1.19.2006

L'ambassadeur Campbell choque le Vatican

Article paru dans l'édition du 14.01.06

Depuis le refus du pape Clément VII d'annuler le mariage du roi Henry VIII avec Catherine d'Aragon (la rupture fut consommée en 1534), les relations n'ont jamais été faciles entre la Grande-Bretagne et Rome. Mais, aujourd'hui, ce n'est plus la grande Histoire qui sépare Londres et le Vatican, mais une simple affaire de... déménagement.
Francis Campbell, 35 ans, est le nouvel ambassadeur de Grande-Bretagne auprès du Saint-Siège. Il est catholique, ami de Tony Blair. Il a décidé de s'installer chez son collègue ambassadeur de Grande-Bretagne auprès de l'Italie. Il ferme sa résidence romaine, via dei Condotti, la rue des grands couturiers et bijoutiers de luxe, à deux pas de la place d'Espagne, l'un des quartiers les plus chics et chers de Rome. Son personnel de la villa Drusiana a déjà été renvoyé et le contrat de location (10 000 euros mensuels) expire à la fin du mois de janvier. Cette « fantaisie » du jeune et inexpérimenté ambassadeur anglais, justifiée par le souci d'économies du Foreign Office, ne fait sourire personne au Vatican. M. Campbell a reçu une lettre signée du cardinal Angelo Sodano, secrétaire d'Etat, chef de la diplomatie vaticane, numéro deux de la Curie après le pape. Une missive d'un genre assez rare : des remontrances qu'expliquent sans doute des raisons de géographie romaine, mais aussi de principes politiques.
Le lieu d'abord : l'ambassade auprès de l'Italie, qui devient donc la résidence de l'ambassadeur auprès du Vatican, est située... porta Pia. Ce nom a laissé les souvenirs les plus funestes chez tous les catholiques romains. C'est par la porta Pia que, le 20 septembre 1870, 70 000 hommes de troupe italiens avaient fait triomphalement leur entrée dans la Ville éternelle et mis fin au pouvoir temporel du dernier pape-roi de Rome, Pie IX. On y avait relevé des morts. Le pape avait autorisé la résistance de son armée de 10 000 hommes jusqu'au premier coup de canon et jusqu'à l'ouverture d'une brèche dans l'une des portes de la ville. Une brèche évoquée par une stèle-souvenir dans le parc de la... villa Bonaparte, résidence de l'ambassadeur de France auprès du Saint-Siège.
Mais la mauvaise humeur des diplomates du pape est d'ordre plus politique qu'historique. Pour eux, si les représentations d'un pays auprès des deux Etats, l'Italie et le Saint-Siège, ne sont pas strictement distinctes, il y a violation des accords du Latran. Signés entre Pie XI et Mussolini, le 11 février 1929, ils avaient mis fin à la fameuse « question romaine ». Pour la première fois, un pape reconnaissait le nouveau royaume unifié d'Italie, avec Rome pour capitale. En contrepartie, l'Italie reconnaissait « la pleine propriété, la puissance exclusive et absolue et la juridiction souveraine » du chef de l'Eglise catholique sur un territoire de 44 hectares : la Cité du Vatican.
Même jeune, l'ambassadeur Francis Campbell ne pouvait pas ignorer les chausse-trapes historiques et juridiques placées sous ses camions de déménagement. Mais, dans une interview au Times du 9 janvier, il monte à l'assaut et déclare que « le protocole et les méthodes diplomatiques du XIXe siècle sont révolus ».
Ce n'est qu'en 1982 que la légation britannique auprès du Saint-Siège était devenue une ambassade pleine et entière. Aujourd'hui, le Foreign Office se défend d'une volonté de fusion de ses deux ambassades à Rome. Dans l'entourage du pape, on objecte, très sérieusement, que cette affaire menace l'identité juridique internationale du Vatican. Demain, un représentant du Saint-Siège ne pourra plus discrètement se rendre à l'invitation de « son » correspondant britannique sans côtoyer le commun des diplomates de Sa Gracieuse Majesté.
Le Vatican a des relations diplomatiques avec 174 pays. Nombre d'entre eux, pour réduire les frais de leur représentation, accréditent un diplomate en poste auprès d'un autre pays que l'Italie. Ainsi le représentant du Yémen auprès du Saint-Siège réside-t-il à... Berlin, celui du Nigeria à Madrid, du Rwanda à Bruxelles et de la Guinée-Bissau à Paris !

Henri Tincq

Le pape et le grand rabbin de Rome se mobilisent contre l'antisémitisme

LE MONDE | 17.01.06 | 14h11 • Mis à jour le 17.01.06 | 14h11

Vingt ans après la visite historique de Jean Paul II — premier pape à franchir le seuil d'une synagogue le 13 avril 1986 —, Benoît XVI renouvellera ce geste à la grande synagogue de Rome, à une date encore indéterminée.
Il a été invité, lundi 16 janvier, par Riccardo Di Segni, grand rabbin de Rome, reçu pour la première fois par le pape : "La visite de Jean Paul II était un événement unique, mais rien n'empêche qu'il soit répété", a déclaré Riccardo Di Segni.
Benoît XVI s'est empressé d'accepter l'invitation du grand rabbin. A la synagogue de Rome, il renouvellera les marques de repentir et d'amitié que le pape polonais avait manifestées à la communauté juive de la capitale, si longtemps victime des persécutions du pape, souverain temporel de Rome pendant plus de mille ans.
Cette visite s'impose, selon les deux hommes, par l'urgence d'un front commun — juifs et chrétiens — contre la remontée de l'antisémitisme dans le monde. "Comment ne pas être affligés par les manifestations renouvelées d'antisémitisme ?", s'est interrogé Benoît XVI, pour qui la situation actuelle est comparable aux grandes épreuves subies dans l'histoire par le peuple juif, captif "des mains de l'ennemi et, au temps de l'antisémitisme, victime des moments dramatiques de la Shoah".
Le pape et le grand rabbin de Rome ont souhaité que chrétiens et juifs coopèrent davantage contre les violences antisémites : "Nous ne pouvons pas ne pas dénoncer et combattre fermement la haine et les incompréhensions, les injustices et les violences qui sèment la préoccupation."
Jamais le pape allemand — qui, le 19 août 2005, avait déjà visité la synagogue de Cologne — n'avait été aussi loin dans les marques d'affection : "L'Eglise est proche des juifs. Elle est votre amie", a-t-il dit au grand rabbin Di Segni, dans une formule appelée à devenir aussi célèbre que celle de son prédécesseur, s'adressant aux juifs à la grande synagogue de Rome : "Vous êtes nos frères aînés."
Les deux hommes n'ont toutefois pas fait d'allusion directe aux récentes déclarations du président iranien contre l'Etat d'Israël. Déjà, Oded Ben Hur, ambassadeur d'Israël, avait regretté que le discours de voeux de Benoît XVI au corps diplomatique, le 9 janvier, ne fasse pas mention de l'attitude iranienne.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 18.01.06
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