5.31.2006

Le gouvernement polonais tente d'ignorer le rappel à l'ordre de Benoît XVI à l'encontre de la droite catholique

LE MONDE | 30.05.06 | 15h54 • Mis à jour le 30.05.06 | 15h54
VARSOVIE CORRESPONDANCE

Les conservateurs du parti Droit et Justice (PiS), au pouvoir en Pologne depuis l'automne 2005, affichent leur sérénité après la visite du pape. Ni dans l'exécutif ni au sein du groupe parlementaire, on ne s'estime concerné par le rappel à l'ordre lancé par Benoît XVI, jeudi 25 mai à Varsovie ("les fidèles n'ont pas besoin d'un prêtre qui soit expert en économie, expert en immobilier et en politique"), qui visait notamment l'influent média intégriste Radio Maryja.
Pour Robert Szaniawski, vice-directeur du Centre d'information du gouvernement, "les relations entre le gouvernement et l'Eglise polonaise étaient bonnes avant la visite du pape. Elles le resteront après". L'avertissement "ne concerne que Radio Maryja". Seulement, la polémique est vive en Pologne depuis que le groupe médiatique s'est affirmé comme le porte-voix privilégié du PiS. La dernière intervention du premier ministre, Kazimierz Marcinkiewicz, au micro de cette radio catholique privée au ton nationaliste, parfois antisémite, remonte au 21 mai.
PiS, qui vient de faire alliance avec les populistes et l'extrême droite catholique au sein d'un gouvernement de coalition, récuse pourtant toute collusion. "La prétendueaffaire Radio Maryja relève d'un problème interne à l'Eglise polonaise", assure M. Szaniawski. "Et si Radio Maryja continue à inviter des membres du gouvernement sur ses ondes, nous ne voyons pas de raison de refuser." Même son de cloche du côté des parlementaires. Le député Pawel Poncyljusz prévient qu'"il n'y aura pas de changement dans les relations entre PiS et Radio Maryja". "Il est fort à parier que les ténors du PiS ignoreront la déclaration du pape. Du moins, ils l'interpréteront comme un message qui ne les concerne pas directement", observe Edmund Wnuk-Lipinski, professeur de sociologie au Collegium Civitas à Varsovie. "Cet avertissement est pourtant explicite. Il est directement relié aux récentes déclarations du Vatican et du Nonce apostolique en Pologne, Mgr Jozef Kowal-czyk, sur Radio Maryja et ses interférences avec la politique."
Il est un autre geste du pape que les dirigeants polonais n'ont pu ignorer : c'est l'audience privée accordée aux juges de la Cour constitutionnelle polonaise à la résidence du Nonce apostolique. Bête noire de Jaroslaw Kaczynski, frère jumeau du président Lech Kaczynski et chef du PiS, la Cour s'est opposée, ces derniers mois, à une réforme du Conseil national de la radio et de la télévision, un projet fermement soutenu par le PiS.
Le grand rabbin de Pologne, Michael Schudrich, victime d'une agression à Varsovie à la veille de sa prière à Auschwitz au côté du pape Benoît XVI, a lui aussi mis en cause la politique des frères Kaczynski. "Quand on laisse entrer un parti d'extrême droite dans la coalition gouvernementale, cela encourage les nationalistes et ceux qui se promènent en criant des choses désagréables", a-t-il déclaré dimanche à Auschwitz. Le recevant lundi, le président Kaczynski l'a assuré qu'il n'aurait aucune tolérance pour l'antisémitisme.

Celia Chauffour
Article paru dans l'édition du 31.05.06

5.30.2006

Benoît XVI attribue la Shoah à un "groupe de criminels"

LE MONDE | 29.05.06 | 13h27 • Mis à jour le 29.05.06 | 13h27
AUSCHWITZ-BIRKENAU ENVOYÉ SPÉCIAL

