bras armé, l'Opus Dei – lutte donc depuis des siècles contre le Prieuré de Sion, une confrérie détentrice de ce secret, dont Léonard de Vinci aurait fait partie... Dans l'affaire du Da Vinci Code, le Vatican a pu mesurer l'«extrême pauvreté culturelle» d'une bonne partie de ses ouailles plus ou moins pratiquantes qui, souvent, «ne savent pas donner les raisons de leur propre espérance».

Un gouffre culturel sépare l'Eglise d'un grand public sécularisé, plus habitué à compulser des romans policiers et Harry Potter que le Nouveau Testament et le catéchisme. Un grand public qui se défie aussi des institutions, faisant de la religion un produit de consommation. Le Vatican constatait d'ailleurs en 2003 une «certaine nostalgie» et un «regain» de curiosité pour les rites d'autrefois, ceci expliquant pour partie l'intérêt croissant porté à l'ésotérisme et au gnosticisme. Il y a dans le Da Vinci Code un peu d'occultisme, un grain de Kabbale et un zeste d'alchimie médiévale qui nourrissent le goût d'aventure et d'évasion d'une société en quête de spiritualité. L'Eglise catholique n'a pas encore trouvé de réponse à cette «spiritualité non conventionnelle».

Bien sûr, Dan Brown et le réalisateur Ron Howard ne sont pas des théoriciens, encore moins des théologiens. Leur entreprise est donc plus mercantile qu'hérétique. Mais les «mensonges» du scénario ne sont pas seulement anticléricaux. Il s'agit d'un nouvel épisode dans le retour en force du blasphème. Cet hiver, l'affaire des caricatures de Mahomet a enflammé le monde musulman. Si Mahomet est intouchable, peut-on impunément déformer le message de l'Eglise catholique et bafouer l'image de son créateur Jésus-Christ ? Non, répond le Saint-Siège, qui appelle à la «réciprocité». Dans le devoir de respect des croyances et de la liberté religieuse, il ne peut y avoir deux poids deux mesures. Il n'y a pas une exigence sans limites vis-à-vis de la sensibilité musulmane et une autre, très restrictive, vis-à-vis des catholiques. Mahomet aurait-il décomplexé les catholiques ? Ils sont en tout cas appelés à ne plus céder aux sirènes des catacombes, à être une «minorité agissante», comme le voulait le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI. Ainsi l'interdit d'une Eglise autrefois dominante ne suffit plus. Les catholiques sont appelés à être citoyens, à boycotter un film ou à saisir les tribunaux pour défendre leur droit et leur foi contre les discriminations. Si un roman médiocre, son film et l'emballement de la machine médiatique ont réussi à saper le moral de la hiérarchie de l'Eglise, aujourd'hui les catholiques ne veulent plus seulement se défendre, mais convaincre. Les voies de l'évangélisation sont impénétrables.
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