Seul, à pied, vingt-sept ans après un pape polonais, un pape allemand franchit, dimanche soir 28 mai, le porche d'entrée du camp d'Auschwitz où, sur une grille piquetée de rouille, on lit la fameuse inscription "Arbeit macht frei" (le travail rend libre). Benoît XVI traverse les blocs de briques rouges de l'ancien camp de travail, allume une bougie devant le "mur des exécutions" puis gravit les marches du bloc 11, appelé le "bunker de la faim".
Là, il se recueille dans la cellule souterraine où périt Maximilien Kolbe, ce franciscain polonais canonisé par Jean Paul II en 1992, qui avait accepté la mort à la place d'un autre prisonnier père de famille, condamné avec dix autres détenus en représailles après une évasion. Enfin, le pape serre les mains d'une trentaine de rescapés du camp, dont certains en tenue rayée, et de Sonderkommandos, ceux qui étaient chargés d'incinérer les cadavres, après avoir inspecté leur dentition et leur chevelure.
Puis il prend la direction de Birkenau, à trois kilomètres d'Auschwitz. Là, il s'incline lentement devant chacune des vingt-deux stèles commémoratives, gravées en autant de langues de peuples victimes. Il est seul encore sous les nuages noirs. Dans le silence absolu, on entend frissonner les hauts peupliers que les nazis avaient plantés là, raconte l'histoire, pour dissimuler l'horreur des fours crématoires.
Poignante, la cérémonie a lieu au pied de l'ancien monument soviétique - aujourd'hui monument du "martyre des nations" - au bout de la rampe de triage et de ces hectares de terrain déserts, hérissés de baraquements noirs, construits début 1943 pour désengorger le premier camp. Un million et demi de déportés, à 90 % juifs, sont morts dans les chambres à gaz dont il ne reste que des carcasses, formes sombres et squelettiques de l'enfer sur terre.

"FILS DU PEUPLE ALLEMAND"

Le rabbin de Lodz entonne la prière El Mole Rahamin, qui comprend l'énumération des noms, lente et articulée, de tous les camps de concentration. Michael Schudrich, grand rabbin de Pologne, récite ensuite le kaddish (prière des morts) devant le pape pétrifié par l'émotion. D'autres prières suivent en russe, en polonais, dans la langue des Tsiganes. En allemand, Benoît XVI prend son tour dans cette litanie entrecoupée par les accents déchirants d'une harpe et d'un violon.
"Jean Paul II était venu ici en tant que fils du peuple polonais. Je viens ici en tant que fils du peuple allemand (...)", dit-il en commençant son allocution (en italien). C'est la troisième fois que Joseph Ratzinger, né en 1927, enrôlé pendant la guerre dans les Hitlerjugend, visite ce camp. Il l'avait fait derrière Jean Paul II, le 7 juin 1979, puis deux ans plus tard comme archevêque de Munich à la tête d'une délégation de l'épiscopat de son pays. Revenir à Auschwitz comme pape allemand était une double épreuve, confie-t-il. Mais "je ne pouvais pas ne pas venir ici. Je devais venir. Venir ici était un devoir vis-à-vis de tous ceux qui ont souffert ici et vis-à-vis de Dieu".
Dès ses premiers mots, il engage un dialogue avec Dieu : "Seigneur, pourquoi es-tu resté silencieux ? Pourquoi as-tu pu tolérer tout cela ?", avant de donner la raison de sa présence : témoigner "que la grâce de la réconciliation peut atteindre ceux qui souffrent toujours sous la domination de la haine et de la violence née de la haine". A plusieurs reprises, il manifeste sa crainte que ne revienne le "temps des ténèbres".
On attendait le pape sur le thème de la Shoah. En 1979, Jean Paul II n'en avait pas une seule fois fait mention, ni souligné la spécificité, liée au nom d'Auschwitz, de l'extermination des juifs par les nazis. Dimanche, Benoît XVI a utilisé le mot Shoah - qui n'existait pas dans la première version du texte distribuée aux invités et aux journalistes, ce qui a suscité des commentaires. De même a-t-il repris mot à mot le discours de 1979 de Jean Paul II sur "les six millions de Polonais morts dans la guerre", sans préciser plus que lui qu'il y avait, parmi eux, trois millions de juifs.
Il a aussi déçu certains responsables juifs pour avoir limité l'origine du crime au seul "groupe de criminels" nazis, sans évoquer la responsabilité collective du peuple allemand. "Je ne suis nullement convaincu par l'interprétation concernant le peuple allemand, comme s'il était lui-même victime et non pas du côté des persécuteurs", a déclaré le grand rabbin de Rome, Riccardo Di Segni, cité par l'agence Ansa. "Plus aucun historien allemand aujourd'hui n'oserait soutenir cette thèse, qui était celle des Allemands de l'après-guerre", commente Richard Prasquier, président de Yad Vashem-France, qui pourtant a qualifié cette visite de nouveau pas sur la voie de la réconciliation entre juifs et chrétiens.
Des poignées de main entre l'hôte du jour et les représentants des derniers survivants juifs de Pologne ont clos cette cérémonie. Benoît XVI est rentré dans la nuit à Rome après quatre jours en Pologne. Avant sa visite à Auschwitz, il avait attiré à Cracovie, sur l'esplanade de Blonie, des foules impressionnantes samedi soir et pour la messe du dimanche matin.

Henri Tincq
Pologne : le grand rabbin agressé

Le grand rabbin de Pologne, Michael Schudrich, qui a pris part, dimanche 28 mai, à la cérémonie d'Auschwitz, a été agressé la veille à Varsovie par un jeune inconnu. "Tandis que je marchais, quelqu'un m'a crié "La Pologne aux Polonais !" Je lui ai demandé pourquoi il avait dit ça. C'est alors qu'il m'a frappé et aspergé d'une bombe aérosol", a-t-il dit. Le ministère de l'intérieur a déploré "une provocation à caractère antisémite et antipolonais".


Article paru dans l'édition du 30.05.06

5.29.2006

En Pologne, Benoît XVI dénonce les "falsifications de l'histoire" du Christ

LE MONDE | 27.05.06 | 13h16 • Mis à jour le 27.05.06 | 13h16
CRACOVIE, CZESTOCHOWA (Pologne) ENVOYÉS SPÉCIAUX

Cracovie a fait au pape Benoît XVI, vendredi 26 mai en fin de journée, un accueil triomphal. Sa papamobile a traversé des rues bondées et pavoisées, recréant l'atmosphère qui entourait chacune des visites de Jean Paul II, l'enfant du pays. Avec la même ferveur, les mêmes chants : "Sto Lat (Qu'il vive cent ans)".
Accrochés en grappes sous le balcon de l'archevêché, rue des Franciscains - d'où Jean Paul II se lançait dans des tirades improvisées -, 3 000 jeunes ont réclamé l'apparition de "Benedetto" avec les mêmes cris que ceux adressés au pape polonais jusqu'à sa dernière visite d'août 2002 : "Viens à la fenêtre. Viens nous parler (...). Ne te laisse pas prier (...)."
La fenêtre - qui n'avait pas été ouverte depuis la mort de Jean Paul II le 2 avril 2005 - a laissé passer Benoît XVI, ému par cette popularité nouvelle. En polonais et en italien, il a adressé quelques mots de remerciement, évoqué la mémoire de son prédécesseur, qui "malgré la mort, est toujours avec nous", et appelé les jeunes à prier pour sa prochaine béatification. Une fois la fenêtre refermée, les cris ont repris : "Benedetto, Reste avec nous (...). On reviendra demain."
Cracovie a donc adopté le successeur de celui qu'elle continue de vénérer comme "son" pape. "Qui aurait pu croire qu'un Allemand serait ainsi accueilli dans une ville bombardée par les nazis et si cruellement occupée ?", constate un témoin âgé. Dans ce sud de la Pologne qui a façonné le destin de Karol Wojtyla, confronté à l'occupation nazie, puis au communisme, Benoît XVI est allé se recueillir, samedi 27 mai, à Wadowice, dans la maison natale de son prédécesseur, et dans les sanctuaires qu'il aimait, de Kalwaria et de Lagiewniki.

"J'AI DEUX PAPES"

Le nom de Czestochowa entretient aussi la légende du pape polonais. Benoît XVI s'y est rendu, vendredi, acclamé par 400 000 fidèles. Jean Paul II avait fait de ce sanctuaire national de la Vierge noire de Jasna Gora - celle qui aurait protégé la Pologne contre l'envahisseur suédois au XVIIe siècle - le symbole de la résistance spirituelle au communisme. Carolina arbore un tee-shirt jaune vif où on peut lire "JP2-B16". Un symbole : "J'ai deux papes", dit-elle en riant.
Nombre de représentants du syndicat Solidarnosc sont aussi dans la foule, venus de Gdansk, Opole, Poznan, Lodz, Lublin, etc. : "C'est à Czestochowa qu'est né Solidarnosc, rappelle l'un d'entre eux. Chaque année en septembre, de 1981 à 1989, des centaines de membres de Solidarnosc se réunissaient ici. Et c'est ici qu'en 1983, lors de sa seconde visite en Pologne, Jean Paul II a rencontré en secret des membres de Solidarnosc."
Depuis, la Pologne a bien changé. A Czestochowa, le pape a délivré un nouveau message contre les intégristes de Radio-Maryja, expliquant que "l'Evangile devait être porté dans les médias, mais avec maturité, sans infantilisme et sans agressivité".
Dans son homélie du matin, avant de quitter Varsovie sous des trombes d'eau, il s'était également lancé dans une fervente défense du message de l'Eglise contre le "relativisme ambiant", contre "les lectures subjectives et sélectives des Ecritures saintes", contre les "falsifications de l'histoire" du Christ. Certains y ont vu une attaque contre le film Da Vinci Code, pour lequel d'immenses panneaux publicitaires remplissent les rues de Varsovie et de Cracovie.
La visite au camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau, dimanche soir, devait être le point culminant de ce premier voyage de Benoît XVI en Pologne. On prêtait l'intention au pape de marcher seul, pour mieux se recueillir et prier.
L'entourage de Benoît XVI insistait ces derniers jours sur le caractère uniquement spirituel de cette démarche, estimant que le pape venait à Auschwitz moins comme Allemand que comme chef de tous les catholiques, désireux d'exprimer sa douleur au peuple juif en particulier.
Devant des journalistes, il a lui-même révélé le sens qu'il donnerait à cette visite : "Auschwitz a montré à quel point l'homme pouvait perdre toute dignité en piétinant les autres. D'un tel lieu, on attend que naissent un nouvel humanisme, une nouvelle vision de l'homme à l'image de Dieu pour que ne se répètent plus jamais de tels crimes."

Célia Chauffour et Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 28.05.06

Le pape Benoît XVI dénonce la Shoah à Auschwitz mais provoque un léger malaise

LEMONDE.FR | 28.05.06 | 17h49 • Mis à jour le 28.05.06 | 20h17

Dans son discours prononcé devant le monument de Birkenau à la mémoire des victimes de toutes origines mortes dans ce camp - plus de 1,1 million dont un million de juifs - le pape Benoît XVI a parlé dimanche de la "Shoah", un mot que Jean Paul II n'avait pas prononcé lors de sa visite en 1979. Mais il a provoqué une certaine gêne quand il a semblé dédouaner le peuple allemand de toute responsabilité dans les crimes nazis. Il les a attribués à "un groupe de criminels" qui par la démagogie et la terreur ont "abusé" du peuple allemand pour s'en servir "comme instrument de leur soif de destruction et de domination".

PRIÈRE EN ALLEMAND

Le pape Benoît XVI, qui avait été enrôlé dans les jeunesses hitlériennes pendant la guerre, a prié en allemand à la mémoire de toutes les victimes et souligné que les crimes perpétrés par le régime nazi restent "sans équivalent dans l'histoire". Il a souligné la difficulté particulière "pour un chrétien et pour un pape allemand" de s'exprimer à Auschwitz-Birkenau.
Malgré la difficulté, "je ne pouvais pas ne pas venir", a souligné le pape. "C'était et c'est un devoir vis-à-vis de la vérité et des droits de ceux qui ont souffert, un devoir devant Dieu". Après Jean Paul II, venu à Auschwitz "comme fils du peuple polonais", Benoît XVI a précisé qu'il accomplissait ce pèlerinage "comme fils du peuple allemand".
Le pape Benoît XVI a parlé de "Shoah" alors que Jean Paul II avait parlé de "Golgotha du monde contemporain", usant d'un terme chrétien désignant le lieu où le Christ a vécu son martyre. Cette formule avait alors été vivement critiquée par les organisations juives, qui y avaient vu une tentative de récupération de leur histoire par l'Eglise. Benoît XVI a également évoqué la déportation et l'assassinat des tziganes, que le pape polonais n'avait pas mentionné.
Le pape a en revanche souligné que des Allemands aussi étaient morts à Auschwitz, comme par exemple la philosophe Edith Stein, juive convertie au christianisme et canonisée par Jean Paul II. Benoît XVI a prononcé son discours devant plusieurs milliers de personnes, parmi lesquels des responsables politiques polonais, des survivants d'Auschwitz ou d'autres camp de déportés, et des représentants d'organisations juives.

"DES CHOSES UN PEU PLUS FORTES"

Sous le sceau de l'anonymat, certains d'entre eux ont confié leur malaise quand le pape a cité Jean Paul II parlant des "six millions de victimes polonaises de la guerre", sans mentionner que la moitié d'entre elles étaient juives. "C'est un discours très émouvant mais il y aurait pu y avoir des choses qui auraient pu être un peu plus fortes", a dit à l'AFP le grand rabbin de Pologne, Michael Schudrich. "Mais sa simple présence ici était très importante, c'est un cri contre l'antisémitisme".
Malgré des maladresses, Jean Paul II avait su conquérir le coeur de nombreux juifs en étant le premier pape à se rendre à Auschwitz, symbole du génocide perpétré par les nazis, et en allant prier à Jérusalem devant le mur des Lamentations.
Benoît XVI s'est engagé au début de son pontificat à poursuivre les efforts de réconciliation avec le judaïsme entrepris par son prédécesseur. En août 2005, à l'occasion des journées mondiales de la jeunesse de Cologne (Allemagne) il s'est rendu à la synagogue de la ville pour y prier et y parler du "crime inouï" de la Shoah.
Mais dimanche, il a voulu d'abord délivrer sa propre vision de l'Holocauste, une vision religieuse où des nazis, hostiles à la religion chrétienne, ont chercher à éliminer les juifs, peuple témoin de Dieu, parce qu'ils voulaient "tuer Dieu". Cette conception reste un sujet de controverse entre l'Eglise catholique et les responsables juifs, qui au contraire estiment que l'antisémitisme génocidaire du régime nazi a pu se développer sur le terreau de l'antijudaïsme chrétien.

Avec AFP
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